11/09/2012
DE LA CORRECTION NEGATIVE (à l'usage des étudiants d'hk et de kh)
G. Barthèlemy
DE LA CORRECTION NEGATIVE
A L’ATTENTION DES ETUDIANTS EN CLASSES PREPARATOIRES
Cette note est destinée à expliciter quelques-uns des principes qui guident l’évaluation de vos travaux, oraux et écrits, et quelques-unes des exigences auxquelles vous êtes soumis – toutes disciplines confondues.
Il convient d’abord de préciser ce que l’on entend par correction négative. Vous avez connu jusqu’au baccalauréat le régime de la correction positive. Celui-ci consiste (si l’on simplifie un peu) à rechercher dans le travail de l’élève tout ce qui peut être valorisé et à « oublier » ce qui au contraire pourrait le disqualifier. La correction négative obéit à d’autres principes. Et fondamentalement à celui-ci : on s’adresse à des individus dont on peut exiger beaucoup, parce qu’on leur fait crédit d’une certaine intelligence, et que l’on considère que la mission de l’institution est de donner à tout un chacun une chance d’arriver au meilleur niveau – corrigeant par là les effets de l’inégalité sociale qui dote les uns d’un capital socio-culturel qui leur ouvre l’avenir tandis que les autres doivent trouver ailleurs, c’est-à-dire dans l’institution scolaire, ce que leur milieu n’a pu objectivement leur fournir. Exiger de nos étudiants qu’ils maîtrisent parfaitement les règles de la syntaxe, c’est refuser qu’ils soient – là encore, objectivement – handicapés dans leur cursus universitaire puis dans leur vie professionnelle face à ceux qui seraient « naturellement » (c’est-à-dire en fait par héritage social et culturel – lisez Bourdieu) détenteurs de cette maîtrise.
Concrètement, pratiquer la correction négative signifie : considérer qu’un certain nombre de travers et de fautes dans un travail, oral ou écrit, d’un étudiant en CPGE, sont à la fois inadmissibles et rédhibitoires, disqualifient très largement le travail en question, quelles qu’en soient par ailleurs les qualités. C’est le point de vue des correcteurs du concours de l’ENS et de bien d’autres concours. Prenons deux exemples authentiques (bien qu’anonymes). Quand, à l’occasion d’une explication de texte, un étudiant combine « bien que » avec l’indicatif, on doit considérer qu’il se met lui-même hors-jeu, et que rien ne peut racheter cette énormité qu’un élève du primaire est censé ne pas commettre. Quand dans une lettre de motivation pour telle institution universitaire un autre étudiant écrit deux fois « permetterait » pour « permettrait », vous pouvez être certains que la lettre en question atterrit immédiatement dans la poubelle – et le contraire serait scandaleux. Vous trouverez ci-après une liste non-exhaustive de problèmes rédactionnels, ou d’expression, susceptibles de « plomber » vos travaux.
Sur le plan méthodologique, vous ne devrez pas être surpris si une dissertation dans laquelle le sujet n’a pas fait l’objet d’une analyse digne de ce nom, ou dont l’introduction n’expose pas de problématique, ou d’annonce de plan, est notée forcément, quelles que soient ses qualités, en-dessous de la moyenne. Il en est de même si vous commettez un hors-sujet. Vous avez également eu le temps d’apprendre qu’une dissertation qui n’est qu’une morne récitation du cours ou un résumé d’ouvrages, d’articles, et qui est dépourvue de tout ressort dialectique, ne peut pas non plus être honorée de la moyenne.
Vous devez enfin vous rappeler que les exemples sont indispensables dans une dissertation. En Lettres, vous êtes astreints à la mention régulière et répétée d’exemples pertinents, faisant l’objet d’une analyse spécifique ou intégrés dans des analyses d’ensemble. Il va sans dire (joies de la prétérition) que vous êtes donc conduits à citer le texte dans sa littéralité, et donc à apprendre pour le concours un certain nombre de citations. Axiome : une dissertation sans exemples est un couteau sans manche dont il manque la lame, ou un gigot à l’orientale sans épices, ou un civet de lapin cuisiné à l’eau déminéralisée, ou une fille parfumée à l’air de la grand-rue. Pour le traitement de l’exemple dans la dissertation d’Histoire, notre collègue M. De Becdelièvre a tenu à vous apporter les précisions suivantes :
L'exemple en histoire ? Nature : le fait divers, l'information culturelle, les données chiffrées, la biographie, la présentation d'une exploitation agricole au XIX°s; la description d'un vêtement... tout est recevable. Statut ? Vrai (ou vraisemblable pour peu que le correcteur ne voit pas l'imposture …) ; il ne suffit pas à lui seul à faire autorité mais comme on ne peut exiger une quantité d'exemples sur un même argument, il prouve que le candidat a compris la nécessité d'étayer son propos. Fonction ? Il sert à illustrer un argument ; à démarrer la présentation d'un argument ; sa description peut être à l'origine d'un développement descriptif et donc d'une série d'observations ; il sert parfois de contre-exemple. Au total, l'exemple, au contraire de ce qu'admet la philosophie, prouve que l'historien est un paysan qui patauge dans le pragmatique, un saint Thomas qui a besoin de toucher pour croire, un flic qui veut des preuves et qui veut que ces preuves aient un écho dans des preuves de même tonneau.
Les exigences de la dissertation de Géographie sont, mutatis mutandis, comparables. Le statut de l’exemple dans la dissertation de philosophie est assez spécifique, et votre professeur pourra vous en entretenir.
Sur le plan des contenus, vous devez savoir qu’un certain nombre de bourdes sont elles aussi rédhibitoires : ceux qui considéreraient que Balzac succède chronologiquement à Flaubert, que Ben Laden veut faire pousser partout des synagogues, Raffarin des lieux de culture, et que l’URSS a perdu la Guerre de Crimée, en auraient pour leur argent.
Comme cela était dit, plus allusivement, ci-dessus, vous ne devrez en aucun cas voir dans nos commentaires décrivant vos erreurs, soulignant éventuellement leur gravité, une marque de mépris, mais au contraire de considération : pourquoi désigner leurs erreurs à des gens dont on soupçonnerait qu’ils ne sauraient s’en corriger ? Vous devrez aussi résister à la tentation, si commode, de penser que nous vous accablons pour mieux nous distinguer : seuls les ignorants supposent que le territoire du savoir est étroit et qu’il est possible d’en faire le tour ; nous constatons chaque année, en découvrant de nouveaux programme, en refaisant nos cours, à quel point Socrate est notre maître à tous quand il dit : « je sais que je ne sais rien ». Tout est affaire de degré, et du point de vue de Sirius, notre ignorance n’est pas moins encyclopédique que la vôtre … Mais nous avons quelques années d’avance et, surtout, nous avons intériorisé une certaine forme d’exigence. En route vers l’avenir !
Enfin, parler de « correction négative » ne signifie aucunement que nous ne sommes pas disposés à reconnaître les qualités de votre travail. Si vous retournez les mises en garde qui figurent ci-dessus, vous obtiendrez la recette (quoique l’art de la belle dissertation soit plus subtil que celui d’accommoder le gigot à l’orientale) du devoir réussi. Les rapports du jury de l’ENS offrent volontiers des citations de copies aussi brillantes que solides, qui ont été notées au-dessus de 15/20, et la finalité de notre existence professionnelle est bien moins de recenser des erreurs et des horreurs que de corriger des copies dont les qualités nous impressionneront, et nous réjouiront.
PETIT VADEMECUM DE QUELQUES « FAUTES » COURANTES A EVITER
Ce petit répertoire (que nous vous serions reconnaissants de ne pas trop enrichir cette année par vos apports personnels …) ne prétend pas à l’exhaustivité ; nous voudrions simplement attirer votre attention sur trois points :
- la poursuite d’études « littéraires » implique que l’on entretienne avec la langue une relation à la fois plus étroite et plus exigeante ; c’est l’un des intérêts (et des plaisirs) de ces études. S’il faut absolument vous proposer des modèles, pensez que la verve et l’élégance d’un Paul Veyne ou d’une A. Ubersfeld viennent opportunément souligner leur brio intellectuel.
-Une langue évolue en permanence, mais tout ce qui « arrive » à et dans cette langue n’est pas recevable ; vous êtes responsables de la langue que vous mettez en œuvre, soyez prudents.
- Enfin, il existe un « socle » de la langue et de son usage, qui permet de l’utiliser – de parler et d’écrire en se faisant comprendre – et qui s’appelle la grammaire. Le moins que vous puissiez faire, c’est de respecter la grammaire, dans ses incidences morphologiques et syntaxiques (il n’est pas question ici des quelques fautes d’inattention que l’on s’attend à rencontrer dans n’importe quelle copie rédigée en temps limité).
Les faits incriminés relèvent de deux ordres : d’abord des fautes de langue procédant simplement d’une négligence aussi étonnante qu’intolérable de la part d’étudiants qui passent leur vie dans les livres et qui ont donc tout loisir de s’imprégner des règles et usages linguistiques ; ensuite des faits de langue, des tours syntaxiques, des manières de dire - tous fautifs – qui font l’objet d’un engouement particulier et se répandent rapidement. Vous n’êtes pas sans savoir que les mass-media façonnent assez largement le langage du sujet parlant moyen, et que folliculaires, bateleurs de la radio et de la TV mettent en circulation un certain nombre d’usages en la matière. Petit relevé.
+ Fautes de langue et problèmes d’expression relevant de la génération spontanée:
- transgression des règles de la syntaxe de l’interrogation
- transgression des règles (syntaxiques ou morphologiques) d’accord des verbes ou des substantifs
- transgression de la règle d’accord du participe passé avec « avoir »
- manipulation fautive (de manière récurrente) de la ponctuation (notamment : ignorance des règles présidant à la distribution de la virgule dans la phrase)
- prolifération de chevilles comme « de plus », « en outre », etc. ; on vous a appris au lycée que l’on explicitait la logique de l’argumentation développée grâce à des « connecteurs logiques » ; dans vos esprits distraits, cela a donné : il suffit que je parsème ma phrase de termes comme « de plus », « en outre » , « cependant » (vous ne vous souciez pas toujours de la différence entre ces termes …) pour que ce soit logique. Erreur ! la présence malencontreuse de ces termes exhibe au contraire les discontinuités (fatales en matière dissertative) de votre propos et son défaut de logique (encore plus fatal).
+ Usages aberrants véhiculés par la presse
è à l’oral : Radio et TV ne sauraient être rendues responsables de l’incapacité, généralement constatée, des étudiants à lire oralement autrement qu’en plaquant sur le texte une mélodie préfabriquée (cadence, mélodie, etc) et littéralement insignifiante. En revanche, les journaleux sont coupables de la diffusion dans le public étudiant de deux habitudes parfaitement risibles : l’une consiste à transformer à la fin des mots les « e » muets en « e » moyen, voire à rajouter un « e » moyen à la fin d’un mot qui n’en comporte pas - et toujours en étirant ce « e » après avoir affublé d’un accent d’intensité on ne peut plus inopportun la dernière voyelle: on ne dit plus « une coccinelle », mais une « coccinELL –eeee » ; un « éléphant » mais un « éléphANt – eeee » ; l’autre consiste à articuler toute la phrase ou la période sur une mélodie traînante et plate, comme si elle était pleine d’une effroyable tension contenue, et à la clore sur une brusque tonalité descendante, en étirant démesurément la voyelle finale (comme pour donner à penser, créer du suspens, ou rester coincé dans une position inconfortable).
On se demande encore à cette heure si l’élocution traînante et pâteuse identifiée l’année dernière chez certains khâgneux procède de modèles télévisuels ou de la fascination pour de lointaines banlieues dans lesquelles les pratiques sportives incluent le rodéo automobile et l’enseignement de l’art du body-building aux Pitt-Bulls. Quoi qu’il en soit, ces habitudes articulatoires ne sauraient trouver leur place en khâgne.
J’allais oublier ce que l’on peut nommer conventionnellement le « et virenquois », en hommage à un coureur cycliste dont on est certain qu’il n’a pas absorbé de produit dopant destiné à ses hautes fonctions cérébrales. Ce « et » permet d’enfiler les uns à la suite des autres, sans se sentir tenu à la moindre exigence de cohérence, des énoncés divers et variés, et de confisquer durablement la parole puisque grâce à cette hyperbate dite non-entravée on peut toujours ajouter quelque chose (plus exactement : n’importe quoi).
è A l’écrit :
- la surutilisation de la préposition « sur » ; voir les aberrations du genre : « j’habite sur Trifouilly-les-Chaussettes, en Normanpluie »
- les termes qui n’existent pas : « mature » (pour « mûr »), « positiver » (on ne sait pas pour quoi).
- Ceux qui sont utilisés de façon aberrante : « définitivement » désémantisé et utilisé comme adverbe de phrase, à l’américaine, pour signifier « parfaitement », « tout à fait », etc.
- Les usages syntaxiques aberrants divers: « non-courant » (pour désigner quelqu’un qui ne peut pas courir), et plus généralement « non-ceci », « non-cela » (peut-être sur le modèle du anglais des parasynthétiques privatifs ou antonymiques préfixés en « un » : « unamerican ») ; divers télescopages de prépositions : « il faut réfléchir sur comment on va éviter de commettre les mêmes énormités qu’au Vietnam ») ; le « il est à », dans des énoncés du genre « il est à penser qu’une caricature le représentant avec du persil dans les oreilles lui rendrait justice » (pour « On peut penser … »).
- Les tautologies pitoyables : « permet de pouvoir », « le pouvoir de pouvoir faire », « chercher à trouver », « refuser d’accepter », « se poser la question de savoir … ».
- Les chevilles syntaxiques qui permettent de construire n’importe quoi n’importe comment, donc d’éviter d’élaborer une formulation spécifique donc intellectuellement satisfaisante ; vainqueur toute catégorie, le « par rapport à » , que vous devez bannir totalement de votre langage car neuf fois sur dix, sous la pression de cet usage aberrant, vous l’utiliserez de manière fautive.
- Les outils de mise en relief du thème, qui alourdissent et obscurcissent en définitive le propos – et sont, bien sûr, sur le plan rhétorique, totalement incorrects : « au niveau du pain frais, on dira que … » ; « par rapport à la question de l’émigration clandestine des coccinELL – eeeees (…) » ; méfiez-vous même de la prolifération (c’est nouveau) du « quant à … ».
- Diverses formes de soulignement prétendument expressifs du propos – par exemple l’usage spectaculaire et donc ridicule de l’interro-négation.
- Tout au sommet des aberrations lexicales très actuelles :
° le glissement de « problème » (le fait objectif ) vers « souci » (l’intériorisation, par le sujet, du problème) ; ainsi ne dit-on plus « il n’y a pas de problème » mais « il n’y a pas de souci »
° et enfin, vous l’attendiez tous, le pantonyme universel, fruit d’un jargon qui fantasme la posture de maîtrise et la projette partout, le paradigme lexical de la gestion ! Votre dictionnaire vous dit que l’on ne peut gérer que l’argent et les titres financiers ? Jetez-le ! on « gère » les individus (« qui vous gère ? » vous demandera votre interlocuteur au rectorat), on « gère » sa vie (sic ), on « gère la canicule » (Dieu merci, le ridicule est moins mortel que la susdite canicule, sinon j’en connais qui n’en auraient pas réchappé), et même on « gère » tout court, transitif absolu (« ouais, ouais ! Germaine, elle gère ! » - pour dire que, en dépit du naufrage de sa longue aventure avec Marcel, elle fait face courageusement, ne s'effondre pas, etc).
Courage !
-
05:56 Publié dans Méthodologie, conseils, techniques de rédaction | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.