07/03/2011
LE MAL DANS LA CULTURE DE MASSE : ROMAN POPULAIRE ET GENRE POLICIER
G . Barthèlemy – CPGE scientifiques (Lycée Champollion, Grenoble) : Le mal, année universitaire 2010-2011
(Exposé complémentaire à l'usage des étudiants des CPGE scientifiques)
LE MAL DANS LA CULTURE DE MASSE : ROMAN POPULAIRE ET GENRE POLICIER
Au XIXe naît ce que l’on appelle la « culture de masse », indissociable des progrès de l’alphabétisation, de l’apparition de la grande presse et des bouleversements, consécutifs, du marché du livre. Cette culture repose sur la mise en œuvre de schémas narratifs simples et récurrents, la représentation d’archétypes humains et sociaux sommaires, et l’exploitation très efficaces de ressorts psychologiques élémentaires, que l’on retrouvera d’ailleurs aussi bien dans la littérature que dans le traitement des faits divers. Le mal, l’affrontement du bien et du mal, vont constituer des thèmes privilégiés de cette culture qui contribue largement à la transmission de normes idéologiques et morales et au façonnage d’une vision du monde social. Le principal représentant de cette littérature est le roman-feuilleton, diffusé par la presse populaire (dont il a largement assuré la prospérité), qui donne souvent à voir les dessous de la société et ses turpitudes dans le cadre d’intrigues foisonnantes ; ce que l’on nomme de manière un peu vague le « roman populaire » s’inscrit dans la même veine, avec le même souci d’édification et la même vocation « consolatrice ».
J’emprunte cette terminologie à U. Eco dans son livre De Superman au surhomme : le « romanesque de la consolation » représente un monde dominé par diverses incarnations sociales et politiques du mal (tout particulièrement l’injustice), qui accablent des héros enclins au bien ; mais cette situation révoltante est en définitive (à la fin du récit veux-je dire) miraculeusement chamboulée par une révélation ou un incident qui transforme radicalement leur sort. Par exemple, l’héroïne, belle et innocente, qu’exploitait un vieux notaire véreux, libidineux et plein de mauvaises pensées, apprend qu’elle est la fille d’un aristocrate qui vient de rentrer des Indes où il était parti refaire sa fortune. Le père arrive, botte (publiquement) les fesses du notaire, offre un magasin de luxe à sa fille et la marie au modeste professeur (si, si) qui depuis des années l’aimait sans oser se déclarer (parce que les hommes de main du notaire lui avaient dit qu’ils lui démoliraient le portrait). Avec les capitaux de son épouse, le timide professeur peut enfin réaliser son rêve : ouvrir un site de vente de peluches géantes sur internet, et devenir riche, donc respectable. Moralité : le scandale du mal est une sorte de fatalité, les pauvres seront toujours opprimés par les riches. Mais ils peuvent espérer que, la semaine des quatre jeudis, un miracle se produira qui remettra le monde à l’endroit. En attendant, ce n’est pas la peine de songer à la révolution, d’abord parce que ce n’est pas une rêverie très sentimentale, parce qu’il y a beaucoup de casse (comme disait le regrettable Mao Tsé Toung, « la révolution n’est pas un dîner de gala ») et qu’en définitive la rétribution des gentils n’est pas garantie au terme du processus. Le bien et le mal sont des catégories trop « massives » pour qu’on puisse les confronter de manière simple et univoque à la réalité historique, sociale et politique (quand on le peut, c’est souvent parce que l’horreur déferle : nazisme, stalinisme, oppression insupportable …) , et celui qui cherche des « consolations » les trouve plus facilement dans la représentation mystificatrice d’un monde où le plus sûr est d’attendre le miracle, que dans la perspective d’un processus complexe, long et incertain comme la transformation du monde. Aussi une certaine littérature populaire joua-t-elle le rôle, pour paraphraser Marx, d’un « opium du peuple » ; tant que les « portières » (les concierges) pleuraient (d’abord de compassion, puis d’émotion joyeuse) sur le malheur puis sur le surprenant bonheur des héros de leurs romans favoris, elles ne risquaient pas de devenir des « pétroleuses » (ainsi surnomma-t-on les femmes qui pendant la Commune jetaient des bombes incendiaires). Au demeurant, peut-être les pétroleuses lisaient-elles des romans « consolateurs », mais, pour des raisons historiques qu’il serait trop long d’exposer, elles avaient néanmoins envie de changer l’ordre du monde social et politique, dont elles considéraient qu’il était trop éloigné du bien, et ce point de vue a joué un rôle majeur, pendant plus d’un siècle, dans l’adhésion de millions d’individus à ce qu’on nommait l’ « espérance révolutionnaire ».
C’est au XXe, notamment sous l’influence du modèle états-unien du « roman noir », élaboré dès les années 1930, que le roman policier va prendre toute son importance, encore amplifiée par son avatar cinématographique ; il va lui aussi s’appliquer à peindre un monde rongé par des anti-valeurs illustratives du mal (corruption, violence, goût pour l’argent et le pouvoir). La naissance de la littérature policière[1] au XIXe siècle est indissociable des transformations qui caractérisent les sociétés post-révolutionnaires et industrielles européennes : une moindre lisibilité des trajectoires individuelles (qui ouvre la porte à la rumeur, au soupçon, bref à l’inquiétude), la croissance des villes par l’afflux de populations émigrées de l’intérieur, et la quête frénétique de l’argent dans un monde où il devient la valeur absolue, celle que l’on veut acquérir par tous les moyens. Tout un versant de la littérature, puis du cinéma, va ainsi s’efforcer de débusquer et d’illustrer les turpitudes d’une société accusée d’entretenir les simulacres de la respectabilité pour mieux s’adonner au mal. On comprend ainsi le goût pour des scénarios de retournement : le notable, le commerçant honorable que l’on découvre escroc, pervers sexuel ou maître-chanteur (tel le Geiger du Grand Sommeil de Chandler[2]) ; le policier qui trahit sa mission (tel le commissaire incarné en 1958 par Orson Welles dans son film La Soif du Mal), l’honorable patriarche qui a en fait monté une énorme manipulation foncière et est un père incestueux (tel le personnage incarné par John Huston en 1974 dans Chinatown, de R. Polanski).
On devine la charge de critique sociale inhérente à ce genre de scénarios, qui rapproche le genre policier du roman de mœurs[3]. Mais le propos se radicalise aisément pour trouver des résonnances philosophiques. L’enquête n’est plus alors simple cheminement vers la résolution d’une énigme crapuleuse mais découverte sidérante de la place du mal dans le monde des hommes, dont l’enquêteur comprend que ce qu’il a sous les yeux n’est qu’une incarnation très partielle. Dans cette confrontation, le héros joue son âme, parce que le mal est fascinant, est riche de tentations (pouvoir, argent, sexe), mais aussi parce que son omniprésence peut conduire au désespoir, au cynisme ou au nihilisme. Citons à cet égard le dialogue entre le héros éponyme de Bullitt (film de P. Yates, 1969) et sa compagne :
- Frank, ton monde est tellement différent de celui dans lequel je vis ! C'est le monde du vol et du crime. Tu vis dans les égouts !
- C'est la moitié du monde ; on ne peut pas l'ignorer.
Aussi le genre policier fait-il parfois l’objet de condamnations vigoureuses par des censeurs qui voient ne lui un genre démoralisant : ainsi, Paul Claudel (1868-1955), loin de considérer qu’il importe de mettre sous les yeux des hommes cette « moitié du monde » dont parle le lieutenant Bullitt, sous peine d’entretenir une regrettable mystification, considérait le roman policier comme un objet de réprobation parce qu’il fait appel, disait-il, à ce qu’il y a de plus bas en l’homme : le goût pour la violence, la complaisance voyeuriste pour le mal, le spectacle d’une humanité débarrassé de ses idéaux et de son surmoi. En effet, la représentation du mal pose, fondamentalement, un problème redoutable, que l’artiste digne de ce nom ne peut esquiver, et la frontière entre la dénonciation salutaire et la complaisance compromettante n’est pas toujours facile à tracer : on doit montrer les turpitudes, mais sans flatter la bassesse du lecteur ou du spectateur.
Le problème est d’autant plus délicat que le genre policier est toujours tenté par l’hyperbole. Il se plaît par exemple à mettre en scène des virtuoses du mal, des personnages nommés «le génie du crime », ou «le maître de l’effroi », et cette veine hyperbolique est conforme aux attentes d’un lectorat avide d’émotions elles aussi hyperboliques, comme les autorise justement la représentation d’un monde dominé par le conflit du bien (dont le héros –celui d’un roman éponyme - pourra s’appeler par exemple « Judex », i.e. « le Justicier ») et du mal.
Ajoutons pour finir que les sociétés dont nous parlons sont dès le XIXe soumises par les états à une gigantesque entreprise de normalisation des individus (par l’école, l’armée, la médecine, la justice), ce qui contribue à donner un relief particulier et une vocation obsessionnelle à la figure du monstre, du criminel, du fou, qu’exploite la grande presse populaire. Elle donnait notamment un immense retentissement aux faits divers criminels, par exemple les meurtres commis par Jack l’Eventreur, un psychopathe rusé et adroit de ses mains qui dans les années 1880 assassina à Londres, selon un mode opératoire particulièrement horrible, cinq prostituées ; l’assassin, dont l’identité ne fut jamais établi (un boucher ? un médecin ?), échappa à la police londonienne, qu’il nargua en adressant un courrier à son directeur. Ces faits divers fascinent les contemporains parce qu’ils semblent marquer l’irruption dans la réalité la plus banale de phénomènes terrifiants, et, par prédilection, de monstres ; si cette thématique du monstre rencontre celle de la déchéance sociale et individuelle, comme c’est le cas dans l’histoire des victimes de jack l’Eventreur[4], assassin de prostituées, on a là tous les ingrédients d’un best-seller comme la culture de masse en a fabriqués par dizaines, et un moteur narratif qui ressemble à ceux élaborés par la littérature policière, dont un mal horrifique constitue le carburant.
Dans ces genres (littéraires et cinématographiques) où se croisent membres de sociétés secrètes constituées pour confisquer le pouvoir, délinquants prêts à tout pour devenir riches et psychopathes homicides soumis à leurs pulsions, le mal est partout. Il fait, selon les cas, l’objet d’une révélation salutaire, d’une vaine déploration ou d’une obsession morbide, mais il remplit son rôle, à la fois narratif (il engendre le récit), axiologique (le conflit des valeurs se structure autour de lui) et métaphysique (les auteurs et les héros nous invitent à déchiffrer la condition humaine au regard de cette omniprésence du mal). Ce n’est pas gai, mais c’est consistant.
[1] Préférons cette appellation à celle de « roman policier », trop étroite. Je parle de « littérature policière » pour désigner des romans dans lesquels l’intrigue, au sens littéraire du terme, est souvent déterminée par un mystère ou par une anomalie qui vont donner lieu à la fois à des événements et à une démarche d’élucidation comme le roman officier en offre à nos yeux le modèle achevé.
[2] Il s’agit donc ici du roman (1939), qui sera traduit en français par Boris Vian (et que vous trouverez en folio) ; le film d’H. Hawks, chef-d’œuvre du genre, avec H. Bogart et L. Bacall, date de 1945.
[3] Il existe un autre type de roman policier, qui n’entre pas dans notre propos : c’est le « roman-problème », dont les enjeux sont complètement différents, puisqu’il s’agit essentiellement d’exercer la sagacité du lecteur en le confrontant à une intrigue ingénieuse (on retrouve un cadavre unijambiste dans un cube de béton sans porte ni fenêtre avec deux bananes disposées en croix, un N° de la Revue du pêcheur Franc-Comtois et un abat-jour en plastique rose avec des étoiles vertes : qui peut bien être le coupable ? quel est le mobile ?).
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Le Mal dans Au Coeur des ténèbres de J. Conrad
G. Barthèlemy – CPGE scientifiques années 2010-2011 - Lycée Champollion, Grenoble
[Exposé complémentaire destiné aux étudiants de Math Sup - Spé, pour éclaireR la question du mal, au programme en l'année 2010-2011]
LA QUESTION DU MAL DANS AU CŒUR DES TENEBRES
En 1889, Joseph Conrad, qui hésite encore entre sa carrière de capitaine au long cours et celle d’écrivain, a accepté un emploi au Congo (plus précisément sur le fleuve Congo) ; de cette expérience marquante, il ramène un journal, qu’il exploitera pour écrire Au Cœur des ténèbres (1902). Cette longue nouvelle, dont les résonances symboliques du titre suffisent à indiquer que la question du mal y occupe une place importante, va nous fournir pour l’étude de notre thème quelques matériaux que je vais essayer de dégager sommairement sans prétendre rendre compte de ce récit admirable mais aussi très complexe.
I – L’arrière-plan historique
Même s’il convient de ne pas écraser le récit sous son ancrage historique, il faut absolument le lire dans son contexte, celui du colonialisme de la fin du XIXe, dont on pourrait dire qu’il fut l’une des formes les plus marquantes du mal en ce siècle[1]. Les Occidentaux en ce temps là ont bien souvent usé de la violence pour s’emparer de territoires dont l’exploitation (menée à leur profit) a elle aussi été brutale, par exemple lorsqu’elle a pris la forme du travail forcé. Le père fondateur du journalisme moderne, Albert Londres, dans un article de 1928, dénonce la mortalité insensée des « Nègres » sur le chantier du chemin de fer Congo-Océan, et plus tard des spécialistes parleront d’un mort par traverse, ou bien de trente-six morts au km (la ligne en comptait 504). La colonisation allemande entraîne des massacres (peut-être 800 000 à 1 million de morts), notamment en Namibie. Dans le Congo de Léopold II, la mise en œuvre d’un système d’exploitation des matières premières (ivoire, caoutchouc) a conduit à des pratiques de génocide : on coupe les mains, les oreilles, on brûle les villages. Une école historique, au temps de la RDA, s’est penchée sur les origines des hauts gradés de l’armée nazie. Elle a constaté que certains de ces hommes, issus des milieux prussiens, avaient eu un père, un oncle, directement associés à des crimes commis dans le Sud-Ouest africain et au Tanganyika, ce qui pourrait laisser penser (soyons prudents) que la colonisation a produit une forme de « banalisation du mal » dont l’Europe a été affectée par un effet-boomerang. La violence coloniale aurait ainsi en définitive constitué un scénario de perdition pour l’ensemble de l’humanité. Quelle que soit la pertinence de cette perspective historiographique, elle nous renvoie à une hantise qui n’est neuve ni pour les historiens ni pour les philosophes (encore moins pour les théologiens) : celle de la contagion du mal, de sa capacité à se répandre, à muter et à tout recouvrir.
Quelle était la formule du « mal colonial » ? L’immersion d’individus dépourvus de scrupules dans des contextes où les normes morales et juridiques qui accompagnaient le processus de domination étaient très différentes de celles qui avaient cours en Europe. Mais il faut peut-être surtout mentionner le mépris produit par la conviction absolument dominante selon laquelle il existe des « races », c’est-à-dire des incarnations de l’humanité d’une valeur très inégale, ce qui autorisait les uns à exercer une domination brutale sur les autres[2]. On avait là une véritable machine infernale qui a souvent débouché sur des tragédies. Ainsi de la mission « Afrique centrale », plus connue sous le nom de mission « Voulet-Chanoine », qui a semé mort et désolation sur son passage, du Niger au Tchad, en 1898. Le capitaine Paul Voulet, 32 ans, qui a gagné ses galons outre-mer, et son adjoint, le capitaine Julien Chanoine, 28 ans, polytechnicien, également officier de l'armée coloniale, sont nommés à la tête de cette mission, qui doit établir le tracé de la frontière jusqu'au Tchad. Intelligents, audacieux, courageux, ils partagent aussi un goût pour la violence et la cruauté. La mission part de Saint-Louis du Sénégal en juillet 1898 ; les deux officiers adoptent la tactique du pillage pour remédier aux problèmes de ravitaillement, et massacrent les populations sur leur passage. Voici un extrait d’une lettre du lieutenant Peteau, qui servait dans cette colonne et fut horrifié par ce qu’il vit :
[Dans la nuit du 8 au 9 janvier] des patrouilles doivent s’approcher des villages, s’en emparer à l’arme blanche, tuer tout ce qui résiste, emmener les habitants en captivité, s’emparer des troupeaux. Le 9 au matin, la reconnaissance rentre au camp avec 250 bœufs, 500 moutons, 28 chevaux, 80 prisonniers. Quelques tirailleurs ont été blessés. Afin de faire “un exemple” le capitaine Voulet fait prendre vingt femmes-mères, avec des enfants en bas âge et à la mamelle, et les fait tuer à coups de lance, à quelques centaines de mètres du camp. Les corps ont été retrouvés par le commandant du poste de Say.
Voulet déclare un jour à ses hommes : « Je ne suis plus français, je suis un chef noir. Avec vous, je vais fonder un empire. ». Les deux officiers seront en définitive abattus par leurs hommes. Que conclure de cet épisode ? Bien sûr, il s’agit de deux déments mégalomaniaques (un peu le portrait-robot de ce qu’on nomme les « soldats perdus ») animés manifestement par un sadisme pathologique, et tout le personnel colonial ne fut pas, Dieu merci de cette eau-là. Mais les historiens considèrent qu’il a existé une « violence coloniale », et des pratiques de domination qui ouvraient la voie à ce type de paroxysmes de la part d’individus qui, loin de la mère-patrie, de l’état de droit, de ses institutions et des exigences morales d’un monde qui se voulait policé, face à des être qu’il méprisaient, des sociétés qui leur semblaient relever d’une sauvagerie anachronique, se sont livrés à des actes terribles.
Conrad a manifestement été le témoin de ces sinistres dérives qui se produisaient dans le monde colonial, et il fait partie de ces gens qui ont montré la noirceur de ce monde et mis en cause les discours de justification de l’entreprise coloniale.
II – Au cœur des ténèbres, le mal colonial
Rappelons rapidement la trame du récit. Marlow, qui est capitaine au long cours, raconte ce qui a été pour lui une expérience majeure. Après avoir obtenu un emploi dans une compagnie commerciale belge travaillant au Congo, il a opéré une lente remontée du fleuve, en deux temps : d’abord pour rallier la station où il devait prendre possession du bateau qui lui était confié, puis pour aller chercher Kurz, un employé de la compagnie autour duquel s’est développée une sorte de légende. Cet homme fournit davantage d’ivoire que tous les autres responsables de comptoirs de la compagnie réunis ; il semblerait qu’il use de méthodes peu orthodoxes – ce qui laisse présager le pire dans un monde colonial qui se préoccupe peu de règles lorsqu’il s’agit de « faire suer le burnous »[3] - mais son succès fascine, et on devine un personnage d’une envergure qui tranche sur la piteuse médiocrité des Blancs que rencontre Marlow.
Selon une symbolique sur laquelle le titre de la nouvelle attire d’emblée l’attention du lecteur, cette remontée du fleuve équivaut à une régression. Mais contrairement à ce qui se produit souvent dans la littérature coloniale, cette régression ne s’incarne pas d’abord dans la sauvagerie des « Nègres », mais dans la cruauté et le cynisme des européens. A peine débarqué à la station, Marlow croise un groupe de six Noirs enchaînés qui portent des charges sur la tête et semblent à l’agonie ; ils sont menés par un Blanc armé d’un fusil :
[…] avec un grand sourire blanc scélérat, clignant de l’œil vers le groupe qu’il avait en charge, [il] sembla m’associer à sa confiance exaltée. Après tout je faisais moi aussi partie de la grande cause de ces agissements nobles et équitables[4].
Par ces propos ironiques, Marlow dénonce l’effroyable supercherie qui conduit les Blancs à se présenter comme les porteurs d’un projet civilisationnel, au nom duquel ils réduisent en esclavage les Africains.
La métaphore insistante des « ténèbres », qui vient scander le texte, désigne ce monde dans lequel les hommes semblent (pour recourir à une phraséologie religieuse dont relèvent les « ténèbres ») des égarés, des êtres en déréliction[5]. Il faut insister sur ces résonances religieuses ; ni Conrad ni son personnage ne les revendiquent explicitement, mais il est clair qu’ils les sollicitent. C’est l’occasion de rappeler que dans une culture comme la nôtre, quelles que soient les convictions de chacun, le recours à la phraséologie religieuse reste un moyen simple et efficace de convoquer tout un imaginaire, toute une symbolique qui confèreront leur force (parfois leur prestige poétique) à la représentation du mal[6]. Dans ce monde que découvre Marlow, les Blancs ont certes perdu leur sens moral (la capacité à discerner le Bien et le Mal), mais, plus largement, c’est leur humanité qu’ils sont en train de perdre, comme s’ils étaient privés de quelque chose de plus fondamental que les lumières de la raison et de la morale, et c’est ici que l’image des ténèbres trouve véritablement sa pertinence.
III – Au-delà du Bien et du Mal ?
Au terme de sa remontée du fleuve, Marlow rencontre Kurz. On pourrait penser que le personnage est simplement l’incarnation de cette folie coloniale faite de cupidité et de cruauté : Kurz a fait exécuter des rebelles (traduisez : des gens qui lui résistaient), et, pour l’exemple, leurs têtes ont été mises à sécher sur les poteaux de la clôture qui entoure sa maison. Mais le personnage est en fait plus complexe. Ainsi, il confie à Marlow un document qui est un « Rapport pour la suppression des coutumes barbares », ce qui pourrait être l’œuvre d’un progressiste sincère comme il y en eut dans le personnel colonial ; mais à ce texte il a ajouté un post-scriptum, qui anéantit cette perspective et marque le retour pulsionnel d’une violence meurtrière que nous qualifierions de génocidaire : « Exterminez toutes ces brutes ».
On comprend dès lors que Marlow fasse de Kurz l’incarnation d’une radicale ambivalence (éd. citée, p. 139-140) :
J’essayai de rompre le charme, le charme pesant, muet, de la jungle, qui semblait l’attirer dans son sein impitoyable en réveillant en lui des instincts brutaux oubliés, en lui rappelant ses monstrueuses passions assouvies. […]. Le péril […] résidait dans le fait que j’avais affaire à un être auprès de qui je ne pouvais faire appel au nom de rien de noble ou de vil. […] Il n’y avait rien au-dessus ni au-dessous de lui […]. D’un coup de pied, il s’était libéré de la terre. […] Il était seul ; et moi je ne savais plus si j’avais les pieds posés sur le sol ou si je flottais dans l’atmosphère. [….] Son intelligence était parfaitement lucide […] [mais] son âme, elle, était folle. Seule dans la jungle, elle avait plongé son regard en elle-même, et, Grand Dieu je vous le dis, elle était devenue folle. J’étais condamné, pour mes péchés je suppose, à subir l’épreuve de plonger dans la mienne. Nulle éloquence n’eût pu être plus fatale à toute confiance en l’humanité que son ultime accès de sincérité.
Les ténèbres, ce sont celles de l’âme de Kurz (le titre de la nouvelle peut aussi être traduit par « Cœur de ténèbres »), telle que l’Afrique coloniale, mais aussi la nature africaine [7], l’a révélée à lui-même, le conduisant à faire l’épreuve de ce qu’on pourrait nommer la radicale inhumanité de l’humanité, dans le cadre d’un processus à la fois exemplaire et terrible, dont Marlow redoute d’ailleurs la contagion.
Cette inhumanité, en laquelle il est difficile de ne pas voir une incarnation majeure du mal, est donc révélée et non pas enfantée par l’Afrique : celle-ci fait seulement craquer le vernis de la civilisation, et sa démesure fait affleurer celle dont Kurz est porteur. Mais quand on relit le début de la nouvelle, on comprend que l’histoire de Kurz illustre en définitive un processus anthropologique universel : Marlow évoque la situation qui aurait été celle d’un patricien romain venant conquérir l’Angleterre et y découvrant une barbarie dans laquelle il se serait englouti comme Kurz a été englouti par l’Afrique. Cela suffit à dire que Conrad met à distance le « Grand Récit » optimiste, indissociable de l’idéologie coloniale, d’une Histoire dont l’axe essentiel serait le triomphe de la civilisation (européenne) sur la barbarie (africaine, asiatique, océanienne), pour développer la vision pessimiste d’une humanité en proie à un mal qui toujours et partout fait partie d’elle-même et est susceptible de la dévaster.
Un personnage qui a connu Kurz en Europe dira qu’il était un « extrémiste », qu’il aurait pu accomplir des prouesses à la tête d’un parti qui l’aurait été lui aussi. Lorsque Marlow lui demande de quel bord aurait été ce parti, son interlocuteur, désarçonné, lui répond que peu aurait importé. Le pouvoir de fascination de kurz est indissociable de cette difficulté de ses interlocuteurs à l’appréhender dans une perspective idéologique ou morale cohérente, qu’il semble excéder pour laisser affleurer quelque chose qui est à la fois, comme le dit Marlow dans la citation de la p. 139-140, au-dessus et au-dessous de l’humanité, bref, et pour reprendre une catégorie dont on connaît l’importance dans la philosophie grecque antique, une démesure. Celle-ci recèle une sorte de terrifiante fécondité, qui fait de Kurz un « extrémiste » et à laquelle Marlow fait curieusement allusion : lorsqu’il tente de justifier sa fascination pour Kurz, il affirme que celui-ci avait « quelque chose à dire », ce qui prend tout son sens quand on observe que les autres personnages se signalent dans ce récit généralement par la vacuité de leurs paroles, ou par un cynisme très ordinaire. Plusieurs de ces personnages, tout particulièrement un jeune russe à moitié fou dont Kurz était le gourou, insistent sur l’exceptionnelle éloquence de ce dernier (est-ce une attestation de sa vocation démoniaque ?). Le coup de force de Conrad consiste à nous frustrer de cette éloquence et à la remplacer par une répétition obsessionnelle : « L’horreur ! », s’exclame à plusieurs reprises Kurz pendant son agonie, et cette exclamation désigne semble-t-il ce à quoi se résument pour lui le monde et lui-même en ce moment suprême.
* * *
L’intérêt de cette nouvelle, pour l’étude de notre thème, réside dans sa double détente : un premier niveau de lecture, assez élémentaire, permet de repérer très vite la dénonciation du colonialisme, c’est-à-dire d’une situation historique caractérisée par une injustice radicale. Le second niveau de lecture fait apparaître une méditation métaphysique sur le lien consubstantiel qui attache le mal, essentiellement sous la forme de la démesure, à l’humanité.
Quelques mots à propos d’Apocalypse now (film de F.F. Coppola, 1979)
Plutôt que d’une « adaptation », il s’agit d’une transposition du récit de Conrad dans un contexte historique très spécifique, celui de la guerre du Vietnam. Mais le film n’est pas seulement une énième méditation sur le mal de la guerre. Comme bien souvent les films américains qui traitent de ce conflit (voyage au bout de l’enfer [The Deer hunter], Taxi driver, Going home), il traite l’événement comme l’un des ingrédients de la grande crise des années 68. Prenons l’exemple du générique : il associe les images des hélicoptères de combat incendiant une clairière, et une chanson des Doors ; le titre de la chanson, The End, fait écho à celui du film (la fin / l’Apocalypse), mais son contenu déplace le propos : il n’y est pas question de guerre mais d’inceste et de parricide. Le générique dépeint ainsi un monde en crise, en proie à un mal qui ne se réduit pas à la guerre. Celle-ci se prête évidemment par excellence à la thématisation de la démesure de la violence et de la folie. Coppola a donné à cette dernière la forme d’un effroyable brouillage du meurtre et de l’art dans la scène de l’attaque du village vietcong menée sur la musique de la Walkyrie de Wagner, parce que, dit l’officier qui conduit l’opération, cette musique exalte ses soldats[8].
Kurz est dans cette histoire un « soldat perdu » devenu le gourou d’une tribu isolée, une sorte d’esthète de la cruauté admirablement interprété par Brando.
[1] Par opposition à la guerre, qui est la grande incarnation du mal dans l’Histoire, celle qui toujours et partout a accompagné la vie des sociétés et des individus : si ses formes varient, le fait, lui, est pérenne.
[2] On débat beaucoup aujourd’hui, et c’est une excellente chose, de la période coloniale. Mon but n’est pas ici de désigner des méchants et de montrer à quel point nous sommes « bons », nous qui nous indignons de tout cela. Je souhaite simplement décrire très sommairement certaines caractéristiques majeures d’un système pour enrichir notre compréhension du thème du mal. A cet égard, il faut souligner l’une des ambiguïtés majeures qui sous-tendait le projet colonial en France, la fameuse « mission civilisatrice », qui consistait à apporter les Lumières à ceux qui n’y avaient pas accès (pour des raisons « raciales »). Ce n’était pas là, pour certains des penseurs du colonialisme, un cache-misère (en l’occurrence, d’une logique de domination), mais une conviction authentique qui a été dévoyée avec, selon les cas, naïveté ou cynisme : si l’homme blanc était le civilisateur confronté à des espèces d’enfants indociles qui, allez donc savoir pourquoi, refusaient de contribuer à l’édification du projet colonial, il pouvait légitimement recourir à la contrainte pour obtenir leur contribution, car tous les moyens sont bons pour parvenir à une si belle fin. Tous les moyens sont bons, sauf, dit Sartre (dont on redécouvre aujourd’hui qu’il fut bien plus clairvoyant dans sa condamnation du colonialisme que dans son compagnonnage avec le communisme, et c’est un hommage qu’il faut lui rendre), ceux qui dénaturent la fin : on ne civilise pas par des moyens barbares.
[3] Dans l’argot colonial des Français d’Algérie, l’expression désigne l’exploitation des travailleurs « indigènes » (le burnous est le vêtement traditionnel masculin).
[4] Je cite le texte dans la traduction d’Odette Lamolle : Au Cœur des ténèbres, éd. Mille et une Nuits, Paris 1999, p. 33.
09:22 Publié dans Cours CPGE scientifiques | Lien permanent | Commentaires (2)
Le mal dans Candide
G. Barthèlemy
CPGE scientifiques Lycée Champollion année 2010-2011
[Exposé complémentaire - Candide n'est pas au programme - élaboré à l'intention des étudiants de CPGE scientifiques, en référence à la question au programme : le mal.
LE MAL DANS CANDIDE (1759)
Voltaire fait partie de ceux qui au XVIIIe procèdent à un réexamen de la question du mal et s’efforcent à la redéfinition d’un bien individuel et collectif. Candide joue dans cette affaire un rôle considérable, et il reflète le traumatisme qu’a été pour Voltaire et ses contemporains le tremblement de terre de Lisbonne en 1755. La tradition scolaire a mis l’accent sur cette question du mal, notamment en s’emparant du dernier chapitre, dont nous verrons qu’elle l’a traité de manière surprenante.
Candide est un « conte philosophique », c’est-à-dire un récit qui comporte une dimension démonstrative, et qui traite de questions « philosophiques » - le mal en est une, bien sûr. Mais l’adjectif comporte aussi une autre signification : il désigne une manière de faire qui, aux antipodes du texte édifiant, ne consiste pas à imposer au lecteur une vérité toute prête mais à lui suggérer la nécessité de la mise à distance de divers schémas de pensée sans lui dire par quoi les remplacer : c’est bien la moindre des choses qu’un auteur qui a milité pour la liberté d’examen et l’esprit critique ne prétende pas penser à la place de son semblable. Si l’autonomie critique est une des formes du bien, ce serait mal de livrer au lecteur un texte édifiant, un prêchi-prêcha ; mais le lecteur est prié d’être attentif et intelligent (autant que faire se peut) s’il veut être en mesure de penser le mal avec Voltaire.
Pour mener à bien cette brève analyse, nous devrons dans un premier temps évoquer rapidement la question du mal chez Voltaire, et plus particulièrement sa critique de l’optimisme philosophique, pour parler ensuite de la conception voltairienne de la philosophie, avant de nous intéresser au dénouement du conte.
I - Voltaire et le problème du mal
La question du mal au XVIIIe est en partie (et en tout cas pour Voltaire) celle de l’ « optimisme », doctrine philosophique qui procède de Leibniz et consiste à dire que la faiblesse de l’esprit humain lui interdit de pénétrer le « plan divin », les « desseins de la Providence », c’est-à-dire de percevoir la totalité du réel et de l’Histoire, totalité au sein de laquelle ce qui semble un mal à l’homme contribue en fait à un bien global. Le débat est à la fois complexe, parce que la théologie et le bon sens s’y heurtent, et périlleux, parce que contester l’existence de la Providence (l’existence d’un dessein de Dieu, qui par définition ne saurait viser le mal), c’est mettre en cause le catholicisme. Dans la préface qu’il écrit pour son « Poème sur le désastre de Lisbonne[1] » publié en 1756, Voltaire rappelle l’évidence reconnue par tous les hommes, dit-il, selon laquelle « il y a du mal sur la terre ». C’est pourquoi « le mot ‘‘Tout est bien’’ […] n’est qu’une insulte aux douleurs de notre vie », et il se moque du discours « optimiste » qui consisterait à dire aux habitants de Lisbonne (c’est un discours que Pangloss serait susceptible de tenir) qu’après le tremblement de terre les maçons seraient plus prospères, certains animaux, nourris par les cadavres, plus gros, etc. Ce qu’il faut, ajoute Voltaire, c’est se résigner à l’existence du mal, à considérer que son origine est une énigme, et qu’il est nécessaire d’espérer en un au-delà de la vie et de croire en la « bonté de la providence », en l’incapacité des lumières naturelles de la raison à rendre compte, d’un point de vue métaphysique, du mal. Voltaire s’en prend ici à une tradition religieuse et philosophique très sophistiquée qui s’est acharnée à fournir des interprétations métaphysiques de l’existence du mal. Il leur oppose sa propre conviction religieuse (croyance en un au-delà, existence d’une providence) qui permet à l’homme d’espérer, de croire en une divinité encline au bien, mais pas de résoudre ce mystère du mal. Il écarte aussi une polémique qui fait rage chez les métaphysiciens du temps et qui consiste à poser une alternative embarrassante autant qu’irréductible : si Dieu est bon et que le mal existe, c’est que Dieu n’est pas tout-puissant ; si Dieu est tout-puissant et qu’il laisse subsister le mal, c’est qu’il n’est pas bon.
Voltaire propose donc de délaisser un questionnement métaphysique qui lui semble stérile ; en revanche, il s’intéresse aux mécanismes par lesquels l’homme est conduit à faire le mal, dans la perspective d’une anthropologie fondamentale donc qu’il a développée dès 1735 dans son Traité de métaphysique. L’homme fait le mal, dit-il, en mésusant et en abusant des passions et des besoins dont la bienveillance divine l’a doté comme autant de ressorts qui le font agir dans le sens de l’accomplissement des fins providentielles : la vie sociale, l’extension des arts et des plaisirs. l’homme est d’ailleurs également pourvu d’instincts universels qui lui permettent d’identifier le bien et le mal, et chacun peut ainsi se référer à des critères qui le sont tout autant[2] : « La vertu et le vice, le bien et le mal moral, est donc en tout pays ce qui est utile ou nuisible à la société ».
Au rebours cette approche qui s’applique à prendre au sérieux les modalités individuelles et collectives de l’existence des hommes, l’optimisme pèche doublement : il nie la souffrance des hommes en prétendant adopter le point de vue de Dieu, et il constitue ainsi une illustration paradigmatique des dégâts occasionnés par l’esprit de système. Mais pour comprendre les enjeux de l’opposition de ces deux perspectives, il faut évoquer la conception voltairienne de la philosophie.
II – La philosophie selon Voltaire
On saisit très bien les enjeux de cette opposition dans un texte de 1734 intitulé les Lettres philosophiques. Voltaire a dû s’exiler en Angleterre à la suite d’un conflit avec un aristocrate, et il y découvre deux choses dont il rend compte dans cet ouvrage: la monarchie parlementaire et l’empirisme philosophique et scientifique. Cette découverte va l’aider à mettre en forme l’opposition mentionnée ci-dessus. D’un côté, une philosophie qui se préoccupe essentiellement de métaphysique, se prolonge en une théologie dogmatique volontiers anti-humaniste qui dévalorise le séjour terrestre, fait de l’homme l’esclave d’une Dieu vengeur et ne se préoccupe guère des moyens d’amender le sort des hommes. Voltaire fige cette représentation dans les deux dernières « lettres », consacrées à Pascal, qui en devient l’incarnation. De l’autre côté, l’Angleterre illustre le goût pour une philosophie rationaliste et empirique, qui part du réel et de l’expérience, est indissociable d’un élan scientifique qui lui-même constitue la promesse d’une emprise sur le réel indispensable à ceux qui se préoccupent d’amender le monde des hommes. Parallèlement, ce goût pour l’empirisme et la rationalité débouche sur l’esprit critique, la tolérance, une sorte de diversité et de conflictualité sociale pré-démocratiques, et donc une société plus propice à l’épanouissement des individus, abrités du fanatisme et de l’arbitraire royal (on l’a déjà suggéré ci-dessus, tout ceci est indissociable de l’avènement du parlementarisme). Bref, Voltaire constate en Angleterre comme une mutation de la raison : elle n’est plus l’outil dont la tâche la plus noble est la compréhension des « mystères » (au sens chrétien du terme), elle n’est plus avant tout tributaire du partage entre raison et foi, elle est l’outil de la connaissance, de l’examen critique et du libre choix.
Car la question de la liberté, elle aussi, est transformée : elle n’est plus celle de la confrontation entre la volonté de l’homme et celle de Dieu, mais la capacité à faire ce que l’on est conduit à vouloir comme être raisonnable, sans qu’une instance s’interpose pour imposer ses propres vues. La liberté est d’abord la liberté de penser, de l’examen critique permettant la réfutation des diverses mystifications qui assurent, grâce à la collaboration du pouvoir et de la religion, la pérennisation de la tyrannie, c’est-à-dire du mal politique. Tout cela est indissociable du progrès, c’est-à-dire de l’amélioration du sort de l’homme (comme individu et comme espèce), et de la question de l’action. Par là, nous en arrivons à Candide (et à Candide).
III – Le mal dans Candide
Commençons par une citation de Jean Goldzink (Voltaire de A à Z, notice « Mal » - largement exploitée dans cet exposé -, Hachette 1994) :
Comme le mal met en jeu la Divinité, la raison, l’Histoire, le bonheur, l’amour, la société, les passions, tout conte voltairien relève de sa juridiction philosophique, et toute destinée de personnage prend valeur de parabole dans la balance des peines et des plaisirs. Le mal est au point le plus sensible et le plus dramatique de la philosophie, [car il n’est] pas autre chose que le face-à-face de Dieu et de l’homme, de l’homme et du monde, et il est à la jointure de l’écriture abstraite et de l’écriture narrative.
Dans le cas de Candide, le rapport à la question du mal est exhibé dès le titre, qui est en fait, on le sait, Candide ou l’optimisme, titre qui prend davantage de sens peut-être si l’on sait qu’à l’optimisme voltaire voulait substituer le « méliorisme », position qui consiste à dire qu’il ya globalement plus de bien que de mal, et que cette proportion peut encore être améliorée, sous réserve d’éduquer les hommes et de s’appliquer à transformer le monde (notamment en luttant contre l’intolérance, la superstition, et l’arbitraire[3]).
Comme le montre sa présentation dans l’incipit, Candide est un héros programmé pour faire l’épreuve d’un monde dans lequel les innocents ne sont pas à la noce : c’est
un jeune homme à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit avec l’esprit le plus simple ; c’est […] pour cette raison qu’on le nommait Candide.
Rien de mieux qu’un héros innocent (aux deux sens du terme : qui ignore le mal, et que sa naïveté prédispose à prendre des coups) pour illustrer un monde dans lequel le mal fait rage[4], et en être victime, surtout si le jeune homme est formé par une sorte de mystificateur au raisonnement mécanisé (c’est Pangloss, bien sûr), et qui tient le langage que voici (4e paragraphe) :
Il est démontré que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes. Aussi portons-nous des lunettes […] et, les cochons ayant été faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année ; par conséquent, ceux qui ont dit avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux.
Passons sur le détail des aventures de Candide, pour remarquer simplement que chaque fois que se produit une embellie, il s’exclame triomphalement, au mépris de son expérience, que Pangloss avait raison, que tout est bien, et venons-en aux deux derniers chapitres, dont une curieuse tradition scolaire nous dit qu’ils livrent une leçon de sagesse souriante.Candide et ses petits camarades (car un certain nombre de personnages se retrouvent, par la grâce de récit, à Constantinople) découvriraient en définitive la solution pour se soustraire au mal et instaurer une forme de sérénité ; cette solution consiste à acheter un petit bout de terrain, à le mettre en culture et à cesser d’attendre de l’existence amour, gloire et enthousiasme, à renoncer à gamberger – bref, il faut « cultiver son jardin », selon un précepte inventé et mentionné à deux reprises par Candide, qui aurait une magnifique portée allégorique et nous convaincrait de la nécessité de nous résigner plutôt que de courir le monde à la poursuite de chimères. On connaît le public idéal de ce genre de « morale » : c’est celui que l’on caricature sous les traits du bourgeois ventru et essoufflé des années 1840, celui dont il ne faut pas dire qu’il ne rêve pas, mais bien plutôt qu’il est terrorisé par ses propres rêves[5]. Telle serait la sagesse proposée par Voltaire : opposons au mal qui règne dans le monde extérieur et à nos propres démons cette activité éminemment raisonnable qu’est le travail de la terre, source de richesse et de satisfaction, comme le dit d’ailleurs le vieillard qui est le prescripteur de Candide dans cette affaire : « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ». Voilà qui est certes un beau projet au regard des délires en échappement libre de Pangloss et de l’oisiveté délétère de nos héros. Mais, comme dirait à peu près T. Gautier, s’empêcher de succomber au mal, est-ce connaître le bien et le bonheur, dont on sait à quel point les philosophes du XVIIIe y sont attachés ? Voyons donc les choses de plus près.
Faisons d’abord un état des lieux, au sens géographique du terme. La scène se passe à Constantinople. Constantinople, ses mosquées, ses loukoums, ses baklavas, son Bosphore, le mausolée d’Atatürk, etc. Pas du tout. Constantinople est la capitale de l’Empire ottoman, c’est-à-dire du despotisme – autant dire du mal - selon une tradition qui remonte au XVIIe siècle[6]. Ce n’est donc pas vraiment le genre d’endroit propice à un dénouement euphorique. Voyez par exemple, dans ce fameux chapitre conclusif, ce à quoi assistent nos héros :
On voyait souvent passer sous les fenêtres de la métairie desbateaux chargés d’effendis, de bachas, de cadis [il s’agit, pour simplifier, de différents dignitaires], qu’on envoyait en exil à Lemnos, à Mitylène, à Erzeroum. On voyait venir d’autres cadis, d’autres bachas, d’autres effendis, qui prenaient la place des expulsés et qui étaient expulsés à leur tour. On voyait des têtes proprement empaillées qu’on allait présenter à la Sublime Porte.
Voilà qui est caractéristique des régimes despotiques : le tyran est seul au pouvoir et vit dans la crainte, et développe même une sinistre paranoïa qui le conduit à semer la mort autour de lui et à destituer par un caprice morbide ceux qu’il a promus par une faveur imprévisible – et personne n’est à l’abri de ce mal contre lequel on ne peut se défendre. D’où les propos du « bon vieillard » qui va donner aux héros cette fameuse leçon de sagesse, lorsque celui-ci lui demandent ce qui s’est passé (il s’agit de l’exécution d’un énième muphti) :
Je n’en sais rien, et je n’ai jamais su le nom d’aucun muphti ni d’aucun vizir. J’ignore absolument l’aventure dont vous me parlez ; je présume qu’en général ceux qui se mêlent des affaires publiques périssent quelquefois misérablement, et qu’ils le méritent ; mais je ne m’informe jamais de ce qu’on fait à Constantinople ; je me contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive.
Voici comment l’on vit à Constantinople : pas en citoyen éclairé qui prend par à la vie de son pays (comme dans le tableau un peu flatté de l’Angleterre qu’offrent les Lettres philosophiques) mais comme des victimes potentielles du grand holocauste despotique[7] ; pour survivre, pour ne pas courir le risque d’être liquidé comme un témoin gênant, il faut détourner les yeux, ne rien savoir des affaires publiques. Peut-on croire un instant que ce modèle, dont Candide va prétendre s’inspirer, est crédible aux yeux de Voltaire ? Pour se convaincre que c’est impossible, il suffit se reporter aux propos de Martin, le pessimiste de la bande, qui vont « convertir » tous ses petits camarades (c’est la clausule de l’avant-dernier paragraphe du conte) : « Travaillons sans raisonner ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable ». Voilà bien un idéal digne des Lumières ! « Abrutissez-vous », comme disait Pascal (tiens donc …) à ceux qui prétendaient au contraire chercher la foi par la raison.
Où est l’erreur ? Dans l’acceptation et l’usage de la raison, indûment convoquée ici par Martin, lequel s’est déjà, dans ce même chapitre signalé par une appréciation de la condition humaine singulièrement dépourvue de nuances :
Martin surtout conclut que l’homme était né pour vivre dans les convulsions de l’inquiétude, ou dans la léthargie de l’ennui. Candide n’en convenait pas, mais il n’assurait rien. Pangloss avouait qu’il avait toujours horriblement souffert ; mais ayant soutenu une fois que tout allait à merveille, il le soutenait toujours, et n’en croyait rien.
Partant de telles postures intellectuelles, il n’est pas étonnant que ces éclopés de l’existence en arrivent à se rallier à un projet qui les conduira à s’abrutir de travail. Mais leur problème est qu’ils ignorent la raison philosophique voltairienne et restent prisonniers de la métaphysique et sont coincés dans cette capitale du mal où ils ne peuvent par définition envisager d’œuvrer pour le bien, mais seulement de trouver un moindre mal. Cette situation de blocage nous est confirmée par l’épisode de la rencontre du derviche (même chapitre) :
Il y avait dans le voisinage un derviche très fameux, qui passait pour le meilleur philosophe de la Turquie ; ils allèrent le consulter ; Pangloss porta la parole, et lui dit : « Maître, nous venons vous prier de nous dire pourquoi un aussi étrange animal que l’homme a été formé.
- De quoi te mêles-tu ? dit le derviche, est-ce là ton affaire ? - Mais, mon Révérend Père, dit Candide, il y a horriblement de mal sur la terre. - Qu’importe, dit le derviche, qu’il y ait du mal ou du bien ? Quand sa Hautesse envoie un vaisseau en Égypte, s’embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à leur aise ou non ? - Que faut-il donc faire ? dit Pangloss. - Te taire, dit le derviche. - Je me flattais, dit Pangloss, de raisonner un peu avec vous des effets et des causes, du meilleur des mondes possibles, de l’origine du mal, de la nature de l’âme et de l’harmonie préétablie. » Le derviche, à ces mots, leur ferma la porte au nez.
Ce dialogue est irrésistible dans sa noirceur : d’un côté, le porte-parole d’un dogmatisme religieux résolument anti-humaniste (les hommes sur la terre sont comme des souris dans la cale d’un navire) dont on devine les liens avec le pouvoir despotique (« Quand sa hautesse … »), en fonction d’une homologie évidente pour le lecteur « philosophe » de Voltaire (le dogmatisme anti-humaniste est en religion ce qu’est le despotisme en politique : une incarnation du mal) et d’une collusion elle aussi évidente ; de l’autre un métaphysicien qui a certes retourné sa veste (il disait dans le premier chapitre que tout est bien) mais qui reste prisonnier à la fois d’un formalisme intellectuel et d’un type de questionnement sans objet, ce dont le derviche tire les conséquences en claquant la porte au nez de Pangloss (pourquoi perdre son temps à discuter avec un dingue ?).
L’ultime échange entre Pangloss et Candide confirme la nature du ratage :
Toute la petite société entra dans ce louable dessein [formulé par Martin]; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n’y eut pas jusqu’à frère Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de Mlle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. - Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.
Voici Pangloss revenu à l’optimisme, concaténant les faits et les événements les plus hétérogènes, d’importance fort variable, pour en arriver à ce résultat qui tourne en dérision la notion de providence : manger des cédrats confits. Et il n’existe pas d’autre moyen de mettre fin à ce délire panglossien que de lui rappeler la nécessité du travail – un travail voué non pas à changer le monde, à se rendre «comme maître et possesseur de la nature », selon la formule de Descartes, mais à préserver de l’ennui et des tourments d’une stérile inquiétude métaphysique des gens qui n’envisagent pas de meilleur usage de leurs facultés pensantes et qui ont élu domicile dans la capitale du mal.
*****
On voit donc que la question du mal occupe une place importante dans ce conte et que, conformément au principe du conte philosophique et à celui de l’ironie, Voltaire y dénonce les errements de ceux qui entretiennent une vision du mal dépourvue de pertinence (qu’il s’agisse du pessimisme de Martin, de l’optimisme de Pangloss, ou de la perplexité de Candide, qui attend que la réalité lui permette enfin d’adopter un point de vue univoque sur la question) et de ce fait entretiennent avec le monde un rapport biaisé leur interdisant le domaine de l’action[8]. Comme le montre l’ultime réplique, la chose essentielle, ce à quoi il ne faut surtout pas renoncer, à défaut d’ambitions plus constructives, c’est faire taire ceux qui nient l’existence du mal, et leur rappeler la nécessité de s’ancrer dans le réel. Mais il ne s’agit là que d’un moindre mal, et presque pas d’un bien, qui est pourtant le corollaire indispensable de toute réflexion sur le mal, indissociable de ce qui dans une très veille tradition philosophique, se nomme le bonheur, lequel n’est pas même ici un horizon lointain : il suffit pour s’en convaincre de se rappeler que Candide a couru le monde à la poursuite de la belle Cunégonde, et qu’il l’a retrouvée à Constantinople laide au point qu’il a marqué un temps de recul, et acariâtre. Autant dire que ce conte philosophique prend le contrepied de ces contes dans lequel le mal est conjuré pour toujours avec la formule rituelle qui ouvre sur le temps indéfini de la plénitude : « ils furent heureux et eurent de nombreux enfants », perspective à laquelle Voltaire oppose celle d’une dégradation continue dont Cunégonde est l’emblème, elle qui, nous dit-on, devient « tous les jours plus laide, […] acariâtre et insupportable ». Candide, ou le pessimisme ? En tout cas, il est difficile de ne pas lire ce fameux dénouement comme un sauve-qui-peut, même servi avec des cédrats confits (cuisinés par Cunégonde) et des pistaches …
Apostille
Il manque à la conclusion ci-dessus un commentaire qui porterait sur la coloration « infra-philosophique » du dénouement. L’infra-philosophique est selon Fr. Jullien (Du mal / du négatif) ce dont la philosophie ne se préoccupe pas, parce qu’elle n’y trouve rien à élaborer ni à réfuter – l’évidence du mal et de la souffrance dans leur trivialité, reflétée par des énoncés eux-mêmes saturés de trivialité (« Faut s’en voir », dit-on dans la langue populaire de Saint-Etienne pour évoquer la part de souffrance banale indissociable de la condition humaine). Il me semble que c’est quelque chose de cet ordre qui sature aussi le dénouement de Candide : au-delà et en-deçà de la polémique avec Leibniz et de la critique « réformiste », et aussi du registre du conte philosophique (quoique …), le caractère pour ainsi dire récapitulatif de la réunion de cette bande d’éclopés (au propre comme au figuré) dit en somme à quel point il est plus facile de rater sa vie que de l’accomplir. La parfaite réussite de ce dénouement réside ainsi dans une magnifique convergence : ce ratage illustre d’abord de manière pour ainsi dire synthétique la prégnance triviale du mal, et l’ « optimisme » philosophique de Leibniz est balayé, de manière bien plus brutale que par le caractère analytiquement démonstratif du conte, par le caractère désespérant de ce colloque de losers, bien que et parce que l’affaire se joue sur un autre plan, au ras de l’expérience de la condition humaine dans ce qu’elle a de plus banal et de plus fâcheux. Ensuite, ce dénouement retourne bien évidemment la clausule topologique du conte traditionnel : ils ne sont pas heureux, et ils n’auront pas de beaux enfants ; ce retournement est d’ailleurs un excellent exemple d’ « ironie paradigmatique » (Philippe Hamon), et la stabilisation existentialo-économique qu’autorise le modèle du jardin laborieux, illustration du moindre mal plutôt que du méliorisme voltairien, doit être mesurée au regard de ce détournement qui montre au passage les limites (existentielles et spirituelles : « Travaillons sans raisonner » a dit Martin) de ce modèle d’inspiration physiocratique. Enfin, l’alacrité voltairienne ne succombe pas à ce ratage ; bien au contraire, c’est la dissonance (Ph. Hamon) qui caractérise les derniers paragraphes, et le lecteur trouve en elle son salut, notamment dans la distance qu’elle pérennise à l’égard des héros et de leur destin : c’est terrible, accablant (jusque dans le registre de la consolation utilitaire et du transfert libidinal : Cunégonde qui devient une bonne cuisinière), mais c’est irrésistible. Car c’est aussi de l’humour, hors duquel, qui ne le sait, nous ne saurions nous sauver du mal et survivre à nos propres désastres.
[1] Rappelons de quoi il s’agit : le 1er novembre 1755, un tremblement de terre suivi d’un ras de marée et qui provoqua un énorme incendie détruisit la fastueuse Lisbonne, causant au passage à peu près 30 000 morts. Ce fut pour l’Europe un traumatisme considérable, qui redonna toute son acuité au débat sur le mal et la Providence.
[2] Par opposition au bien mensonger et mystificateur promus par exemple par les religions institutionnelles, selon lesquelles vivre conformément au bien c’est aller à la messe, obéir à l’Eglise, etc.
[4] Sade perfectionnera ce procédé en construisant pour sa part un diptyque de deux romans : Justine ou les infortunes de la vertu / Juliette ou les prospérités du vice.
[6] Les adversaires politiques de Louis XIV (les protestants notamment) décrivaient volontiers son royaume sous les traits de l’Empire du Grand Turc, selon un procédé auquel Voltaire lui-même recourt dans sa pièce Mahomet ou le fanatisme (dans laquelle il veut avant tout dénoncer la papauté) ou dans un texte très drôle qui s’intitule De l’horrible danger de la lecture.
[7] Le « bon vieillard » qui donne une véritable leçon de sagesse, ce n’est pas celui-ci, c’est celui que Candide rencontre dans l’Eldorado (dans un royaume utopique, donc, mais dans lequel la monnaie en usage est la livre-sterling …), au chapitre XVIII, qui est « le plus savant homme du royaume », et un véritable philosophe, qui parle de morale, de religion, d’Histoire, de politique et de commerce, pas un patriarche dominé par la peur et dont l’idéal de vie (l’éthique serait-on tenté de dire) est en définitive assez misérable.
[8] Une action dont le travail dans le jardin est dans une certaine mesure une parodie, même si les protagonistes en retirent, à en juger par le dernier paragraphe, une indéniable satisfaction, même si Voltaire, bien sûr, condamne l’oisiveté, croit en la capacité à entreprendre qui permet à l’individu de contribuer à la prospérité de son pays en exploitant ses talents.
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