Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/03/2014

REMARQUES SUR LE DÉNOUEMENT DES LIAISONS DANGEREUSES

        [Texte d'une conférence prononcée par Jean Goldzink devant les khâgneux du Lycée Champollion à Grenoble. Merci à l'auteur qui a autorisé sa publication sur ce blog.]

 

 

    REMARQUES SUR LE DÉNOUEMENT DES LIAISONS DANGEREUSES

 

La fin des LD pose problème. Ou plutôt le devrait. Car depuis 50 ans, la critique vit et vibre, avec une rare unanimité, sur une hypothèse émise en 1967 par T. Todorov. Dans une thèse dirigée par R. Barthes, Todorov tient le raisonnement suivant : le dénouement de Laclos punit les libertins, conformément à la morale. Or, jusque-là, le texte brillait au contraire par un exceptionnel anticonformisme. Comment résoudre cette spectaculaire contradiction ? En comprenant enfin qu’il s’agit d’une fin postiche, résolument ironique.

            Cette thèse ou hypothèse a fait un immédiat et durable tabac, au point d’être reprise partout comme une vérité établie, un postulat désormais assuré. Tous les livres parus en français l’acceptent sans discuter. Je l’ai assez vigoureusement contestée en 2001, dans un petit livre, mais sans le moindre succès, puisqu’il ne s’en est ensuivi aucun débat. Il est vrai qu’on n’avait pas davantage débattu de l’assez bizarre thèse de M. Delon, qui, en 1986, proclamait que tout énoncé des LD était par nature indécidable, puisque proféré chaque fois à la première personne. On ne pouvait donc pas du tout croire, par exemple, à l’idée d’une liaison forte entre la marquise et Valmont, faute (sic) de « documents » ! J’avais également mis en doute cette brillante idée, sans obtenir la moindre réponse.

La question du dénouement pose par conséquent deux problèmes : un problème textuel, et le problème des mœurs universitaires en matière de critique. Peut-on se réclamer des sciences humaines – ambition affichée de la critique littéraire - en refusant obstinément tout débat ? Et si l’on ne se réclame pas des sciences humaines, quel serait le statut de cette étrange discipline, où il devient loisible de dire ce qu’on veut, sans le moindre risque, tout en multipliant à l’infini les colloques sans jamais tirer de bilan ? C’est le sujet d’un de mes livres, intitulé Essais d’anatomo-pathologie de la critique littéraire, tombé dans un silence glacial pour atteinte aux bonnes mœurs et attentat méprisable contre mes collègues.

Je vais bien entendu me consacrer au premier problème, quoique l’autre soit plus vaste et plus inquiétant. Ce qui étonne, dans l’argumentation de Todorov, c’est sa brièveté, son assurance, l’absence de toute discussion critique. Car enfin, il n’est pas interdit à un interprète littéraire de fournir des preuves, de désarmer les objections en les devançant. La première critique s’exerce contre soi-même, contre les séductions redoutables de l’imagination, contre son propre brio. Todorov est tellement ébloui par son idée qu’il la présente comme une pure évidence. Force est d’admettre qu’il avait raison de procéder ainsi, au moins en termes d’efficacité discursive, puisque, j’y insiste, sa thèse a fait aussitôt l’unanimité du corps universitaire de langue française, pendant des décennies. Il faut donc essayer de reprendre le problème le plus méthodiquement possible, au risque d’ennuyer.

 

            Le défi de la tragédie

            Première question : où s’amorce le dénouement ? Sans conteste, dans la décision de la Marquise de refuser à Valmont la récompense promise, une nuit avec elle, qu’il vient réclamer après sa lettre cinglante à Mme de Tourvel. C’est le sens du fameux « Eh bien, la guerre ! » À cette première rupture de pacte s’en ajoute aussitôt une seconde : la divulgation à Danceny d’une partie de la correspondance secrète entre elle et Valmont. Cette divulgation est obligée, puisqu’elle dresse le chevalier contre Valmont, entraîne nécessairement un duel où le plus jeune et le plus enragé risque fort de tuer son rival moins motivé - ou peut-être décidé à mourir après la perte de Mme de Tourvel. Mme de Merteuil, les mœurs étant ce qu’elles sont, n’a pas d’autre moyen pour atteindre Valmont et gagner la guerre. Il lui faut tuer le Vicomte après Mme de Tourvel, et une lettre n’y suffit pas. Mais elle n’a pas prévu la réplique de son complice : lui aussi, avant de mourir, dévoile à Danceny, lettres à l’appui, les trahisons de la Marquise, que le Chevalier s’empressera de rendre publiques, consommant ainsi la ruine de la libertine savamment déguisée en femme de vertu. Tout repose sur un double dévoilement de la correspondance, l’un entraînant l’autre. Car si Valmont, par impossible, avait tué Danceny, au risque de bousiller le roman, le mécanisme de destruction de la Marquise serait resté identique. Faute de la tuer physiquement, il faut la détruire socialement.

           

            Qu’est-ce que prouve ce simple résumé factuel ? Que son premier caractère n’est pas l’ironie, la désinvolture insolente d’une fin postiche à la Molière, mais bel et bien son impeccable construction sur le modèle des tragédies. Cette fin est à la fois nécessaire, complète et proportionnée, comme on l’exigeait au théâtre, lieu des constructions les plus exigeantes en matière d’action nouée et dénouée. On y constate de manière claire comment le dénouement s’inscrit dans l’action rigoureuse du roman, bien loin d’apparaître plaqué et postiche, ironique. Les LD se construisent à l’évidence sur trois projets parallèles, posés d’emblée : 1/ Séduire Cécile, projet proposé par Mme de Merteuil et d’abord refusé par Valmont comme indigne de lui ; 2/ Séduire Mme de Tourvel, projet qui dégoûte la Marquise et emballe Valmont ; 3/ Renouer avec celle-ci, projet de Valmont refusé par sa partenaire, au nom même du plaisir libertin : qui, en effet, tromperait l’autre dans une telle liaison, réplique-t-elle ? Sans tromperie, inhérente au libertinage, d’où viendrait le plaisir ? Réfutation implacable. C’est pourquoi elle ne lui promet qu’une seule nuit, un court réchauffé. Ces trois liaisons possibles, qui ouvrent le roman, le ferment et  s’enlacent dans le dénouement, illogique sans elles. On ne saurait par conséquent imaginer fin plus soigneusement construite, plus impeccablement tressée.

Or, il a apparemment échappé à Todorov et ses disciples béats qu’un roman, au XVIIIe siècle, n’exige rien de tel, comme le prouve par exemple la mode des romans inachevés. Élaborer une fin qui rivalise avec celles des tragédies, tel est le premier trait du dénouement, fruit d’une décision esthétique absolument réfléchie, à même d’organiser toute l’action romanesque. Ce qui suffit à ridiculiser l’idée grandiose de M. Delon selon laquelle les LD signeraient la dissolution du discours de la Raison classique, la fin prémonitoire de l’Ancien Régime ! C’est vraiment le n’importe quoi qui pollue les commentaires littéraires et disqualifie la profession au regard des sciences humaines sérieuses, l’histoire, l’ethnologie, la sociologie, qui, elles débattent continûment, mais acceptent du même coup des vérités consensuelles, procèdent périodiquement à des bilans. À preuve, par exemple, le dernier ouvrage de M. Godelier sur Lévi-Strauss, paru en 2013. M. Godelier n’estime pas que critiquer Lévi-Strauss empêcherait de l’admirer. C’est pourquoi je les lis bien plus volontiers, et avec plus de profit.  Car, que peut-on admirer dans les thèses de Todorov et Delon ?

On dira alors que, si on me concède ce modèle parfait de fin de tragédie, il n’exclut nullement la fameuse ironie tragique ! Mais on voit aussitôt que ce n’est pas là le sens de la proposition de Todorov et de ses épigones. Qu’y a-t-il, dans cette fin, de manifestement conventionnel et postiche ? Et si c’était l’intention, pourquoi se donner tant de mal, y consacrer tant de soin ? De plus, l’ironie tragique n’a jamais consisté à déréaliser un dénouement tragique. « Eh bien, la guerre ! » n’est pas une boutade de salon, une saillie verbale, mais bel et bien une volonté meurtrière, et l’acceptation pour soi d’un désastre possible, comme dans toute guerre. La fin est à la mesure non seulement de l’action antérieure, mais aussi de la violence des passions mises en jeu depuis le début, passions vitales, intransigeantes, totales, extrémistes, où les Moi libertins ne cessent de s’affronter avec âpreté, comme si leur vie en dépendait. Un des gros manques de la critique littéraire, sur Laclos comme sur le reste, c’est l’absence de toute réflexion sérieuse sur les passions, ingrédient fondamental de toute construction esthétique à l’âge classique. Comment d’ailleurs concilier la mort de Mme de Tourvel avec l’idée todorovienne ? Serait-elle postiche, elle aussi, ironique, conformiste, conventionnelle ? Si cette idée du dénouement était vraie, ce serait une lourde incohérence esthétique, un énorme hiatus qui déréaliserait tout ce qui précède, ou tout bonnement un autre roman.

Le choix est donc simple : ou Laclos erre à l’aventure, contredit pour finir son propre travail, ou ce sont les critiques. Cela revient à choisir entre de minces talents trop contents de ce qui leur passe par la tête, et un auteur génial, impeccablement logique du début à la fin. Si logique et si radical dans sa peinture d’un libertinage extrémiste, radicalisé, poussé à bout, qu’il en devient du coup incapable d’écrire un autre roman. Pour ma part, j’ai toujours choisi de donner l’avantage aux auteurs sur les interprètes, surtout quand ceux-ci ne se soumettent pas aux règles de la discussion raisonnée et publique, autrement dit démonstrative, comme le veut Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ? Il faut bien comprendre la différence majeure, de nature, en l’occurrence bafouée, entre un artiste et un critique : l’artiste n’est pas tenu de s’expliquer, d’argumenter sur sa création, quand c’est une obligation déontologique pour le critique, qui ne crée rien, de se plier aux règles précises et contraignantes de la démonstration argumentative. Commenter n’est pas créer. Un critique rédige, un artiste écrit, invente. Le critique raisonne, un point c’est tout. Dès qu’il veut jouer à l’artiste, se coller des ailes de papier, il tombe en chute libre. À négliger cette différence capitale, on fait, comme trop souvent, n’importe quoi n’importe comment. On se trompe alors sur soi, et on bafoue ses lecteurs ou auditeurs. Il y a tromperie sur la marchandise, usurpation professionnelle. Bref, imposture qualifiée. Un critique, aussi brillant soit-il, appartient à la famille râpeuse des profs, des pédants. C’est ainsi. Son seul horizon, c’est la précision et la cohérence dans l’adéquation maximale à chaque œuvre artistique. Et cela relève entièrement de l’acte démonstratif, comme dans toute science humaine digne de ce nom. Rabattre le caquet de la critique, c’est la servir, qu’elle s’exerce par écrit publié ou entre les murs d’une classe. Notre devoir, le vôtre aussi, c’est le soupçon à l’égard des autorités instituées. Ici, en l’occurrence, l’Université unanime. Diable… Si vous adhérez à mon propos, mieux vaut savoir à qui vous vous en prenez. Dans le cas contraire, vous pouvez avancer en terrain connu.

 

            La Marquise de Merteuil meurt-elle ?

            On pourrait objecter à mon propos que si Mme de Tourvel et Valmont se rejoignent dans la tombe, il n’en va pas de même pour Mme de Merteuil. Des interprètes ont d’ailleurs imaginé qu’elle rebondissait à l’étranger, toujours aussi fraîche et implacable, et nullement défigurée par la variole. L’incontestable brio de la Marquise la rendrait invincible. Nullement vaincue à son tour, elle échapperait seule au désastre collectif, et vivrait une seconde vie triomphale loin de Paris. Elle recule, mais ne rompt point. Cette thèse s’appuie à l’évidence sur l’idée d’une fin postiche, et la conforte. Il faut donc se pencher sur le cas du personnage.

            Il est de fait que la défiguration et la fuite de la Marquise - en Hollande croit-on - n’ont pas le même degré de certitude que les morts de Tourvel et Valmont, les retraites de Cécile et Danceny, l’un dans l’ordre de Malte, l’autre au couvent, etc. On pourrait certes ergoter, avancer que la vraisemblance l’exigeait, que l’effet, en tout état de cause, demeure, mais passons, accordons ce point. Il faut dès lors peser exactement ce qui reste indubitable, à savoir les effets de la révélation publique de la correspondance secrète entre la Marquise et Valmont, conséquence du duel à mort entre celui-ci et Danceny, mais aussi de la guerre déclarée entre les deux anciens complices. Pour terrasser Mme de Merteuil, Valmont serait bien obligé, avec ou sans duel, de la démasquer aux yeux de la société mondaine. De quelle autre arme dispose-t-il ? C’est d’ailleurs son arme favorite, celle des libertins mâles en société inégalitaire, comme elle l’avait déclaré elle-même, et contre laquelle elle avait imaginé toutes ses parades, tous ses masques. Il lui fallait à toute force, pour durer dans son double rôle de femme vertueuse et de libertine secrète, réduire ses partenaires sexuels au silence et éliminer toute preuve écrite de liaison, toute amorce d’amour en elle, et donc, pour compenser la baisse fatale du plaisir sensuel détaché de l’amour, s’inventer des suppléments, soigneusement décrits dans la lettre 81. Je ne me demande pas ici pourquoi elle rompt cette stratégie aussi inévitable que logique avec Valmont, ce n’est pas mon sujet et j’en ai traité ailleurs. On constate que la question du dénouement mobilise tous les ressorts du roman, ce qui, de soi, ruine l’optique habituelle que j’examine.

            Qu’est-ce qui est atteint dans la révélation démontrée, imparable, irréparable de ses tromperies ? Eh bien, TOUT LE SYSTÈME de passions et de plaisirs qui fait que Mme de Merteuil est Mme de Merteuil. Il ne reste pas pierre sur pierre de ce qu’elle a fait d’elle-même, tel que raconté dans la lettre 81. Il faut comprendre qu’elle n’est pas seulement rejetée du monde où elle paradait, sûre de sa supériorité, en fonction duquel elle s’est consciemment et farouchement construite de A à Z. Elle n’est pas seulement répudiée d’une société aristocratique où elle a voulu renverser seule, orgueilleusement, les lois inégalitaires opprimant le sexe féminin dans la liaison et ses voluptés. Le dévoilement lui interdit désormais toute liaison où elle pourrait jouir de ce qui faisait l’essentiel de sa jouissance, à savoir sa domination sur le sexe dit fort à travers des partenaires mystifiés, manipulés de bout en bout, et empêchés de la détruire selon la norme libertine ordinaire. Tout ce que raconte la lettre 81 devient dès lors interdit, impossible. Ce qui attend désormais Mme de Merteuil, c’est le destin affreux, humiliant, infâme, des femmes stigmatisées comme libertines, et en pire. Elle ne peut donc que fuir. Fuir est une action, mais aussi une passion canonique, qui s’oppose violemment à ce qui fait le ressort du personnage : l’orgueil, le dégoût invétéré, constitutif de son Moi, envers la dépendance, la subordination aux hommes, l’acceptation passive du sort des femmes dans une société inégalitaire.

            Mais il se pose alors un problème au romancier. Aussi humiliante et dévalorisante soit-elle, aussi insupportable pour une telle figure, la fuite fait-elle une fin proportionnée aux autres destins du roman ? Fuir ramène Mme de Merteuil à la destinée finale de Cécile et Danceny. Est-ce suffisant, est-ce adéquat ? Laclos, de toute évidence, ne l’a pas pensé, puisqu’il imagine une autre douleur, saisissante : la défiguration par la petite vérole, qui barre à l’imagination du lecteur toute possibilité d’un recommencement ailleurs, à l’étranger. L’hypothèse, en apparence hardie, de Todorov prouve ici, s’il en était besoin, non seulement son indigence, mais sa nocivité, puisqu’elle interdit d’entrée de se poser toutes ces questions esthétiques, rendues hors de propos, réduites au ridicule d’une lecture platement littérale. Car si cette hypothèse sans la moindre preuve a eu un succès si phénoménal, on comprend bien qu’elle le doit à un effet d’intimidation : quel critique voudrait passer pour incapable de saisir l’ironie de tout cette fin, assez bête pour n’en pas goûter le sel réservé aux happy few, aux esprits fins, aux lecteurs affranchis ? Vous n’allez tout de même pas gober comme argent comptant cette invraisemblable histoire de variole providentielle, allons, cher ami, vous voyez bien que c’est cousu de fil blanc…

Mais comme je suis un de ces nigauds indécrottables qui encombrent parfois l’Université, j’ai ouvert l’Encyclopédie  à l’article Vérole (petite). Et qu’y découvre-t-on, ô misère obtuse de l’érudition à la portée de tous ? Que la médecine de l’époque considérait non seulement la variole comme une maladie tout à fait commune, donc hautement vraisemblable ; mais encore comme une affection que la peur, c’est-à-dire une passion, peut déclencher. Nous voici dès lors renvoyés à la fameuse scène du théâtre où le public tout entier hue la Marquise ! On se pose du coup une question : Laclos aurait-il médité son dénouement, un dénouement en rien postiche, mais complet et proportionné, c’est-à-dire logique ?

            Mais pourquoi tiendrait-il à terminer ainsi, n’est-ce pas étrange ? Une sommité universitaire, R. Pomeau, auteur d’un livre sur Laclos, s’interroge avec probité. Et il ne voit qu’une explication plausible : parti pour condamner les libertins, en bon rousseauiste qu’il était, Laclos a vu le roman lui échapper, les personnages le séduire malgré lui. Dans un dernier effort pour se ressaisir, il les punit brutalement, contre toute attente, avec les moyens du bord. C’est ingénieux, plus adroit que Todorov, mais toujours, hélas, sans le moindre début de preuve, comme Todorov. Un auteur aussi génial qui écrit le contraire de ce qu’il voulait écrire, il faut tout de même beaucoup de culot ou d’inconscience pour oser le penser, puis l’écrire, puis le publier. Mais les sommités sont parfois candides, et je serais prêt à jurer que R. Pomeau n’a en rien mesuré l’énormité de son propos. Qu’a-t-on par contre rétorqué à R. Pomeau, professeur en Sorbonne et chef de file de la corporation dix-huitièmiste de son époque pas si lointaine ? On se doute que personne n’a soufflé mot. Comme quoi les uinversitaires ne sont pas aussi extrémistes que l’héroïne des LD, et se gardent bien de dire : Eh bien la guerre ! Car la guerre aux sommités nuit à la carrière. Cela dit, je dois à R. Pomeau de m’avoir inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférence malgré un virulent article contre son interprétation de Candide. Je tiens à rendre cet hommage, je l’ai déjà fait par écrit, à son libéralisme, fût-il mandarinal.

 

            De l’esthétique à la politique

            Cela nous conduit à poser cette question : y a-t-il une raison autre qu’esthétique au dénouement, fatal et complet, qui frappe la Marquise ? On en voit une qui tient au fond de l’idéologie ou philosophie de Laclos. Dans un texte conceptuel et inachevé de 1783 sur les femmes, Laclos explique que l’inégalité entre les sexes ne pourra être surmontée que par  l’action collective, et donc politique, des femmes elles-mêmes. Il est par conséquent logique que Mme de Merteuil, fixée sur une révolte purement individuelle, purement imitative du libertinage masculin et aristocratique, échoue fatalement. Elle est huée, rejetée, méprisée, quand Prévan et d’autres libertins masculins peuvent continuer leurs exploits sans être exclus du monde. La fin, contrairement à ce que croit Todorov, qui en fait la base de son jugement, ne rétablit donc en rien la morale. Ce qui triomphe en fin de compte, c’est la morale inégalitaire d’un ordre conventionnel fondamentalement injuste, faute de révolution féminine. Mme de Merteuil, en d’autres termes, ne s’est pas trompée en dénonçant cet ordre comme insupportable pour une conscience féminine. Elle s’est trompée en égarant sa révolte dans une adaptation au désordre établi, adaptation fondée sur la tromperie et les satisfactions aristocratico-libertines. Il est par conséquent assez étrange de voir tant de féministes en faire leur héroïne, comme si la Marquise n’avait pas piétiné implacablement, au long du roman, toutes les femmes qu’elle rencontre. Comprenne qui pourra. Qu’elle fascine, on ne saurait s’en étonner. Qu’on lui tresse des couronnes féministes et philosophiques, quand Laclos lui-même explique noir sur blanc en quoi elle erre, en quoi consiste un vrai combat féminin de libération collective, politique, un nouveau contrat social entre sexes injustement inégaux, j’avoue peiner à le concevoir. On constate à nouveau que Todorov, par son interprétation abrupte, ne se contente pas d’éviter cette dernière question : il l’interdit. Mais il barre alors le sens même du projet romanesque tout entier, comme d’ailleurs tous ceux et celles qui veulent à toute force ressusciter Mme de Merteuil, comme si son destin relevait d’un malheureux hasard, ou d’une prudence conformiste du romancier.

            Un romancier qui fait le contraire de ce qu’il voulait faire (R. Pomeau) ; un romancier qui enfile des énoncés indécidables (M. Delon) ; un romancier qui n’a pas pu adhérer à son dénouement (Todorov et alii)… Décidément, que d’hypothèses tirées par les cheveux, quand on pourrait commencer, plus modestement, par commenter ce qui est écrit, avant de battre la campagne !

           

Concluons. Le raisonnement typiquement « littéraire » de Todorov frappe ou devrait frapper par son insuffisance de méthode, de logique, de complétude. Il part d’une impression – le contraste supposé entre le dénouement et ce qui précède -, transforme aussitôt cette impression en donnée de fait, et pense lever la contradiction imaginaire en supprimant un des termes de cette contradiction : la conclusion du roman serait postiche, entièrement ironique, toute d’esquive insolente, et par conséquent à la mesure du reste. L’avantage de l’ironie ainsi entendue, c’est qu’elle n’a pas de signe littéral : elle n’apparaît qu’aux happy few assez fins pour la percevoir. On se doute qu’ensuite, chacun veut en être, et confirme gravement la brillante idée, d’autant plus pratique qu’elle n’exige aucune preuve, c’est la grande qualité de l’ironie. Hegel pensait qu’une contradiction se dépasse dans le maintien de ses termes. Vieille lune, esprit manifestement trop faible pour accéder aux fulgurances des littéraires. L’étourderie todorovienne ne mériterait pas tant d’attention si elle ne s’était aussitôt imposée comme vérité indiscutable et durable dans l’espace universitaire au moins français (je ne sais ce qu’il en fut à l’étranger), et si ma réfutation de 2001 n’était tombée dans un silence épais, à même de confirmer l’évidence unanime.

Ce qui justifie aussi de s’y intéresser, c’est que le dénouement oblige à examiner sa liaison avec l’action antérieure, qui se révèle impeccablement nouée. Or ce nouement, obligé au théâtre, notamment en tragédie, n’allait nullement de soi au XVIIIe siècle en matière de roman. Mais il n’y a pas seulement un problème esthétique majeur. La catastrophe terminale des LD touche intimement à l’interprétation générale du roman, en ce qu’elle oblige à poser cette question : que postule-t-on sur le libertinage et la révolte de Mme de Merteuil en admirant si fort le personnage qu’on peine à admettre sa défaite, soit en la niant, comme Todorov, soit en reportant sa revanche au-delà des frontières ? Et pourtant, Laclos, dans son discours de 1783 sur les femmes, nous donne clairement les raisons de l’échec d’une rébellion féminine à la fois solitaire, impitoyable, orgueilleuse, et entièrement prise dans la logique d’une société injustement inégalitaire. Or, si la société est injustement inégalitaire au profit des hommes, comment Mme de Merteuil, qui cherche désespérément à s’y faire une place interdite à son sexe, pourrait-elle triompher ? Le dénouement montre on ne peut plus clairement que des libertins tombent, mais que le système de domination sur les femmes perdure. C’est que seul un mouvement collectif des femmes par et pour les femmes serait en mesure de le renverser. Position éminemment rousseauisante, en tout cas éminemment politique, et qui, du coup, évite de se lancer dans les spéculations d’un R. Pomeau sur le roman qui s’écrit malgré le romancier, subjugué par des héros qui battent en brèche son idéologie et le font aller à rebours de son projet.

 

Jean Goldzink, Lycée Champollion, février 2014

           

           

           

08/02/2014

Mise au point : la technique de la citation

                       MISE AU POINT : LA TECHNIQUE DE LA CITATION

 

     La plupart des copies ignorent délibérément les règles qui régissent l’usage de la citation. Le présent topos a pour but d’exposer celles-ci à partir de quelques exemples. Les énoncés fautifs pris pour exemples ont été prélevés dans des copies (le devoir portait sur la lettre 108 des Liaisons dangereuses)  et sont précédés d’un astérisque; les guillemets y  introduisent la citation.

 

EXEMPLE 1

 

    *Madame de Tourvel est très reconnaissante à Madame de Rosemonde de son « indulgence » (l.3) « que j’ai de grâces à vous rendre ! »  (Lignes 1-2).

 

     Dans cet exemple, il manque l’indispensable appareil de démarcation entre le propos de l’étudiant et la citation. La lecture à haute voix de cet énoncé tel qu’il est écrit, donc sans ménager la moindre pause, la moindre différence d’intonation, suffit à mettre l’accent sur son incohérence. L’appareil de démarcation qui devrait figurer devant la citation, c’est un simple signe de ponctuation : [ :]. Mais cette démarcation ne suffirait pas : il faudrait encore assurer le lien logique entre le propos du rédacteur et la citation qui vient l’illustrer ; c’est un verbe déclaratif qui remplira cette fonction, et lui-même devra bien sûr être pris dans une syntaxe, une logique, une formule, qui assureront la cohérence du tout. Cela donnera par exemple :

 

Madame de Tourvel est très reconnaissante à Madame de Rosemonde de son « indulgence » (l. 3), comme cela apparaît à la ligne 2 lorsqu’elle lui dit : « que j’ai de grâces à vous rendre ! ».

 

     Si la citation précédait le commentaire, les règles seraient les mêmes, et bien entendu il faudrait les adapter aux contraintes syntaxiques et logiques imposées par cet ordre d’apparition :

 

Lorsque Madame de Tourvel dit à Madame de Rosemonde : « Que j’ai de grâces à vous rendre ! » (l. 1-2), elle lui signifie d’emblée qu’elle lui est reconnaissante de son « indulgence » (l.3).

 

     L’autre solution, lorsque l’on doit faire intervenir une citation, consiste à l’intégrer, grâce à une relation de subordination, dans le propos lui-même : on construit un enchaînement logique au lieu de construire une relation de démarcation. L’inconvénient de cette solution, c’est qu’elle oblige souvent à manipuler les pronoms personnels, les adjectifs (ou les pronoms) possessifs, pour passer du système du discours direct à celui du discours indirect ; cette manipulation sera affichée par la présence de crochets entre lesquels figureront les éléments transposés du discours direct au discours indirect. Par ailleurs, dans l’exemple que nous exploitons, cette solution conduit à faire disparaître la tonalité exclamative, et n’est donc pas une bonne solution. Illustrons-la toutefois pour les besoins de la cause :

 

Madame de Tourvel est très reconnaissante à Madame de Rosemonde de son « indulgence » (l.3), comme cela apparaît à la ligne 2 lorsqu’elle lui dit qu’elle a de beaucoup  de « grâces à [lui] rendre ».

 

EXEMPLE 2 :

* Elle est respectée par la présidente « (…) n’a point altéré ma confiance en vous » (ligne 36 – 37).

 

     Cet énoncé est totalement incompréhensible : il n’obéit à aucune des exigences logiques ou syntaxiques minimales. Tout d’abord, le découpage de la citation est fautif : il fallait bien entendu conserver le sujet ! Voici ce qu’il aurait fallu écrire :

 

Elle est respectée par la présidente, qui lui dit : « (…) une fausse honte n’a point altéré ma confiance en vous ».

 

 

         Ou bien :

 

Elle est respectée par la présidente, qui lui dit  qu’ « (…) une fausse honte n’a point altéré [sa] confiance en [elle] ».

 

         Mais cet énoncé pose par ailleurs un autre problème, qu’il nous offre ainsi la possibilité d’aborder : celui de la pertinence de la citation. Dans un devoir, on fait intervenir des citations pour illustrer (ou pour inaugurer) une analyse, un développement. Qui voudrait par exemple commenter l’ampleur de la vision historique et politique du Général de Gaulle devrait citer non pas la formule sans appel dont il usait à propos de l’ex-milicien Paul Touvier (« Touvier ? Douze balles dans la peau ! »), mais la phrase inaugurale de ses mémoires (« Je me suis toujours fait une certaine idée de la France »). Dans le cas qui nous occupe, la citation ne témoigne  pas du « respect» de Madame de Tourvel (comme le prétend le candidat) pour madame de Rosemonde, mais du fait qu’elle souhaite vivement poursuivre avec elle une relation basée sur une « confiance » absolue, qui autorise Madame de Tourvel à se … confier à Madame de Rosemonde . Ceci est essentiel (les curieux iront relire cette lettre) : Madame de Tourvel a avoué à sa correspondante qu’elle aimait Valmont, et elle sait que la morale commune la condamne (car elle est mariée) ; elle tient donc à dire à Madame de Rosemonde (incarnation d’une vertu ferme mais « indulgente ») qu’elle a décidé d’assumer ce sentiment amoureux et la faute morale qu’elle représente, et qu’elle n’éprouve nulle « fausse honte » : elle ne lui cachera rien, et continuera à la traiter en confidente. Si elle n’a pas cité le nom de Valmont dans sa lettre précédente (car c’est de cela qu’il est question), c’est par une sorte de pudeur de femme amoureuse, pas parce qu’elle estime qu’il est indigne de cet amour. On voit donc que le mot « confiance » a ici tout son sens, et que son usage par la locutrice fait référence à l’évolution de sa situation. Il ne s’agit donc d’une simple pétition de principe qui concernerait par ailleurs une disposition d’esprit unilatérale (le respect), mais d’une allusion au prix que Madame de Tourvel accorde plus que jamais à une relation de confiance partagée

         On voit à travers cet exemple que la pertinence, c’est-à-dire le rapport d’adéquation entre la citation et le commentaire, est un aspect décisif de la citation et de son usage.

        

         Comme on le voit, la technique de la citation ne présente pas d’autre difficulté que celle d’une attention scrupuleuse à l’égard de la logique de la construction d’un énoncé et la capacité à construire une argumentation cohérente. Symétriquement, la transgression des règles d’usage de la citation apparaît au mieux comme une coupable négligence, au pire comme une preuve de l’incapacité à mettre en œuvre ces exigences pourtant élémentaires. Dans un cas comme dans l’autre, il est parfaitement légitime de sanctionner ces manquements, et les correcteurs sont payés pour le faire. A bon entendeur ….

23/01/2014

Pour améliorer la maîtrise de l'écrit

G. Barthèlemy - Classes de khâgne et de math spé, Lycée Champollion, Grenoble

 

            POUR UNE MEILLEURE MAITRISE DE L’ECRIT

 

Il sera question ici de deux aspects de l’ « écrit » : la maîtrise de la langue et la capacité à organiser des énoncés. On partira  de la conviction selon laquelle le déficit que manifestent la majorité des étudiants dans leur maîtrise de la langue écrite ne tient en définitive ni à une difficulté intrinsèque ni à l’ignorance des règles de base de la grammaire : tout le monde connaît les règles d’accord en genre et en nombre du verbe et du nom, or les fautes commises en la matière sont innombrables. Le caractère volontiers chaotique des copies, la dominante de l’approximation, le défaut de cohérence (à l’échelle de la phrase, du paragraphe, du devoir) ne tiennent pas eux non plus à la difficulté des exercices imposés. Il faut chercher ailleurs l’origine de ces problèmes, qui sont a priori de deux ordres différents (la langue d’un côté, le « discours » de l’autre), et cette origine est la même : un rapport à la langue complètement détraqué, dont les dysfonctionnements énumérés ci-dessus sont  symptomatiques. Il est malaisé de définir l’ensemble des causes de ce détraquement, mais on peut en mentionner deux, qui sont d’ailleurs partiellement liées :

            - la poussée de l’individualisme, qui fournit aux locuteurs un alibi pour se soustraire aux règles qui encadrent en principe l’usage de la langue ; chacun se sent ainsi autorisé à penser à peu près la chose suivante : je suis au-dessus de ces règles misérables et artificielles qui brident l’expression de ma subjectivité, et d’ailleurs ce que je dis est tellement intéressant que vous ferez l’effort de me comprendre (et si vous ne me comprenez pas, ce que je dis n’en est pas moins sublime).

            - Une norme sociale totalement laxiste, qui tolère n’importe quel énoncé. Un témoignage éloquent de cet état de fait : il est très rare aujourd‘hui que l’on demande à  un locuteur de reformuler un énoncé embrouillé ou opaque, et personne ne procède plus de soi-même à ce genre de rectification.

La conséquence de cette situation, c’est que l’on s’habitue à entendre et à proférer des énoncés dominés par l’approximation, l’obscurité et l’incohérence. Il est impossible d’exiger des locuteurs les rectifications qui s’imposeraient, et épuisant d’y procéder soi-même : quand les règles disparaissent, tous les énoncés deviennent possibles et on se trouve donc en permanence confronté à des formulations imprévisibles non pas parce qu’elles procèdent d’une stupéfiante créativité poétique mais parce qu’elles sont en principe impossibles dans la langue considérée, ce qui rend leur compréhension très difficile. Une écoute précise de ces énoncés est exténuante : chaque phrase doit être traduite et redressée (c’est ce que fait mentalement le correcteur de copies, qui le fait payer au rédacteur – il est là pour cela…), comme si elle émanait d’un locuteur étranger.

Le locuteur-récepteur ordinaire est donc conduit à considérer qu’un énoncé est par essence approximatif et confus, et que donc on ne doit ni ne peut faire mieux que l’appréhender de manière confuse et approximative. Le susdit locuteur ordinaire n’en souffre nullement, puisque c’est pour lui la norme ; il ne songe jamais à réclamer les fameuses rectifications (qui seraient pourtant nécessaires), puisqu’il n’a pas acquis la conscience linguistique qui le conduirait à formuler une telle demande, et il ne pense pas que cela puisse lui porter préjudice – tant qu’il n’est pas confronté à une autre norme, celle des concours par exemple. Quelle est cette norme ? Celle d’un discours qui respecte les règles de la grammaire, qui est clair, précis, et ne nécessite pas de « traduction ». Ces exigences sont-elles abusives ? Nullement. Les règles de grammaire ne sont pas des aberrations destinées à embêter les locuteurs : s’il importe par exemple de ménager une différence entre l’accord du nom et celui du verbe, c’est pour souligner que l’on a affaire dans un cas à des substances, dans l’autre à des processus ou à des états ; comme on le voit, il ne s’agit pas là d’incongruités nées d’un cerveau malade, mais de catégories intellectuelles fondamentales. En outre, la transgression de règles aussi simples que celles de l’accord perturbe gravement la lecture des énoncés, voire les rend incompréhensibles. La capacité à construire des énoncés clairs, obéissant aux règles de la logique et de la cohérence, est donc un excellent critère d’évaluation des candidats, et les exigences en vigueur procèdent d’une évidence : on ne pense qu’avec le langage, et quelqu’un pour qui le langage est cette chose qui baigne dans la confusion, l’approximation et l’incohérence, ne pourra faire mieux que « penser » de manière confuse, approximative et incohérente – c’est-à-dire ne pas penser. 

            Que faire pour remédier à cet état de choses ? D’abord ne pas s’emporter contre une  prétendue difficulté insurmontable qui caractériserait le français écrit, ne pas fantasmer une réforme de la langue qui dispenserait le locuteur de toute rigueur intellectuelle  : c’est la syntaxe qui pose le plus de problèmes aux locuteurs déficients, pas l’orthographe au sens étroit du terme -  ce qui est grave, ce n’est pas d’écrire *aberant (pour « aberrant »),  c’est d’écrire quelque chose comme « * il est permis de pouvoir dire, par rapport à la nature, que les arbrent pousses » [1) j’exagère à peine ; 2) je ne prends pas la peine de « redresser » un énoncé tellement « tordu » qu’il ne peut pas l’être]. La syntaxe, c’est ce qui permet de faire tenir les mots ensemble de telle manière qu’un énoncé ait un sens immédiatement identifiable. Donc, par définition, il est hors de question de « réformer » la syntaxe si on entend par là qu’il faudrait la supprimer ou la réduire à une forme de juxtaposition simplifiée (« *moi vouloir toi »…) ou à la possibilité de produire n’importe quel assemblage de n’importe quels mots (ce qui au demeurant, en dépit de l’absence de réforme, est en gros la situation actuelle).

            Ce qu’il faut réformer,  c’est le rapport à la langue : le locuteur déficient doit développer un rapport réflexif et critique à l’égard de la langue pour se demander en permanence si les énoncés (qu’il élabore, qu’il lit ou qu’il entend) sont en accord avec les exigences de clarté, de précision et de cohérence qui doivent prévaloir en cette matière. Pour ce faire, évidemment, le locuteur doit intérioriser concrètement une autre norme. Où la trouver ? C’est difficile à dire tant le dérèglement de la langue s’est imposé partout. Soyons optimistes, et considérons que la grande presse peut ici ou là offrir des « modèles » : dans Le Monde, les contributions de la double-page « Débats », qui sont signés non pas par des journalistes (lesquels sont trop souvent  à l’affût de la dernière mode chic et choc et véhiculent volontiers les tics de langage les plus ineptes – voir leur goût risible pour le fameux « décryptage ») mais par des intellectuels, des experts, etc., peuvent être intéressants de ce point de vue.  Voir aussi les articles de revues comme L’Histoire ou Philosophie Magazine[1]. Très concrètement, que s’agit-il de faire ? De lire ces articles en se demandant en permanence comment le rédacteur s’y prend 1) pour que chacun des énoncés de détail – au niveau de la phrase – soit clair, précis, compréhensible 2) comment il effectue le montage argumentatif ou intellectuel entre cet énoncé (disons : une phrase ou une proposition grammaticale), celui qui le précède et celui qui le suit 3) comment cela constitue un paragraphe dont le sens est intelligible 4) comment ce paragraphe trouve sa place et sa signification en fonction de son articulation intellectuelle avec celui qui le précède, celui qui le suit, et le contenu d’ensemble du texte. Vous vous apercevrez d’ailleurs que les articles en question ne sont pas toujours irréprochables – plus précisément : le jour où vous serez en mesure de faire ce constat, vous comprendrez que vous aurez accompli un gros progrès.

            Parallèlement, il faut vous entraîner régulièrement (s’il faut chiffrer : 30 mn trois fois par semaine) à produire vous-mêmes des énoncés susceptibles de satisfaire  aux exigences susmentionnées. Utilisez cet outil précieux qu’est le traitement de texte : il vous libère de bien des angoisses, puisqu’il est conçu pour que l’on puisse modifier autant qu’on le souhaite un énoncé. Ecrivez deux paragraphes, et lisez-les comme il est recommandé dans le topos ci-dessus, rectifiez, corrigez, de manière à ce que ….

            Même si vous avez appris les règles de grammaire élémentaires, même si vous ne les avez pas toutes oubliées, il est salutaire de vous replonger dans tout cela. Révisez, de manière systématique, une grammaire de collège pour vous remettre les choses en tête. Utilisez par ailleurs l’un des nombreux ouvrages destinés à permettre aux élèves du secondaire et aux étudiants de mieux maîtriser l’écrit : chez Hatier, pour 4,50 E, vous trouverez Améliorez votre style et S’exprimer avec logique ; chez Larousse, pour 4 E, je vous recommande, dans la collection « Les indispensables », Savoir rédiger.

 

Courage !       



[1] On peut aussi écouter France-Culture, que je mentionne ici, bien que le présent topos concerne l’écrit ; on choisira par exemple sur cette chaîne des émissions comme  Les Lundis de l’Histoire, Répliques, Concordance des temps.