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11/09/2012

Grille d’analyse pour l’étude détaillée d’un texte

[Merci à Aline Vattier, qui a élaboré cette fiche de synthèse]

 Grille  d’analyse pour l’étude détaillée d’un texte

 

-> Cette grille n’est pas exhaustive, et par ailleurs vous ne devez pas l’appliquer mécaniquement : aucune approche formalisée ne saurait vous dispenser de faire appel à votre bon sens, à votre sensibilité littéraire et à votre culture

 

Outils d’analyse

Interprétations

Genre (théâtre, roman, poésie, littérature d’idées)

(Vous privilégierez certains outils)

Paratexte

 

 

La mise en page : disposition du texte dans la page, choix d’une typographie (majuscules, italiques)

(Vous retiendrez des informations : siècle et donc mouvement littéraire, par exemple)

 

Intentions de l’auteur.

Mise en relief.

Types de texte : narratif, descriptif, explicatif, argumentatif

(Vous privilégierez certains outils)

Thème

De quoi le texte parle-t-il ?

Si c’est un texte argumentatif, quelle est la thèse  soutenue/réfutée?

Composition du texte (début ? étapes intermédiaires ? fin ?)

Evolution du texte : du dialogue, des idées,  des arguments, des personnages…renversement, qu’est-ce qui est développé ? qu’est-ce qui est traité de manière allusive ou passé sous silence ? etc

Le narrateur (interne, externe, omniscient) ou la focalisation (interne, externe, 0)

 

Qui voit ? Quoi ? Selon quel point de vue ?

Evocation des sentiments, émotions.

Qui parle ? à qui ? qui pense ?

Regard porté sur les personnages

Les registres (cf. : fiche sur les registres): tragique, comique, lyrique, didactique, épique, fantastique, polémique., réaliste…

Déterminer le ton du texte. Manière de percevoir ou de faire percevoir le réel. Chaque registre correspond à un certain type d’émotion que le locuteur cherche à susciter chez son destinataire : admiration, pitié, rire, etc

Outils lexicaux :

  1. Vocabulaire
  2. Adjectif et adverbes
  3. Ton appréciatif, dépréciatif
  4. Registre de langue

 

  1. Figures de style (cf. fiche ou manuel)
  2. Connotation/Dénotation
  3. Indicateurs de temps et de lieux

 

 

Intentions de l’auteur

Caractérisation du nom et du verbe

Intentions : péjoratif, mélioratif

Texte où l’oralité est forte, texte très littéraire etc

Mise en valeur, originalité, effet d’instance…

Position du narrateur, subjectivité ou obj.

Renseignements spatio-temporels

Outils grammaticaux :

  1. Déterminants et pronoms

 

  1. Types de phrases : déclarative, interrogative, exclamative, impérative
  2. Négation
  3. Temps et modes verbaux
  4. Syntaxe : structure des phrases, phrase simple/complexe, juxtaposition, incises, phrases nominales
  5. Ponctuation
  6. Connecteurs logiques
  7. Style direct, indirect, indirect libre

 

 

Intentions de l’auteur, position du narrateur

Enonciation

 

 

Tout dépend du texte

Idem

Rythme

Niveaux de langue

Oralité…

 

Rythme, organisation du propos.

Structure du propos.

Qui parle ? Qui voit ? Qui sait ?

Procédés musicaux :

  1. Versification
  2. Rythme (binaire- ternaire, ascendant-descendant ; phrases longues, courtes…)
  3. Sonorités : allitération (cons.) et assonance (voy.)
  4. Paronomase (mots qui se ressemblent par le son mais dont le sens est différent), onomatopée (interjection pour simuler un bruit)
  5. Euphonie (agréable et harmonieuse combinaison de sons)/Cacophonie (l’inverse !)

 

 

 

Musicalité, sons, rapprochement d’images, mise en relief

//

//

 

Réalité des images par les mots.

 

POUR RAPPEL :

-         l’énonciation : ce sont toutes les marques, tous les faits qui constituent la trace de la personne qui parle (ex : une phrase exclamative traduit une réaction affective, morale de celui qui parle ; un vocabulaire dépréciatif traduit le regard péjoratif, c’est-à-dire le jugement, de celui qui parle ou qui raconte)

-         le narrateur est celui qui prend en charge le récit.

 

 

DE LA CORRECTION NEGATIVE (à l'usage des étudiants d'hk et de kh)

   G. Barthèlemy 

 

              DE LA CORRECTION NEGATIVE

 

A L’ATTENTION DES ETUDIANTS EN CLASSES PREPARATOIRES

 

 

 

         Cette note est destinée à expliciter quelques-uns des principes qui guident l’évaluation de vos travaux, oraux et écrits, et quelques-unes des exigences auxquelles vous êtes soumis – toutes disciplines confondues.

         Il convient d’abord de préciser ce que l’on entend par correction négative. Vous avez connu jusqu’au baccalauréat le régime de la correction positive. Celui-ci consiste  (si l’on simplifie un peu) à rechercher dans le travail de l’élève tout ce qui peut être valorisé et à « oublier » ce qui au contraire pourrait le disqualifier. La correction négative obéit à d’autres principes. Et fondamentalement à celui-ci : on s’adresse à des individus dont on peut exiger beaucoup, parce qu’on leur fait crédit d’une certaine intelligence, et que l’on considère que la mission de l’institution est de donner à tout un chacun une chance d’arriver au meilleur niveau – corrigeant par là les effets de l’inégalité sociale qui dote les uns d’un capital  socio-culturel  qui leur ouvre l’avenir tandis que les autres doivent trouver ailleurs, c’est-à-dire dans l’institution scolaire,  ce que leur milieu n’a pu objectivement leur fournir. Exiger de nos étudiants qu’ils maîtrisent parfaitement les règles de la syntaxe, c’est refuser qu’ils soient – là encore, objectivement – handicapés dans leur cursus universitaire puis dans leur vie professionnelle  face à ceux qui seraient « naturellement » (c’est-à-dire en fait par héritage social et culturel – lisez Bourdieu) détenteurs de cette maîtrise.

         Concrètement, pratiquer la correction négative signifie : considérer qu’un certain nombre de travers et de fautes dans un travail, oral ou écrit, d’un étudiant en CPGE, sont à la fois inadmissibles et rédhibitoires, disqualifient très largement le travail en question, quelles qu’en soient par ailleurs les qualités. C’est le point de vue des correcteurs du concours de l’ENS et de bien d’autres concours. Prenons deux exemples authentiques (bien qu’anonymes). Quand, à l’occasion d’une explication de texte, un étudiant combine « bien que »  avec l’indicatif, on doit considérer qu’il se met lui-même hors-jeu, et que rien ne peut racheter cette énormité qu’un élève du primaire est censé ne pas commettre. Quand dans une lettre de motivation pour telle institution universitaire un autre étudiant écrit deux fois « permetterait » pour « permettrait », vous pouvez être certains que la lettre en question atterrit immédiatement dans la poubelle – et le contraire serait scandaleux.  Vous trouverez ci-après une liste non-exhaustive de problèmes rédactionnels, ou d’expression, susceptibles de « plomber » vos travaux.

         Sur le plan méthodologique, vous ne devrez pas être surpris si une dissertation dans laquelle le sujet n’a pas fait l’objet d’une analyse digne de ce nom, ou dont l’introduction n’expose pas de problématique, ou d’annonce de plan, est notée forcément, quelles que soient ses qualités, en-dessous de la moyenne. Il en est de même si vous commettez un hors-sujet. Vous avez également eu le temps d’apprendre qu’une dissertation qui n’est qu’une morne récitation du cours ou un résumé d’ouvrages, d’articles, et qui est dépourvue de tout ressort dialectique, ne peut pas non plus être honorée de la moyenne.

Vous devez enfin vous rappeler que les exemples sont indispensables dans une dissertation. En Lettres, vous êtes astreints à la mention régulière et répétée d’exemples pertinents, faisant l’objet d’une analyse spécifique ou intégrés dans des analyses d’ensemble. Il va sans dire (joies de la prétérition) que vous êtes donc conduits à citer le texte dans sa littéralité, et donc à apprendre pour le concours un certain nombre de citations. Axiome : une dissertation sans exemples est un couteau sans manche dont il manque la lame, ou un gigot à l’orientale sans épices, ou un civet de lapin cuisiné à l’eau déminéralisée, ou une fille parfumée à l’air de la grand-rue.  Pour le traitement de l’exemple dans la dissertation d’Histoire,  notre collègue M. De Becdelièvre a tenu à vous apporter les précisions suivantes :

         L'exemple en histoire ? Nature : le fait divers, l'information culturelle, les données chiffrées, la biographie, la présentation d'une exploitation agricole au XIX°s; la description d'un vêtement... tout est recevable. Statut ? Vrai (ou vraisemblable pour peu que le correcteur ne voit pas l'imposture …) ; il ne suffit pas à lui seul à faire autorité mais comme on ne peut exiger une quantité d'exemples sur un même argument, il prouve que le candidat a compris la nécessité d'étayer son propos. Fonction ? Il sert à illustrer un argument ; à démarrer la présentation d'un argument ; sa description peut être à l'origine d'un développement descriptif et donc d'une série d'observations ; il sert parfois de contre-exemple. Au total, l'exemple, au contraire de ce qu'admet la philosophie, prouve que l'historien est un paysan qui patauge dans le pragmatique, un saint Thomas qui a besoin de toucher pour croire, un flic qui veut des preuves et qui veut que ces preuves aient un écho dans des preuves de même tonneau.

 

Les exigences de la dissertation de Géographie  sont, mutatis mutandis, comparables. Le statut de l’exemple dans la dissertation de  philosophie est assez spécifique, et votre professeur pourra vous en entretenir.

 

         Sur le plan des contenus, vous devez savoir qu’un certain nombre de bourdes sont elles aussi rédhibitoires : ceux qui considéreraient que Balzac succède chronologiquement à Flaubert, que Ben Laden veut faire pousser partout des synagogues, Raffarin des lieux de culture, et que l’URSS a perdu la Guerre de Crimée,  en auraient pour leur argent.

         Comme cela était dit,  plus allusivement, ci-dessus, vous ne devrez en aucun cas voir dans nos commentaires décrivant vos erreurs, soulignant éventuellement leur gravité, une marque de mépris, mais au contraire de considération : pourquoi désigner leurs erreurs à des gens dont on soupçonnerait qu’ils ne sauraient s’en corriger ? Vous devrez aussi résister à la tentation, si commode, de penser que nous vous accablons pour mieux nous distinguer : seuls les ignorants supposent que le territoire du savoir est étroit et qu’il est possible d’en faire le tour ; nous constatons chaque année, en découvrant de nouveaux programme, en refaisant nos cours, à quel point Socrate est notre maître à tous quand il dit : « je sais que je ne sais rien ». Tout est affaire de degré, et du point de vue de Sirius, notre ignorance n’est pas moins encyclopédique que la vôtre … Mais nous avons quelques années d’avance et, surtout, nous avons intériorisé une certaine forme d’exigence. En route vers l’avenir !

         Enfin, parler de « correction négative » ne signifie aucunement que nous ne sommes pas disposés à reconnaître les qualités de votre travail. Si vous retournez les mises en garde qui figurent ci-dessus, vous obtiendrez la recette (quoique l’art de la belle dissertation soit plus subtil que celui d’accommoder le gigot à l’orientale) du devoir réussi. Les rapports du jury de l’ENS offrent volontiers des citations de copies aussi brillantes que solides,  qui ont été notées au-dessus de 15/20, et la finalité de notre existence professionnelle est bien moins de recenser des erreurs et des horreurs  que de corriger des copies dont les qualités nous impressionneront, et nous réjouiront.

 

 

 

                   PETIT VADEMECUM DE QUELQUES « FAUTES » COURANTES A EVITER

 

         Ce petit répertoire (que nous vous serions reconnaissants de ne pas trop enrichir cette année par vos apports personnels …) ne prétend pas à l’exhaustivité ; nous voudrions simplement attirer votre attention sur trois points :

         - la poursuite d’études « littéraires »  implique que l’on entretienne avec la langue une relation à la fois plus étroite et plus exigeante ;  c’est l’un des intérêts (et des plaisirs) de ces études. S’il faut absolument vous proposer des modèles, pensez que la verve et l’élégance d’un Paul Veyne ou d’une A. Ubersfeld viennent opportunément souligner leur brio intellectuel.

-Une langue évolue en permanence, mais tout ce qui « arrive » à et dans cette langue n’est pas recevable ; vous êtes responsables de la langue que vous mettez en œuvre, soyez  prudents.

- Enfin, il existe un « socle » de la langue et de son usage, qui permet de l’utiliser – de parler et d’écrire en se faisant comprendre – et qui s’appelle la grammaire. Le moins que vous puissiez faire, c’est de respecter la grammaire, dans ses incidences morphologiques et syntaxiques (il n’est pas  question ici des quelques fautes d’inattention que l’on s’attend à rencontrer dans n’importe quelle copie rédigée en temps limité).

 

 

Les faits incriminés relèvent de deux ordres : d’abord des fautes de langue procédant simplement d’une négligence aussi étonnante qu’intolérable de la part d’étudiants qui passent leur vie dans les livres et qui ont donc tout loisir de s’imprégner des règles et usages linguistiques ; ensuite des faits de langue, des tours syntaxiques, des manières de dire  - tous fautifs – qui font l’objet d’un engouement particulier et se répandent rapidement. Vous n’êtes pas sans savoir que les mass-media façonnent assez largement le langage du sujet parlant moyen, et que folliculaires, bateleurs de la radio et de la TV mettent en circulation un certain nombre d’usages en la matière. Petit relevé.

 

         + Fautes de langue et problèmes d’expression relevant de la génération spontanée:

- transgression des règles de la syntaxe de l’interrogation 

-         transgression des règles (syntaxiques ou morphologiques) d’accord des verbes ou des substantifs 

-         transgression de la règle d’accord du participe passé avec « avoir » 

-         manipulation fautive (de manière récurrente) de la ponctuation (notamment : ignorance des règles présidant à la distribution de la virgule dans la phrase) 

-         prolifération de chevilles comme « de plus », « en outre », etc. ; on vous a appris au lycée que l’on explicitait la logique de l’argumentation développée grâce à des « connecteurs logiques » ; dans vos esprits distraits, cela a donné :  il suffit que je parsème ma phrase de  termes comme « de plus », « en outre » , « cependant » (vous ne vous souciez pas toujours de la différence entre ces termes …) pour que ce soit logique. Erreur ! la présence malencontreuse de ces termes exhibe au contraire les discontinuités (fatales en matière dissertative) de votre propos et son défaut de logique (encore plus fatal).

 

+ Usages aberrants véhiculés par la presse

                è à l’oral : Radio et TV ne sauraient être rendues responsables de l’incapacité, généralement constatée, des étudiants à lire oralement autrement qu’en plaquant sur le texte une mélodie préfabriquée (cadence, mélodie, etc) et littéralement insignifiante. En revanche, les journaleux sont coupables de la diffusion dans le public étudiant de deux habitudes parfaitement risibles : l’une consiste à transformer à la fin des mots les « e » muets en « e » moyen, voire à rajouter un « e » moyen à la fin d’un mot qui n’en comporte pas  - et toujours en étirant ce « e » après avoir affublé d’un accent d’intensité on ne peut plus inopportun la dernière voyelle: on ne dit plus « une coccinelle », mais une « coccinELL –eeee » ; un « éléphant » mais un « éléphANt – eeee » ; l’autre consiste à articuler toute la phrase ou la période sur une mélodie traînante et plate, comme si elle était pleine d’une effroyable tension contenue, et à la clore sur une brusque tonalité descendante, en étirant démesurément la voyelle finale (comme pour donner à penser, créer du suspens, ou rester coincé dans une position inconfortable).

         On se demande encore à cette heure si l’élocution traînante et pâteuse identifiée l’année dernière chez certains khâgneux procède de modèles télévisuels ou de la fascination pour de lointaines banlieues dans lesquelles les pratiques sportives incluent le rodéo automobile et l’enseignement de l’art du body-building aux Pitt-Bulls. Quoi qu’il en soit, ces habitudes articulatoires ne sauraient trouver leur place en khâgne.

J’allais oublier ce que l’on peut nommer conventionnellement le « et virenquois », en hommage à un coureur cycliste dont on est certain qu’il n’a pas absorbé de produit dopant destiné à ses hautes fonctions cérébrales. Ce « et » permet d’enfiler les uns à la suite des autres, sans se sentir tenu à la moindre exigence de cohérence, des énoncés divers et variés, et de confisquer durablement la parole puisque grâce à cette hyperbate dite non-entravée on peut toujours ajouter quelque chose (plus exactement : n’importe quoi).

                    è A l’écrit :

-         la surutilisation de la préposition « sur » ; voir les aberrations du genre : « j’habite sur Trifouilly-les-Chaussettes, en Normanpluie »

-         les termes qui n’existent pas : « mature » (pour « mûr »), « positiver » (on ne sait pas pour quoi).

-         Ceux qui sont utilisés de façon aberrante : « définitivement »  désémantisé et utilisé comme adverbe de phrase, à l’américaine, pour signifier « parfaitement », « tout à fait », etc.

-         Les usages syntaxiques aberrants divers: « non-courant » (pour désigner quelqu’un qui ne peut pas courir), et plus généralement « non-ceci », « non-cela » (peut-être sur le modèle du anglais des parasynthétiques privatifs ou antonymiques préfixés en « un » : « unamerican ») ; divers télescopages de prépositions : « il faut réfléchir sur comment on va éviter de commettre les mêmes énormités qu’au Vietnam ») ; le « il est à », dans des énoncés du genre « il est à penser qu’une caricature le représentant avec du persil dans les oreilles lui rendrait justice » (pour « On peut penser … »).

-         Les tautologies pitoyables : « permet de pouvoir »,  « le pouvoir de pouvoir faire »,  « chercher à trouver », « refuser d’accepter »,  « se poser la question de savoir … ».

-         Les chevilles syntaxiques qui permettent de construire n’importe quoi n’importe comment, donc d’éviter d’élaborer une formulation spécifique donc intellectuellement satisfaisante ; vainqueur toute catégorie, le « par rapport à » , que vous devez bannir totalement de votre langage car neuf fois sur dix, sous la pression de cet usage aberrant, vous l’utiliserez de manière fautive.

-         Les outils de mise en relief du thème, qui alourdissent et obscurcissent en définitive le propos – et sont, bien sûr, sur le plan rhétorique, totalement incorrects : « au niveau du pain frais, on dira que … » ; « par rapport à la question de l’émigration clandestine des coccinELL – eeeees (…) » ;  méfiez-vous même de la prolifération (c’est nouveau) du « quant à … ».

-         Diverses formes de soulignement prétendument expressifs du propos – par exemple l’usage spectaculaire et donc ridicule de l’interro-négation.

-         Tout au sommet des aberrations lexicales très actuelles :

° le glissement de « problème » (le fait objectif ) vers « souci » (l’intériorisation, par le sujet, du problème) ; ainsi ne dit-on plus « il n’y a pas de problème » mais « il n’y a pas de souci »

° et enfin, vous l’attendiez tous, le pantonyme universel, fruit d’un jargon qui fantasme la posture de maîtrise et la projette partout, le paradigme lexical de la gestion ! Votre dictionnaire vous dit que l’on ne peut gérer que l’argent et les titres financiers ? Jetez-le ! on « gère »  les individus (« qui vous gère ? » vous demandera votre interlocuteur au rectorat), on « gère » sa vie (sic ), on « gère la canicule » (Dieu merci, le ridicule est moins mortel que la susdite canicule, sinon j’en connais qui n’en auraient pas réchappé), et même on « gère » tout court, transitif absolu (« ouais, ouais ! Germaine, elle gère ! » - pour dire que, en dépit du naufrage de sa longue aventure avec Marcel, elle fait face courageusement, ne s'effondre pas, etc).

 

                   Courage !

 

-          

 

        

        

13/03/2012

PASCAL : extraits des Pensées à connaître sur le thème de la Justice (classement Lafuma).

[Merci à Gaétan Prieur-Drevon, étudiant en PSI au Lycée Champollion, qui a compilé ce fichier rassemblant les fragments (extraits du corpus au programme) dont la connaissance précise, voire la mémorisation, me semble indispensable. G.B.]

 

PASCAL : extraits des Pensées à connaître sur le thème de la Justice

(classement Lafuma).

 

14 : « Les vrais chrétiens obéissent aux folies néanmoins ; non pas qu’ils respectent les folies, mais l’ordre de Dieu, qui, pour la punition des hommes, les a asservis à ces folies. »

 

16 : « Qu’une chose aussi visible qu’est la vanité du monde soit si peu connue que ce soit une chose étrange et surprenante de dire que c’est une sottise de chercher les grandeurs, cela est admirable. »

 

20 : « Il demeure au-delà de l’eau. »

 

24 : « Condition de l’homme : inconstance, ennui, inquiétude. »

 

36 : « Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. »

 

39 : « Les hommes s’occupent à suivre une balle et un lièvre ; c’est le plaisir même des rois. »

 

44 : « Imagination. C’est cette partie décevante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l’était infaillible du mensonge. »

     

      « Ne direz-vous pas que ce magistrat, dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple, se gouverne par une raison pure et sublime, et qu’il juge des choses dans leur nature sans s’arrêter à ces vaines circonstances qui ne blessent que l’imagination des faibles ? Voyez-le entrer dans un sermon où il apporte un zèle tout dévot, renforçant la solidité de sa raison par l’ardeur de sa charité. Le voilà prêt à l’ouïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraître, que la nature lui ait donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l’ait mal rasé, si le hasard l’a encore barbouillé de surcroît, quelque grandes vérités qu’il annonce, je parie la perte de la gravité de notre sénateur. »

 

      « L’affection ou la haine change la justice de face. Et combien un avocat bien payé par avance trouve-t-il plus juste la cause qu’il plaide ! »

 

      « Plaisante raison qu’un vent manie, et à tout sens ! »

 

      « Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés. »

 

      « L’imagination dispose de tout ; elle fait la beauté, la justice, et le bonheur, qui est le tout du monde. »

 

      « Notre propre intérêt est encore un merveilleux instrument pour nous crever les yeux agréablement. Il n’est pas permis au plus équitable homme du monde d’être juge en sa cause. »

 

      « L’homme est donc si heureusement fabriqué qu’il n’a aucun principe juste du vrai et plusieurs du faux. »

 

      « Mais la plus plaisante cause de ses erreurs est la guerre qui est entre les sens et la raison. »

 

45 : « L’homme n’est qu’un sujet plein d’erreur, naturelle et ineffaçable sans la grâce. Rien ne lui montre la vérité. Tout l’abuse ; ces deux principes de vérités, la raison et les sens, outre qu’ils manquent chacun de sincérité, s’abusent réciproquement l’un l’autre. Les sens abusent la raison par de fausses apparences ; et cette même piperie qu’ils apportent à la raison, ils la reçoivent d’elle à leur tour. Elle s’en revanche. Les passions de l’âme les troublent et leur font des impressions fausses. Ils mentent et se trompent à l’envi. »

 

51 : « Pourquoi me tuez-vous à votre avantage ? Je n’ai point d’armes - Eh quoi ! ne demeurez-vous pas de l’autre côté de l’eau ? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin et cela serait injuste de vous tuer de la sorte ; mais puisque vous demeurez de l’autre côté, je suis un brave, et cela est juste. »

 

58 : « Ainsi ces discours sont faux et tyranniques : je suis beau, donc on doit me craindre. Je suis fort, donc on doit m’aimer. Je suis... Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas, il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas. »

 

60 : « En vérité la vanité des lois il s’en délivrerait, il est donc utile de l’abuser. ...Sur quoi la fondera-t-il, l’économie du monde qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? il l’ignore. Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les moeurs de son pays ; l’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples, et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les États du monde et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence ; un méridien décide de la vérité ; en peu d’années de possession ; les lois fondamentales changent ; le droit a ses époques, l’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au- delà. »

 

      « Ils confessent que la justice n’est pas dans ces coutumes, qu’elle réside dans les lois naturelles, connues en tout pays. Certainement ils soutiendraient opiniâtrement, si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle ; mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes s’est si bien diversifié qu’il n’y en a point. Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu’un homme ait droit de me tuer parce qu’il demeure au delà de l’eau, et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n’en ai aucune avec lui ? »

 

      « De cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente ; et c’est le plus sûr. »

 

66 : « Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes. C’est pourquoi il lui faut dire en même temps qu’il y faut obéir parce qu’elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs, non parce qu’ils sont justes, mais parce qu’ils sont supérieurs. Par là, voilà toute sédition prévenue si on peut faire entendre cela, et ce que c’est proprement c’est la définition de la justice. »

 

72 : « Il faut se connaître soi-même : quand cela ne servirait pas à trouver le vrai, cela au moins sert à régler sa vie, et il n’y a rien de plus juste. »

 

81 : « Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D’où vient cela ? de la force qui y est. Et de là vient que les rois, qui ont la force d’ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres. Sans doute, l’égalité des biens est juste ; mais, ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien. »

 

86 : « Veri Juris. Nous n’en avons plus ; si nous en avions, nous ne prendrions pas pour règle de justice de suivre les moeurs de son pays. C’est là que, ne pouvant trouver le juste, on a trouvé le fort, etc. »

 

96 : « La faiblesse de l’homme est la cause de tant de beautés qu’on établit : comme de savoir bien jouer du luth. »

 

103 : « Justice, force. Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante : la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants : la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. »

 

110 : « Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le coeur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement qui n’y a point de part essaye de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non par l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvements, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du coeur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. (Le coeur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies.) Et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au coeur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le coeur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre, pour vouloir les recevoir. »

 

      « Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n’en eussions, au contraire, jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment ! Mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a, au contraire, donné que très peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement. Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du coeur sont bien heureux et bien légitimement persuadés. Mais ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la leur donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de c ?ur, sans quoi la foi n’est qu’humaine, et inutile pour le salut. »

 

113 : « Roseau pensant. Par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends. »

 

114 : « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable. »

 

118 : « Grandeur de l’homme dans sa concupiscence même, d’en avoir su tirer un règlement admirable, et d’en avoir fait un tableau de la charité. »

 

126 : « Les pères craignent que l’amour naturel des enfants ne s’efface. Quelle est donc cette nature, sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature, qui détruit la première. Mais qu’est-ce que nature ? Pourquoi la coutume n’est-elle pas naturelle ? J’ai grand’peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. »

 

127 : « La nature de l’homme se considère en deux manières : l’une selon sa fin, et alors il est grand et incomparable ; l’autre selon la multitude, comme on juge de la nature du cheval et du chien, par la multitude, d’y voir la course, et animum arcendi ; et alors l’homme est abject et vil. Et voilà les deux voies qui en font juger diversement, et qui font tant disputer les philosophes. »

 

130 : « S’il se vante, je l’abaisse.

      S’il s’abaisse, je le vante.

      Et le contredis toujours.

      Jusqu’à ce qu’il comprenne

      Qu’il est un monstre incompréhensible. »

 

148 : « Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que le gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu même ? Lui seul est son véritable bien, et, depuis qu’il l’a quitté, c’est une chose étrange, qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place : astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble. Les uns le cherchent dans l’autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés. D’autres, qui en ont en effet plus approché, ont considéré qu’il est nécessaire que le bien universel, que tous les hommes désirent, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul, et qui, étant partagées, affligent plus leur possesseur, par le manque de la partie qu’il n’a pas, qu’elles ne le contentent par la jouissance de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devait être tel que tous pussent le posséder à la fois, sans diminution et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré. »

 

170 : « Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison. Il y en a qui faillent contre ces trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de se connaître en démonstration ; ou en doutant de tout, manque de savoir où il faut se soumettre ; ou en se soumettant en tout, manque de savoir où il faut juger. »

 

172 : « La conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons, et dans le coeur par la grâce. Mais de la vouloir mettre dans l’esprit et dans le coeur par la force et par les menaces, ce n’est pas y mettre la religion, mais la terreur, terrorem potius quam religionem. »

 

173 : « Si on soumet tout à la raison, notre religion n’aura rien de mystérieux et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule. »

 

199 : « Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s’arrête là, que l’imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c’est le plus grand caractère sensible de la toute puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée. Que l’homme, étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est ; qu’il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu’il recherche dans ce qu’il connaît les choses les plus délicates. Qu’un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c’est là l’extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l’univers visible, mais l’immensité qu’on peut concevoir de la nature, dans l’enceinte de ce raccourci d’atome. Qu’il y voie une infinité d’univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible ; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu’il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n’admirera que notre corps, qui tantôt n’était pas perceptible dans l’univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l’égard du néant où l’on ne peut arriver ? Qui se considérera de la sorte s’effrayera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et je crois que sa curiosité, se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption. Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable. Egalement incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti. Que fera-t-il donc, sinon d’apercevoir quelque apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin ? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu’à l’infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? L’auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne le peut faire. Manque d’avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature, comme s’ils avaient quelque proportion avec elle. C’est une chose étrange qu’ils ont voulu comprendre les principes des choses, et de là arriver jusqu’à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu’on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature. »

 

520 : « J’ai passé longtemps de ma vie en croyant qu’il y avait une justice ; et en cela je ne me trompais pas ; car il y en a, selon que Dieu nous l’a voulu révéler. Mais je ne le prenais pas ainsi, et c’est en quoi je me trompais, car je croyais que notre justice était essentiellement juste et que j’avais de quoi la connaître et en juger. Mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit, qu’enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J’ai vu tous les pays et hommes changeants ; et ainsi, après bien des changements de jugements touchant la véritable justice, j’ai connu que notre nature n’était qu’un continuel changement, et je n’ai plus changé depuis ; et si je changeais, je confirmerais mon opinion. Le pyrrhonien Arcésilas qui redevient dogmatique. »

 

525 : « Montaigne a tort : la coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume, et non parce qu’elle soit raisonnable ou juste ; mais le peuple la suit par cette seule raison qu’il la croit juste. Sinon, il ne la suivrait plus, quoiqu’elle fût coutume ; car on ne veut être assujetti qu’à la raison ou à la justice. La coutume, sans cela, passerait pour tyrannie ; mais l’empire de la raison et de la justice n’est non plus tyrannique que celui de la délectation ; ce sont les principes naturels à l’homme. »

 

532 : « Pyrrhonisme. J’écrirai ici mes pensées sans ordre, et non pas peut-être dans une confusion sans dessein : c’est le véritable ordre, et qui marquera toujours mon objet par le désordre même. Je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre, puisque je veux montrer qu’il en est incapable. »

 

597 : « Le moi est haïssable : vous, Miton, le couvrez, vous ne l’ôtez pas pour cela ; vous êtes donc toujours haïssable. - Point, car en agissant, comme nous faisons, obligeamment pour tout le monde, on n’a plus sujet de nous haïr. - Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu’il est injuste, qu’il se fait centre du tout, je le haïrai toujours. En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est, incommode aux autres, en ce qu’il les veut asservir : car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice ; et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice : vous ne le rendez aimable qu’aux injustes, qui n’y trouvent plus leur ennemi, et ainsi vous demeurez injuste et ne pouvez plaire qu’aux injustes. »

 

617 : « Qui ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité ? Car il est faux que nous méritions cela ; et il est injuste et impossible d’y arriver, puisque tous demandent la même chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire, et dont il faut nous défaire. »

 

645 : « La justice est ce qui est établi : et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour juste sans être examinées, puisqu’elles sont établies. »

 

665 : « L’empire fondé sur l’opinion et l’imagination règne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire ; celui de la force règne toujours. Ainsi l’opinion est comme la reine du monde, mais la force en est le tyran. »