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10/12/2013

Plaidoyer pour les prépas

« UN PROF DE PREPA, C’EST QUELQU’UN QUI TRAVAILLE DEUX JOURS PAR SEMAINE ET QUI GAGNE 10.OOO EUROS PAR MOIS » (opinion commune).

 

 

            Le « prof » (qui songe encore à dire « professeur » ?) est devenu un personnage ridicule, qu’on regarde avec un mélange de mépris et de pitié. Mais il existe un sous-groupe qui provoque plutôt la haine, c’est celui que visent les propos ci-dessus. Examinons les légendes sur lesquelles repose cette détestation.

 « Un prof[esseur] de prépa travaille deux jours par semaine » FAUX .  Un professeur de prépa donne 9 H de cours hebdomadaires ; certes, il est possible de les « bloquer » sur deux journées. Mais 1) peu de gens le souhaitent : l’état de concentration que réclament ces heures de cours est assez fatiguant, et il est sans intérêt de transformer en courses de fonds ce qui est par ailleurs une tâche très plaisante. 2) L’essentiel du temps d’un professeur de prépa est consacré à la préparation des cours. Nous savons qu’il est très difficile de l’expliquer à nos concitoyens, mais derrière 1H de cours, il y a des heures de travail : personne n’est capable de faire un cours de 2h à destination d’étudiants (il s’agit donc d’enseignement supérieur) sur l’idée de nature au XVIIIe siècle sans lire divers ouvrages à partir desquels il faut ensuite concevoir le cours. 3) La correction de copies occupe elle aussi un temps considérable : pour une dissertation en classe littéraire, compter entre 40 mn et 1H (une classe entière compte entre 35 et 50 élèves …). Conclusion : on ne fait pas ce métier si l’on souhaite travailler 35 heures par semaine.

« Un prof[esseur] de prépa gagne 10.000 Euros par mois » : FAUX . 1) On cite régulièrement des cas de ce genre. Ils représentent une frange minuscule de professeurs qui cumulent un grand nombre d’heures supplémentaires et d’interrogations orales individuelles. 2) un professeur qui débute en prépa (avec 3ou 4 années d’ancienneté) touche son salaire d’agrégé (environ 2400 Euros) auquel s’ajoute une indemnité mensuelle pour « fonction particulière » de 90 Euros. S’il effectue  des heures d’interrogation orale, qui lui seront payées aux environs de 50 E de l’heure, à raison de 2H par semaine, nous arrivons à 2800 E environ. 3) Passons sur la multiplicité des cas qui existent entre ces deux extrêmes.

 « Un prof[esseur] de prépa n’a pas de compétence particulière et fait le même travail qu’un prof[esseur] du secondaire » : FAUX. 1) Tous les professeurs de prépa sont agrégés (au moins 5 ans d’études supérieures), certains sont docteurs (4 ans de recherche), beaucoup siègent dans des jurys de concours, exercent une activité de recherche, sont auteurs d’ouvrages universitaires. 2) Leur public est un public d’étudiants, et par définition ils ne font donc pas les mêmes cours que leurs collègues du secondaire.

 « Un prof[esseur] de prépa est surpayé » : FAUX . 1) voir les rubriques ci-dessus. 2) Comparez le niveau de qualification et de rémunération d’un professeur de prépa et celui d’un officier supérieur, d’un ingénieur issu d’une grande école, d’un cadre commercial ou d’un haut-fonctionnaire. 3) Merci de ne pas rire. 4) on ne fait pas ce métier d’abord pour gagner de l’argent. 5) Mais il ne faut tout de même pas exagérer et croire que nous accepterons de voir notre salaire révisé à la baisse. 6) Dans un pays qui, pour recourir à une formulation consensuelle esquivant le clivage gauche / droite, se prétend héritier d’une Troisième République humaniste, et qui devrait donc considérer que la formation du citoyen est une priorité absolue et une tâche aussi noble qu’essentielle, on peut s’étonner que les comparaisons établies ci-dessus ne constituent pas le cadre de référence de toute discussion sur le montant de notre rémunération. Il est vrai que nos concitoyens sont habitués à considérer qu’un professeur ne mérite guère qu’un salaire modeste ; cela n’est pas pour rien dans le discrédit qui pèse sur la profession et les actuelles difficultés de recrutement (quels professeurs pour vos enfants demain ? Des gens qui n’auront pas pu faire autre chose ? Quels élèves pour ces gens ? Ceux dont les parents n’auront pas assez d’argent pour les envoyer dans des établissements privés où les formeront de super-professeurs ?).

 « Un professeur de prépa fait chaque année le même cours : ce n’est pas fatiguant, on peut donc lui demander de faire autre chose, ou baisser son salaire » : FAUX. 1) C’est tellement grotesque que c’en est drôle. 2) Une personne saine d’esprit peut-elle vraiment croire que faire un cours de haut niveau en mathématiques ou en physique revient à lire distraitement devant des étudiants un exposé tout prêt ? Il faut évidemment refaire par soi-même tout le cheminement intellectuel de la démonstration, se la réapproprier, pour être en mesure d’y initier les étudiants. 3) Les connaissances évoluent : un cours élaboré voici 3 ans sur tel aspect de la génétique est aujourd’hui obsolète, un cours sur la première Guerre Mondiale qui  ne tiendrait pas compte de l’immense renouvellement des connaissances en la matière depuis 10 ans ne vaudrait pas grand-chose. Nous devons donc procéder à des mises à jour régulières de notre savoir. 4) Les « littéraires » (historiens, géographes, philosophes, professeurs de  littérature française et étrangère) ont des programmes qui changent chaque année. Qui croirait que l’on peut recycler un cours sur Rabelais dans un cours sur Proust ? 5) Par ailleurs, nous participons tous à la préparation de concours très variés, pour un nombre d’étudiants très variable, autres que ceux que nous préparons systématiquement en leur consacrant nos cours. Par exemple : certains des  étudiants de la filière littéraire (les « khâgneux ») préparent parfois la prestigieuse Ecole du Louvre, et sont soumis à des épreuves très différentes de celles de l’ENS (que présentent tous les khâgneux). Certains collègues se chargent d’assurer une préparation spécifique.

 « Un professeur de prépa combine le sadisme et le mépris. Une atmosphère de terreur règne dans les cours ; les étudiants sont tous sous anti-dépresseurs et sont encouragés à entretenir des relations de concurrence » : FAUX. 1) Ridicule. 2) Demandez aux étudiants. 3) Tous les étudiants disposent de nos coordonnées personnelles (téléphoniques et électroniques), font appel à nous très naturellement, n’importe quand (un classique : le coup de fil du dimanche 21H de l’étudiant(e) qui est en train de préparer un exposé pour le lundi 8 H et qui se laisse submerger par la panique). 4) Lorsqu’un étudiant accumule les absences, que ses résultats s’effondrent, que son attitude reflète un quelconque malaise, etc., nous le voyons et nous en inquiétons. 5) Très peu d’étudiants « décrochent » en cours d’année, en dépit de l’ampleur du travail qu’ils fournissent : cela doit bien signifier quelque chose …. 

FAUX : « Un professeur de prépa travaille de septembre à avril (et encore : sans compter les petites vacances !)». 1) Les professeurs de première année enseignent jusqu’à la dernière semaine de juin. 2) Les professeurs de 2e année jouissent d’une période bénie aux environs des vacances de pâques, quand leurs étudiants préparent puis passent les concours. Ensuite, en mai et juin, ils œuvrent à la préparation des oraux. 3) de mai à juillet inclus, tous ceux qui siègent dans des jurys de concours corrigent des copies et participent aux oraux. 4) Les professeurs des classes littéraires ont connaissance des programmes de l’année suivante aux environs de mai ; ils commencent leur travail de manière à fournir fin juin des bibliographies et diverses indications à leurs futurs étudiants ; ils poursuivent ce travail pendant l’été. 5) Pendant l’année, une partie des vacances est consacrée à la correction de copies et à la préparation des cours. 6) Dans ce métier, pour qui le désire, il est possible de travailler 70 heures par semaine pendant les 12 mois de l’année ; comme nous ne sommes ni des saints ni des héros, et qu’il est souhaitable que nous ménagions un certain équilibre mental, la plupart d’entre nous ne le font pas et adoptent un rythme plus conforme à la résistance moyenne d’un organisme et d’un cerveau; pour ce qui est de l’aspiration aux 35 heures, voir ci-dessus. 

 « Un professeur de prépa enseigne face à un public de privilégiés ; lors de l’inscription, tous ceux dont les parents gagnent moins de 5000 E chacun et qui ne peuvent présenter une recommandation d’un député, d’un chef d’entreprise du CAC 40 et d’un universitaire connu, sont refoulés : on les envoie casser des cailloux dans la montagne» : FAUX. 1) Inepte. 2) l’inscription en classes prépa est gratuite. 3) Les étudiants de classes prépa sont recrutés par des commissions de professeurs au terme de l’examen de leurs seuls résultats scolaires. Ils viennent de milieux très divers, de toutes les filières des lycées d’enseignement général ; certaines classes permettent à des étudiants nantis d’un BTS ou d’un DUT de préparer des Ecoles d’ingénieur et d’envisager ainsi  des carrières plus prometteuses : quel rapport y a-t-il entre cette réalité et la caricature qui voudrait que nos classes soient peuplées essentiellement de fils d’ambassadeurs et d’héritiers des industries du luxe, et que les CPGE (Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles) soient un système qui équivaut à faire payer les études des riches par les pauvres (admettons que c’est M. Deleautrouble qui l’a dit)? 4) A Champollion, nous comptons 30 % de boursiers. 5) S’il existe une institution qui permet à des étudiants originaires de milieux modestes, ou parfois arrivés en France dans des conditions très difficiles, d’obtenir une promotion sociale, ce sont bien les classes prépa.  6) Cela s’appelle l’élitisme républicain. Contrairement à ce que la démagogie de touts bords veut faire croire à la population, « élite » n’est pas un gros mot : une élite, c’est un groupe qui fournit sur le plan moral, intellectuel, technique et scientifique l’encadrement et la dynamique dont aucune société ne peut se passer – pas un groupe de profiteurs qui captent indûment les richesses de la nation. C’est ainsi que l’ENS forme dans toutes les disciplines des chercheurs et des professeurs, les Arts et Métiers des ingénieurs appelés à jouer un rôle important dans la réindustrialisation du pays, HEC des économistes, etc.  

 « Un professeur de prépa jouit d’un grand privilège : ses étudiants sont disposés à beaucoup travailler, s’intéressent à ce qu’ils font, sont curieux, vifs d’esprit, et par ailleurs courtois, aimables, d’un commerce agréable » : EXACT - Cela mérite-t-il une punition ?

 

            « Il faut détruire les classes prépa parce que ça marche » (Marcel Deleautrouble, technocrate interrogé par hasard lors d’un radiotrottoir ). Si M. Deleautrouble avait fait une classe prépa, il serait rodé  aux exigences de la dissertation, et il trouverait que l’argument est un tantinet paradoxal ; peut-être irait-il jusqu’à se demander s’il est bien raisonnable de détruire une belle machine comme celle-ci ; peut-être comprendrait-il que son fonctionnement tient à ce que ceux qui l’assurent sont heureux de faire ce métier, de s’y consacrer, aussi à ce que  l’E.N. les a jusqu’à présent moins malmenés que leurs collègues du secondaire. 

 

            Nous sommes effarés par la démagogie de tous les Deleautrouble, et par la stratégie d’un ministre qui recourt à des recettes certes éprouvées mais qui n’en sont pas moins pitoyables pour délégitimer notre combat : nous n’agissons ni par « conservatisme », ni par « corporatisme », mais parce que l’atteinte que nous subissons est injustifiée, parce que nous défendons une institution à laquelle nous croyons, et que, à défaut de penser que nous sommes irremplaçables ou que nous allons sauver le pays (nous n’avons pas cette naïveté), nous savons que notre travail et le cadre dans lequel il se déroule sont pour le moins utiles et conformes aux exigences du bien commun. La « réforme », la « modernisation » sont aujourd’hui dans la bouche du ministre (comme elles l’ont été dans la bouche d’autres gouvernants il n’y a pas si longtemps) l’habillage de projets qui à terme, d’une manière ou d’une autre, sont des entreprises de liquidation. Pour ce qui est d’une réforme digne de ce nom, nous y sommes tout disposés, car notre goût pour notre travail n’a d’égal que notre bonne foi, qui dans cette affaire-là n’est pas la chose du monde la mieux partagée.

15:41 Publié dans Tribune | Lien permanent | Commentaires (0)