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08/02/2014

Mise au point : la technique de la citation

                       MISE AU POINT : LA TECHNIQUE DE LA CITATION

 

     La plupart des copies ignorent délibérément les règles qui régissent l’usage de la citation. Le présent topos a pour but d’exposer celles-ci à partir de quelques exemples. Les énoncés fautifs pris pour exemples ont été prélevés dans des copies (le devoir portait sur la lettre 108 des Liaisons dangereuses)  et sont précédés d’un astérisque; les guillemets y  introduisent la citation.

 

EXEMPLE 1

 

    *Madame de Tourvel est très reconnaissante à Madame de Rosemonde de son « indulgence » (l.3) « que j’ai de grâces à vous rendre ! »  (Lignes 1-2).

 

     Dans cet exemple, il manque l’indispensable appareil de démarcation entre le propos de l’étudiant et la citation. La lecture à haute voix de cet énoncé tel qu’il est écrit, donc sans ménager la moindre pause, la moindre différence d’intonation, suffit à mettre l’accent sur son incohérence. L’appareil de démarcation qui devrait figurer devant la citation, c’est un simple signe de ponctuation : [ :]. Mais cette démarcation ne suffirait pas : il faudrait encore assurer le lien logique entre le propos du rédacteur et la citation qui vient l’illustrer ; c’est un verbe déclaratif qui remplira cette fonction, et lui-même devra bien sûr être pris dans une syntaxe, une logique, une formule, qui assureront la cohérence du tout. Cela donnera par exemple :

 

Madame de Tourvel est très reconnaissante à Madame de Rosemonde de son « indulgence » (l. 3), comme cela apparaît à la ligne 2 lorsqu’elle lui dit : « que j’ai de grâces à vous rendre ! ».

 

     Si la citation précédait le commentaire, les règles seraient les mêmes, et bien entendu il faudrait les adapter aux contraintes syntaxiques et logiques imposées par cet ordre d’apparition :

 

Lorsque Madame de Tourvel dit à Madame de Rosemonde : « Que j’ai de grâces à vous rendre ! » (l. 1-2), elle lui signifie d’emblée qu’elle lui est reconnaissante de son « indulgence » (l.3).

 

     L’autre solution, lorsque l’on doit faire intervenir une citation, consiste à l’intégrer, grâce à une relation de subordination, dans le propos lui-même : on construit un enchaînement logique au lieu de construire une relation de démarcation. L’inconvénient de cette solution, c’est qu’elle oblige souvent à manipuler les pronoms personnels, les adjectifs (ou les pronoms) possessifs, pour passer du système du discours direct à celui du discours indirect ; cette manipulation sera affichée par la présence de crochets entre lesquels figureront les éléments transposés du discours direct au discours indirect. Par ailleurs, dans l’exemple que nous exploitons, cette solution conduit à faire disparaître la tonalité exclamative, et n’est donc pas une bonne solution. Illustrons-la toutefois pour les besoins de la cause :

 

Madame de Tourvel est très reconnaissante à Madame de Rosemonde de son « indulgence » (l.3), comme cela apparaît à la ligne 2 lorsqu’elle lui dit qu’elle a de beaucoup  de « grâces à [lui] rendre ».

 

EXEMPLE 2 :

* Elle est respectée par la présidente « (…) n’a point altéré ma confiance en vous » (ligne 36 – 37).

 

     Cet énoncé est totalement incompréhensible : il n’obéit à aucune des exigences logiques ou syntaxiques minimales. Tout d’abord, le découpage de la citation est fautif : il fallait bien entendu conserver le sujet ! Voici ce qu’il aurait fallu écrire :

 

Elle est respectée par la présidente, qui lui dit : « (…) une fausse honte n’a point altéré ma confiance en vous ».

 

 

         Ou bien :

 

Elle est respectée par la présidente, qui lui dit  qu’ « (…) une fausse honte n’a point altéré [sa] confiance en [elle] ».

 

         Mais cet énoncé pose par ailleurs un autre problème, qu’il nous offre ainsi la possibilité d’aborder : celui de la pertinence de la citation. Dans un devoir, on fait intervenir des citations pour illustrer (ou pour inaugurer) une analyse, un développement. Qui voudrait par exemple commenter l’ampleur de la vision historique et politique du Général de Gaulle devrait citer non pas la formule sans appel dont il usait à propos de l’ex-milicien Paul Touvier (« Touvier ? Douze balles dans la peau ! »), mais la phrase inaugurale de ses mémoires (« Je me suis toujours fait une certaine idée de la France »). Dans le cas qui nous occupe, la citation ne témoigne  pas du « respect» de Madame de Tourvel (comme le prétend le candidat) pour madame de Rosemonde, mais du fait qu’elle souhaite vivement poursuivre avec elle une relation basée sur une « confiance » absolue, qui autorise Madame de Tourvel à se … confier à Madame de Rosemonde . Ceci est essentiel (les curieux iront relire cette lettre) : Madame de Tourvel a avoué à sa correspondante qu’elle aimait Valmont, et elle sait que la morale commune la condamne (car elle est mariée) ; elle tient donc à dire à Madame de Rosemonde (incarnation d’une vertu ferme mais « indulgente ») qu’elle a décidé d’assumer ce sentiment amoureux et la faute morale qu’elle représente, et qu’elle n’éprouve nulle « fausse honte » : elle ne lui cachera rien, et continuera à la traiter en confidente. Si elle n’a pas cité le nom de Valmont dans sa lettre précédente (car c’est de cela qu’il est question), c’est par une sorte de pudeur de femme amoureuse, pas parce qu’elle estime qu’il est indigne de cet amour. On voit donc que le mot « confiance » a ici tout son sens, et que son usage par la locutrice fait référence à l’évolution de sa situation. Il ne s’agit donc d’une simple pétition de principe qui concernerait par ailleurs une disposition d’esprit unilatérale (le respect), mais d’une allusion au prix que Madame de Tourvel accorde plus que jamais à une relation de confiance partagée

         On voit à travers cet exemple que la pertinence, c’est-à-dire le rapport d’adéquation entre la citation et le commentaire, est un aspect décisif de la citation et de son usage.

        

         Comme on le voit, la technique de la citation ne présente pas d’autre difficulté que celle d’une attention scrupuleuse à l’égard de la logique de la construction d’un énoncé et la capacité à construire une argumentation cohérente. Symétriquement, la transgression des règles d’usage de la citation apparaît au mieux comme une coupable négligence, au pire comme une preuve de l’incapacité à mettre en œuvre ces exigences pourtant élémentaires. Dans un cas comme dans l’autre, il est parfaitement légitime de sanctionner ces manquements, et les correcteurs sont payés pour le faire. A bon entendeur ….

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