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05/01/2016

Du bon usage de la ponctuation

DE LA PONCTUATION

Parmi les multiples dérèglements qui affectent le langage écrit des candidats, il semblerait que celui de la ponctuation soit voué à prendre de plus en plus d’importance. Le processus et le remède sont toujours les mêmes : les étudiants semblent obéir à un mot d’ordre selon lequel le langage (de la graphie à la grammaire) doit être traité avec la plus grande désinvolture et ne mérite qu’une attention qui tient plutôt de l’inattention généralisée. L’approximation devient la règle, et rares sont ceux qui ont accompli l’effort d’appropriation de cet outil indispensable et qui ont compris que leurs capacités d’élaboration étaient fonction de sa maîtrise. On ne pense qu’avec des mots, on ne réfléchit que dans une syntaxe, c’est-à-dire quand on est capable d’assembler de manière cohérente des mots en même temps qu’on élabore un raisonnement lui aussi cohérent : les deux ne font qu’un. Le langage n’est pas là pour permettre au locuteur de « s’exprimer », selon une conception ridicule propre à l’individualisme contemporain qui est aussi une version très pauvre de l’ « outil » langagier, mais pour qu’il essaie de penser, comme avec un outil dont les ressources sont bien au-delà de ce que le locuteur pourra en faire.
Cela signifie que se « l’approprier » n’est pas en faire n’importe quoi, comme le veut la doctrine de l’expression », mais accomplir les efforts qui permettront d’en tirer parti. Une publicité imbécile d’une officine qui s’applique à concurrencer l’Education Nationale disait voici quelques années à propos d’une adolescente en mini-jupe affligée d’un bonnet phrygien et brandissant un drapeau tricolore : « [Grâce à nos cours particuliers payants,] elle a pris le pouvoir sur le français ». Touchante mégalomanie … On ne prend pas le pouvoir sur le français : on essaie humblement (nous en sommes tous là) de réfléchir, pour mener à bien cette tâche, on ne peut faire autrement qu’entretenir une relation extrêmement vigilante avec le langage, avec ce que l’on dit et que l’on écrit, refuser le règne de l’approximation (qui est le contraire de la pensée) et de la mécanisation que reflète la multiplication des tics de langage avec lesquels on prétend tout dire c’est-à-dire rien.
Dans la perspective salutaire d’un usage fécond et productif du langage, la maîtrise de la ponctuation n’est pas indifférente, tandis que au contraire l’incapacité à en user conduit à des énoncés incompréhensibles : quand on remplace les virgules par des points-virgules, qu’on coupe les phrases n’importe où par un point, ou que l’on construit des phrases interminables et confuses en les saucissonnant par des virgules distribuées au petit bonheur la chance. Rappelons à ce propos que la prudence consiste à construire des phrases d’une longueur raisonnable, ce qui réduit le risque de sombrer dans la confusion, et aussi que l’on ait en tête la nécessité de découper clairement les étapes d’un raisonnement, d’une argumentation, et de les hiérarchiser : la virgule permet d’assembler divers éléments qui présentent une forme d’homogénéité, ou entre lesquels on peut instaurer une relation logique simple. Le point-virgule permet de construire une unité que le lecteur repèrera aisément, tout en lui suggérant que le flux du raisonnement ou de la description n’est que momentanément interrompu. Le point montre que l’on sépare deux temps, deux niveaux d’analyse, souligne une articulation en permettant au lecteur de récapituler mentalement une phase par définition complète, etc. Au niveau supérieur, le paragraphe, puis la partie, fonctionnent de la même manière.
On trouvera ci-dessous les règles élémentaires gouvernant l’emploi de deux signes de ponctuation particulièrement malmenés dans les copies.

Le point-virgule
A l’oral : on le lit comme un point (on laisse tomber la voix), mais la pause est plus brève.
Ses différents usages :
Pour séparer des propositions (ou des expressions) indépendantes, mais entre lesquelles il existe une relation, généralement d’ordre logique :
« La planète se réchauffe ; les glaciers reculent d'année en année » (Rapport cause / conséquence. Remarque : une variante de cet énoncé consisterait à remplacer le point-virgule par un syntagme qui expliciterait le lien causal, lui-même alors souligné par une virgule : « La planète se réchauffe, c’est la raison pour laquelle /et c’est ainsi que les glaciers reculent d'année en année. » Avantages comparés des deux solutions : si le point-virgule allège l’énoncé, le syntagme à valeur de connecteur logique explicite une relation … logique, et conjure le péril de l’obscurité).
 Lorsque la deuxième proposition débute par un adverbe ainsi mis en relief :
« Sa voiture est tombée en panne au milieu de la campagne ; heureusement, un fermier passait par là » (Le point-virgule en séparant deux moments et deux états d’esprit - inquiétude / soulagement – dramatise leur succession et suggère le rétablissement d’une situation normale : le fermier a probablement dépanné la victime).
-> Pour mettre en parallèle deux propositions :
« Isabelle jouait au tennis ; son frère préférait le football » (Le point-virgule permet une répartition distribution : le thème étant celui du loisir de prédilection, deux protagonistes sont distingués par celui qu’ils ont choisi respectivement).
 Pour séparer (facultativement) les termes d'une énumération introduite par un deux-points, scandée par des tirets et close par un point :
« Acheter à l'épicerie :
– 3 oranges ;
– 2 pamplemousses ;
- de la mort-aux-rats ;
– 4 citrons.

La virgule
A l’oral : on marque une courte pause et on suspend la voix (surtout : on n’adopte pas une tonalité descendante).
La virgule s'emploie :
 dans une énumération (ou plus largement : dans un énoncé qui obéit au principe de la liste), pour séparer des mots, des groupes de mots de même nature, ou des propositions juxtaposées :
« Elle monte, elle descend, elle s’en va, elle revient, elle n'arrête pas de bouger ! » (La multiplication des verbes d’action séparés par des virgules, donc additionnés, traduit un comportement agité et proche de l’incohérence que la remarque finale explicite et synthétise).
« Les lions, les girafes, les zèbres, vivent tous trois dans la savane» (où ils ne s’ennuient jamais, bien qu’ils ne jouent pas ensemble).
 Pour séparer des mots, des groupes de mots (voire des propositions) coordonné(e)s par les conjonctions de coordination « et », « ou », « ni », lorsque celles-ci sont répétées plus de deux fois.
« Il ne craint ni le vent, ni le froid, ni la neige, et il est à l’épreuve des balles ; mais il est dépressif. »
Remarque :
La virgule peut aussi servir à remplacer les conjonctions « et », « ou », « ni ». La conjonction n'apparaît alors qu'avec le dernier mot :
« Vous avez le choix entre un café, un thé, une tisane ou un chocolat chaud. »
« La vache, le crocodile et l’ornithorynque grimpèrent dans l’Arche sans enthousiasme. »
 Devant des mots, des groupes de mots ou des propositions coordonné(e)s par des conjonctions de coordination autres que « et », « ou », « ni » :
« Je viendrai, mais avec un peu de retard. »
« Nous irons au lac, car je sais que tu aimes particulièrement cet endroit. »
 Pour mettre en relief un élément placé en tête de phrase :
« Au sommet de la tour de Windsor, des corbeaux ont élu domicile. »
« Moi, je ne croirais jamais une telle chose. »
« Puisque tu le souhaites, je le ferai. »
Remarque :
Dans le cas des inversions de sujets, les éléments placés en tête de phrase ne sont pas séparés par une virgule :
« Dans le salon attendent les invités. »
Pour isoler les propositions participiales :
« Son travail terminé, il rentra directement chez lui. »
 Pour isoler ou encadrer des mots, groupes de mots ou propositions mis(es) en apposition et qui donnent des informations complémentaires (ce que l’on appelle des incises) :
« L'enfant, épuisé par cette première journée d'école, s'est rapidement endormi »
« Marcel, le plus chanceux des hommes, a fait la conquête de la belle Marinette »
« Cette chanson, que chacun a en tête, est traduite d’un dialecte syro-palestinien »
Remarque :
Les trois exemples ci-dessus montrent que la proposition subordonnée relative explicative – celle qui introduit, en incise, un élément d’explication, une précision pour ainsi dire latérale - est isolée par une virgule. En revanche, la subordonnée relative dite « déterminative », qui introduit un élément de caractérisation essentiel, ne peut pas être séparée de son antécédent :
« L'homme qui m'a téléphoné hier est passé ce matin à mon bureau » (Le seul élément de caractérisation de l’élément indéfini « l’homme » est « qui m’a téléphoné hier ». L’ensemble forme donc une unité que l’on ne peut scinder. Pour que l’on puisse isoler devant une virgule le groupe « l’homme », il faudrait qu’il ait été caractérisé auparavant, et l’on obtiendrait alors une incise : « Après l’assassinat, on m’avait parlé d’un certain Abel Igérant. L’homme, qui m’avait téléphoné la veille, était passé ce jour-là à mon bureau »)
 Pour encadrer ou isoler les propositions incises, notamment celles qui contiennent des verbes déclaratifs :
« Je vais, dit le professeur, vous expliquer la formation des nuages »
« Je vais vous expliquer la formation des nuages, dit le professeur »
 Pour séparer des propositions en signifiant un déroulement chronologique, une succession (ou une simultanéité) d'événements :
« Je vous vis, vous me plûtes, et vous m’épatâtes »
« Nous montions, il descendait »
 Après le nom de lieu dans l'indication des dates
Grenoble, le 17 octobre 1973.

Remarques d’ensemble
- Qu’il s’agisse du [ ;] ou a fortiori du [.], vous devez être conscients de l’impossibilité de fractionner certains énoncés qui forment un système complet :
« Mieux vaut entendre cela que d’être sourd » : la structure comparative « Mieux … que » interdit de briser le flux de l’énoncé.
« Il louchait de son œil unique, ce qui rendait les tête-à-tête déplaisants » : on ne peut séparer la locution pronominale « ce qui » de son antécédent par un point ou un point-virgule (même si c’est la mode). En revanche on peut mettre un point devant le démonstratif dit « anaphorique », si vous voulez tout savoir) « cela » s’il remplace « ce qui » : « Il louchait de son œil unique. Cela rendait les tête-à-tête déplaisants, surtout lorsqu’il essayait de la fixer intensément, comme au cinéma, pour lui demander si elle l’aimait ».
- L’usage de la virgule est riche de subtilités qu’on ne peut enfermer dans des règles simples. Comparons deux versions de ce dialogue extrait du Bal des Schizos [We can Build you, 1973)] de Philip K . Dick :
« - Emmène-moi dans ta chambre et baise-moi.
- Il y a dans ton langage quelque chose d’indéfinissable et qui laisse à désirer »
« - Emmène-moi dans ta chambre, et baise-moi.
- Il y a dans ton langage quelque chose d’indéfinissable, et qui laisse à désirer »
Dans la première version, la réplique inaugurale suggère un enchaînement pressé : le repli dans un espace clos n’est préconisé que pour rendre possible une relation érotique, et il existe une mécanique sans faille qui conduit de la première séquence à la seconde. La réponse de celui qui est ainsi sollicité décrit en deux temps la prise de parole de l’interlocutrice, d’une manière assez détachée, comme soucieuse de précision et d’objectivité, préoccupation d’autant plus remarquable (sans compter que ce n’est peut-être pas le moment, mais c’est un autre problème) que le commentaire met au contraire l’accent sur la nature énigmatique du propos (« quelque chose » / « indéfinissable » / « laisse à désirer »).
Dans la deuxième version, la virgule de la réplique inaugurale solennise le passage d’une séquence à l’autre, y ajoute une pointe d’intensité et d’angoisse, comme si l’enchaînement certes programmé par le « et » fonctionnait sur le mode d’une bascule surchargée de sens et d’intensité. La réponse du destinataire obéit un peu au même schéma : la virgule souligne le trouble que déclare le premier temps du commentaire, et donne au second temps de celui-ci la valeur d’un approfondissement qui comporte une part de rêverie : le manque (« qui laisse à ») apparaît plus suggestif, d’autant plus que le verbe « désirer » est bien sûr riche d’une équivoque (même si le contenu de la réplique est en gros une fin de non-recevoir). L’ensemble confère une tonalité méditative au discours, qui contraste vigoureusement avec la crudité émouvante de l’offrande amoureuse à l’origine du dialogue.

Le choix de la virgule se combine avec d’autres éléments. Comparons là encore deux énoncés :

« Nous irons au lac, car je sais que tu aimes particulièrement cet endroit. »
« Nous irons au lac parce que tu aimes particulièrement cet endroit. »

Dans la première version, la virgule et le « car »suggèrent que le locuteur / La locutrice agit en fonction de la prédilection du / de la destinataire pour le lac, au nom d’une attention bienveillante (probablement dictée par le sentiment amoureux) aux goûts et aux aspirations de celui-ci/ celle-ci.
Dans la seconde version, il s’agit de la simple mention d’une relation de causalité présentée dans toute sa raideur (qui implique l’absence d’une pause méditative telle que l’introduirait la virgule), comme quelque chose d’objectif qui semble ne préjuger en rien de la disposition subjective du locuteur à l’égard de la prédilection du destinataire. Le lecteur comprend toutefois que cette disposition est probablement, au mieux, de l’ordre de la neutralité, au pire, de l’ordre de la résignation, de l’agacement ou de la réprobation. Ce qui en tout cas est bien noté, c’est que le susdit locuteur n’est pour rien dans la décision d’aller au lac.

Insistons pour finir sur le fait que dans certains cas l’ajout d’une virgule affecte la nature et la fonction d’un terme :
Dans « Marcel lui a dit que les poules avaient des dents », « lui » est un pronom complément d’objet indirect qui renvoie à un tiers (appelons-le Périclès, ou appelons-la Marinette).
Dans « Marcel, lui, a dit que les poules avaient des dents », « lui » renvoie à Marcel ; il permet d’insister sur le fait que Marcel a dit cela, tandis que Périclès (ou Marinette) a prétendu que les susdits volatiles ne demandaient qu’à voler [voir Chicken run].

Elle peut aussi avoir des conséquences sur la syntaxe. Quand « Ainsi » inaugure une phrase et n’est pas suivi d’une virgule, il entraîne une inversion de la place du sujet et du verbe (ou une répétition du sujet sous la forme d’un pronom placé après le verbe):
« Ainsi Bonaparte connut-il une passion foudroyante pour Joséphine qui affaiblit opportunément celle qu’il vouait aux armes à feu de gros calibre ».
Si l’on fait intervenir une virgule, l’ordre normal est respecté :
« Ainsi, Bonaparte connut une passion foudroyante pour Joséphine qui affaiblit opportunément celle qu’il vouait aux armes à feu de gros calibre ».
La deuxième version met davantage l’accent sur la relation de cause à effet (la cause étant ici le fait que Bonaparte a dansé toute la nuit du réveillon avec Joséphine, qui portait une tenue particulièrement glamour). La première met plutôt l’accent sur le résultat. Les deux formulations son bien entendu grammaticalement correctes.

APPENDICE
On a souligné dans cet exposé le lien entre ponctuation et syntaxe ; c’est l’occasion de rappeler les trois variantes de la syntaxe de l’interrogation, laquelle, pour une raison mystérieuse (car elle ne pose guère de problème) est l’objet de fautes à peu près systématiques.
Interrogation directe : « Pleut-il ? » (inversion verbe-sujet + point d’interrogation)
Interrogation semi-directe : « Est-ce qu’il pleut ? » (présence inaugurale de la locution interrogative « est-ce que », porteuse de l’inversion verbe-sujet, + ordre normal ensuite du sujet et du verbe, + point d’interrogation)
Interrogation indirecte : « Je me demande s’il pleut » (présence inaugurale d’un verbe comportant la notion de question, d’interrogation, + ordre normal sujet / verbe, + pas de point d’interrogation).
On ne dit / n’écrit donc pas
*Je me demande est-ce que pleut-il ?
* Est-ce que pleut-il ?
* Je me demande s’il pleut ?
*Je me demande, il pleut ?
*Est-ce que je me demande il pleut ?
*Est-ce que pleut-il je me demande ?
Etc.

 

 

 

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