Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/09/2017

Oral des petites mines (lecture d'image)

Oral français- Petites mines

 

 Vérifier la durée totale de l ‘épreuve.

 

Pourquoi cette épreuve ? Elle vient compléter la batterie de celles que le candidat a déjà affrontées, dont elle est totalement différente. Ce qui intéresse le jury, c’est de voir comment ce candidat  va s’y prendre, s’il manifeste l’agilité intellectuelle, la culture, le sang-froid, qui permettent d’improviser un commentaire cohérent et judicieux.

Un étudiant de math spé n’est pas un khâgneux : on n’attend pas de vous des connaissances très pointues en histoire de l’art ou en histoire tout court, et on sait que vous n’êtes pas formé à cet exercice de la « lecture d’images ». Ce que le jury attend, c’est que vous soyez capables de mobiliser votre culture (de la plus scolaire à la plus personnelle) pour « faire parler » une image. La culture « scolaire », cela signifie que si le document est une photographie prise en Sibérie en 1992, avec des bâtiments déglingués dans une bourgade sinistre, vous devez rappeler qu’en 1989 a eu lieu la chute du Mur de Berlin et en 1991 la fin de l’URSS, qui a inauguré une période très difficile. Culture au sens le plus large du terme, cela signifie que si vous commentez un tableau représentant la nativité du Christ, vous devez être en mesure de rappeler,  disons, de qui et de quoi il s’agit. Culture personnelle, cela signifie que si vous avez en tête une autre représentation de la nativité, c’est très bien.

Le jury n’a en général pas d’a priori sur l’image qui vous est proposée : il l’a choisie parce que d’une manière ou d’une autre elle lui semblait suggestive, prêter à commentaire, mais il n’a pas en tête une sorte de corrigé dont il attendrait que le candidat se rapproche le plus possible, il ne considère pas que tel commentaire est « vrai »,  et que tous les autres sont « faux ».

Commencez toujours par décrire l’image : vous-même, en procédant à cette opération, vous découvrirez des choses dont vous pourrez ensuite tirer parti, et puis vous pourrez montrer que vous avez conscience d’avoir affaire à quelque chose de visuel, que vous percevez en termes de proportions, de lumière, de couleurs, de  composition, d’étagement des plans.  

Le problème essentiel auquel vous êtes confrontés est de trouver le bon angle d’attaque : on ne commente pas de la même façon une image publicitaire et une œuvre d’art, une photographie choquante et une allégorie.

Si l’image comporte une légende dont les éléments sont exploitables, tirez-en parti, mais ne répétez pas bêtement / platement cette légende : intégrez les informations qu’elle fournit dans votre description ou dans votre commentaire. Soyez attentifs à toutes les informations d’ordre chronologique.

Vous devez éviter de livrer une succession de remarques discontinues, qui en définitive ne constituent pas un commentaire, et vous efforcer au contraire de construire progressivement un commentaire à peu près cohérent, unifié, même s’il comporte des changements de plan ou de perspective justifiés par la nécessité de traiter successivement différents aspects / enjeux de l’image et que vous n’avez pas la possibilité d’atténuer ces ruptures par des transitions bien huilées ( le jury est réaliste, il sait que l’improvisation ne vous permet pas de livrer un travail tiré au cordeau).

Vous allez donc improviser, ce qui est un art difficile : vous allez formuler des analyses oralement en même temps que vous les élaborerez. Un conseil tout simple : ne parlez pas trop vite, pour vous ménager une petite marge de manœuvre. Parlez posément, et en essayant de maintenir un débit égal. Un trou d’air de 3 secondes ne pose pas de problème, une pause de 20 secondes sera mal perçue. Efforcez-vous d’atteindre l’état de concentration qu’implique un tel exercice.

Si vous êtes  vraiment « en panne »  (si vous ne trouvez rien à dire), il ne faut ni dire n’importe quoi, ni rester le nez penché vers le document d’un air buté. Dites posément que vous ne voyez pas comment aborder le document. Le jury vous tendra alors une perche ; vous démarrerez donc l’épreuve dans une situation de faiblesse (puisque vous n’aurez pas été en mesure de satisfaire à l’exigence de départ de cette épreuve), mais vous aurez une chance de vous rattraper : si vous êtes capable de saisir la perche que vous aura tendu le jury, puis de dire, cahin-caha, un certain nombre de choses, si ensuite, à l’échelle de l’ensemble de l’épreuve, vous manifestez un certain nombre de qualités, vous pouvez éviter le désastre et même remonter la pente.

La logique de cette épreuve (le « hors-programme », l’improvisation) vous conduit à mettre en œuvre une logique de l’ « association d’idées », qui doit bien sûr toujours être contrôlée, argumentée, discutable au sens strict du terme, et qui vous permet d’exploiter le pouvoir de suggestion de l’image. A partir d’une publicité des années 60 pour la DS Citroën, on peut – on doit – bien sûr parler du pouvoir de fascination attaché à l’objet automobile et de ses conséquences effroyables (la « surconsommation » de voitures, donc la pollution, etc.) mais aussi faire un peu de sociologie (les différentes automobiles visent différents publics) ; le tableau de la nativité peut vous conduire à parler de la disparition de la peinture religieuse, ou à parler du traitement du corps dans les images qui nous sont contemporaines (pourquoi la Vierge, même lorsqu’elle est très belle, ne ressemble-t-elle pas à un mannequin ?), la photographie de la bourgade sibérienne peut vous amener à citer un film de SF représentant un univers détruit par une catastrophe industrielle ou écologique, ou bien à parler des projets de développement de la Sibérie aujourd’hui. A partir du cliché célèbrissime du « mano a mano » Anquetil – poulidor dans le Puy de Dôme (Tour de France 1964), on peut aussi bien parler (après avoir décrit méticuleusement la photo, qui s’y prête) du lien entre le sport spectacle et le dopage que des transformations, au cours de l’Histoire,  du motif narratif et épique du duel (d’Homère au Tour de France en passant par Les Trois Mousquetaires ou le western Spaghetti)

Certaines images vont vous permettre de manifester votre « regard d’ingénieur » : la  publicité pour la DS Citroën vous amènera à parler de design automobile[1] – mais il faudra aussi que vous soyez capable d’analyser l’imaginaire que mobilise cette publicité.

 

On peut dire que la lecture d’image est le premier temps de cette  épreuve qui s’infléchit ensuite (ou bifurque) vers un entretien. Mais dans l’idéal, l’épreuve suit un cours sinueux qui permet de ménager une continuité : le commentaire de l’image conduit le  jury à  poser des questions au candidat sur sa vision des choses, ses réactions, ses positions philosophiques, etc., et donc on glisse de la lecture d’images à l’entretien. Si le commentaire de l’image livré par le candidat ne permet pas ce mouvement, le jury peut indiquer que ce premier temps de l’épreuve est terminé et amorcer l’entretien en posant des  questions au candidat, ou bien lui demander de se présenter (et à partir de là démarre un entretien de personnalité « classique »).

 

 

 

 

 

[1] A propos de la DS et du design, voir sur mon blog, Guy Barthèlemy Littérature,  dans le fichier « Conseil élémentaire pour un entretien », le texte de Roland Barthes. 

12/03/2017

LA PAROLE POETIQUE : quelques balises et un choix d’incarnations

            Guy Barthèlemy – Khâgne du Lycée Champollion, Grenoble

 

[L’exposé qu’on va lire procède de mon intervention dans le cadre de la journée d’études organisée à l’Ecole de Commerce de Toulouse autour du thème au programme des CPGE commerciales, la parole. Le temps m’a manqué pour y apporter les dernières finitions : polir les articulations logiques, rédiger complètement certains brefs passages. Il est toutefois exploitable en l’état. Il est accompagné d’un second fichier dans lequel figurent les textes commentés.

Merci à Danielle Baïsse qui m’avait convié à cette journée, et à Michèle Boué pour sa relecture attentive.]  

 

LA PAROLE POETIQUE : quelques balises et un choix d’incarnations

 

                                              

Ce qu’on nomme poésie est d’une infinie diversité, celle d’accomplissements dispersés dans le temps et l’espace, et il ne sera pas question dans cet exposé de vous fournir une synthèse, mais de vous présenter quelques incarnations de la parole poétique que je mettrai d’abord en perspective en vous fournissant quelques points de repères, quelques éléments de réflexion à sauts et à gambades, sans jamais oublier que je m’adresse à des gens qui préparent des concours – traduisons : à qui il faut fournir des munitions et des citations pour une dissertation. J’examinerai ensuite, en m’attardant plus ou moins à chaque fois, quelques incarnations de cette parole poétique susceptibles de constituer pour vous autant de balises.

Commençons par écarter une difficulté : parler de la poésie et parler de la parole poétique, est-ce la même chose ? Il me semble que oui, à ceci près que parler de « parole poétique » c’est souligner la possibilité de surgissement du « dire » poétique dans des contextes qui ne relèvent pas de la poésie ;  c’est aussi insister sur le fait qu’il convient d’appréhender la poésie dans le cadre d’une typologie de  la / des paroles, et c’est de là que je vais partir. 

 

La tradition esthétique nous propose d’emblée une première opposition, entre, précisément, prose et poésie, avec une tension qui court toujours le risque de la tautologie (est poésie ce qui n’entre pas dans la définition de la prose, ou ce qui en est le contraire, et inversement), mais on peut tenter de faire mieux. La prose est à la fois de l’ordre de l’utilité (la langue comme outil de communication et d’information), de la trivialité (ce qui au sein du réel est dépourvu de dimension esthétique, sans rapport avec une transcendance, voire indéfectiblement liée à des choses qu’il est impossible de sublimer), et de la rationalité (avec ses exigences de transparence du sens et les règles de sa construction). La poésie pour sa part est de l’ordre de la beauté, en tout cas de la rupture avec la trivialité, elle vise, y compris de manière paradoxale, des formes de sublimation du réel ou de son expression,  et elle n’est tenue à aucune exigence de transparence car au contraire elle cherche une profondeur qui reste inaccessible tant que l’on conçoit le langage comme une transparence inféodée à la rationalité[1].

Voici pour dire les choses d’une manière brève, à peu près compréhensible (je l’espère !) et pour lancer l’enquête, ce qui nous conduit immédiatement à relever un certain nombre de difficultés.

D’abord dans la question de la beauté et de la sublimation. La poésie a « longtemps » (pardon pour cette facilité) été définie comme une « parole ornée » : le travail sur la matérialité phonique de la langue, sur le jeu des rythmes et des accents – bref, l’exploitation de la musicalité que l‘on peut conférer au langage par l’art (aux deux sens du terme : la maîtrise de techniques, de savoir-faire, et la démarche qui vise à produire une plus-value qu’on appelle la beauté) -, le choix de référents qui par excellence s’harmonisaient avec cette recherche, la prédilection pour l’image[2], tout cela constituait (et constitue sans doute encore dans la conscience commune) l’essentiel de la poésie qui justifiait ainsi son lien essentiel avec le lyrisme[3]. Mais nous avons tous entendu parler d’un type nommé Baudelaire qui a commis un poème intitulé « Une Charogne[4] », dans lequel il rappelle à son âme à quel point elle fut bouleversée par la confrontation inopinée avec cet objet éminemment trivial, mais aussi repoussant et riche à la fois de tout un imaginaire métaphysique et d’une puissance d’évocation sensible redoutable[5]. Donc les relations entre la poésie et la beauté sont plus complexes qu’il n’y paraît, et le poète est celui qui par son dire, sa parole (avec ce que cela implique d’épaisseur subjective, de singularité, de vision irréductible) peut tout sublimer.

J’ai dit « le poète » et pas « la parole poétique », parce qu’il convient d’insister que ce n’est pas une question de  procédés, une simple question de technique. En effet, pourquoi le distique « Emparez-vous de la balayette / et attaquez-vous à la moquette » ne relève-t-il pas de la poésie ? Parce que son référent est  une activité triviale (pas vile pour autant) que rien ne peut sublimer (elle ne comporte pas d’enjeux anthropologiques, pas de projection imaginaire, pas d’émotivité intenses – bref, elle semble ne pas offrir de prise au lyrisme), et la voie de l’épique façon littérature/ iconographie soviétique des années 30 est là également impossible : on peut hausser jusqu’à l’épique la construction des voies ferrées ou l’exploitation minière (voir le personnage de Stakhanov !), pas le nettoyage de la moquette. Ce qui au contraire s’impose en l’occurrence c’est le décalage entre une forme poétique affichée et canonique (la forme versifiée régulière : 9 syllabes et une rime suffisante) et le caractère anti-poétique du propos – cela s’appelle le burlesque ou la parodie, et le caractère poétique de la parodie est au mieux paradoxal, au pire comique, dérisoire (ce qui ne signifie pas qu’elle ne peut pas receler une certaine forme de réussite : humour, brio formel suggestif, créativité imaginaire…). Et pourtant, lorsque je dénie toute virtualité poétique au nettoyage de la moquette, ceci  n’est pas absolument vrai : un spécialiste de Hugo pourrait peut-être m’opposer un poème de son grand homme dans lequel il est question de choses éminemment triviales, et même semblerait-il impossibles à « poétiser », qui deviennent sous sa plume … de la poésie – mais si cette virtualité existe, il est certain qu’elle ne tient pas au jeu « mécanique » de la rime moquette / balayette, la rime (dont nous reparlerons, bien sûr) n’étant une condition ni nécessaire ni suffisante de la poésie. Et si je ne peux pas concevoir cette virtualité poétique, cela prouve simplement que je ne suis pas un poète, et que, à l’inverse, les poètes ont une mission, qui est de nous donner à voir le monde autrement.

 

Partir de l’opposition prose / poésie, c’est valoriser à la fois dans la parole poétique un potentiel d’approfondissement et un potentiel plus difficile à nommer quand on veut éviter des termes qui font directement / naïvement référence à la dimension esthétique (i.e. « l’enjolivement »), et que faute de mieux je nommerais la virtuosité, entendue ici comme ce à quoi on renvoie des processus qui se traduisent par une sorte d’allègement des contraintes qui caractérisent la condition humaine, ou qui semblent autoriser fugacement le franchissement des limites de celle-ci. En l’occurrence, la parole poétique peut dans certains de ses avatars se définir comme une réussite exceptionnelle de l’art de dire, s’incarner dans des énoncés qui semblent constituer en la matière un absolu. J’emprunterai mon premier exemple à Racine (Bérénice) :

Bérénice (à Titus)

 

Je n'écoute plus rien, et pour jamais adieu.
Pour jamais! Ah! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime?

Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous?
Que le jour recommence et que le jour finisse

Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,

Sans que de tout le jour je puisse voir Titus?

             

« Que le jour recommence et que le jour finisse / sans que jamais Titus puisse voir Bérénice » : le moule de l’alexandrin, le jeu sur la rime, la conjonction de la distance paradoxale (Bérénice devant Titus parle de Bérénice et de Titus) et de l’expression d’une intimité souffrante, la représentation d’un temps existentiel enfermé dans la répétition d’un rythme cosmique qui devient étalon de la souffrance, l’ultime rapprochement par le langage (la syntaxe) de ceux dont on dit qu’ils sont voués à la souffrance de la séparation, tout cela fait de cet énoncé comme un absolu : celui de l’expression élégiaque de la souffrance. 

Notons toutefois ici que cet absolu peut aussi  se réaliser dans la prose et s’en détacher[6] : dans La Morte amoureuse de Gautier (1836), à l’épitaphe rimée qui sur  la tombe de Clarimonde  vient exalter la beauté de l’héroïne(« Ci-gît Clarimonde / qui fut la plus belle du monde » - noter le rythme : 5/5/2  - on va retrouver les pentasyllabes chez Romuald, comme en une terrible assonance qui lie l’hommage à la beauté anéantie, et la ruine spirituelle / existentielle ) fait écho la sentence de Romuald (qui l’a aimée, et qui vient de voir sous ses yeux son cadavre se décomposer au terme d’un rituel de profanation de sépulture et d’exorcisme) commentant sa dévastation intérieure : « Une grande ruine venait de se faire au-dedans de moi » : belle séquence de 3 pentasyllabes dans laquelle la récurrence du [d] semble dire l’effondrement, le chaos, la fracture irréconciliable du moi, que littéralise le motif de la ruine pris en charge par une syntaxe étrange (usage du verbe « faire », choix du substantif « ruine » plutôt que du verbe « ruiner », pour mettre l’accent sur la substance plutôt que sur le processus). Bref, la solennisation de l’énoncé  par son rythme, sa densité et sa noirceur vient « trouer » le texte. Racine ou Gautier, même combat : comment mieux dire la souffrance de la séparation, de la disparition ou de la  destruction de l’amour et de celui qui a aimé? 

            Cette virtuosité, lorsqu’elle « migre » ailleurs que dans le poème, prend volontiers la forme d’énoncés brefs, elliptiques et suggestifs. Barthes a dit que la maxime était « une parole serrée entre deux silences », et le silence qui baigne l’énoncé fragmentaire[7] est alors nécessaire à l’expansion de la parole poétique, grâce à une remarquable dialectique du vide et de la plénitude. On pourrait citer ici d’innombrables formules pascaliennes, j’en retiens une : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », portée par un remarquable effet rythmique : 3 / 3 / 8 (si l’on fait la liaison du [s], avec le [e] qui n’est plus muet mais devient neutre, et l’accent sur le [a]), puis l’effet couperet de la cadence mineure détachant le pronom et le verbe : « m’effraie »  (2 syllabes). La réussite formelle, harmonique, de l’énoncé – il faudrait ajouter la structuration phonologique par les sifflantes (5[s], 1 [z]), le jeu sur les [e] ouverts et fermés, la trompette des 2 [i], elle-même soulignée par la prolifération des accents rythmiques de l’adjectif trisyllabe « infini », qui vient littéralement faire écho à la même scansion du trisyllabe homologue  (« éternel ») - contribue largement à la création et à l’expression du vertige métaphysique et de son affectivisation sous le signe de la peur.

En revanche, je préfèrerais oublier le terrifiant alexandrin du code pénal : « Tout condamné à mort aura la têt’tranchée » (le malaise naît ici de la discordance entre un rudiment d’harmonie rythmique et l’horreur de la décapitation – comme un cynisme involontaire].  Et puis aussi l’alexandrin trivial expectoré par un Hugo distrait qui rimaillait sans y penser à la gare de Bruxelles : « Donnez-moi je vous prie un billet pour Paris »).

Et je jette un œil incertain sur les slogans, dont la virtuosité peut comporter une suggestion poétique en ce qu’elle sert une thématisation elle-même suggestive (« sous les pavés, la plage », « Travail, famine, pâtes-riz »), qui est hélas parfois au service d’une vision du monde discutable (« femme au volant, mort au tournant »), ou qui met son charme au service d’exigences strictement commerciales (mais tout de même, qui ne s’enorgueillirait d’avoir inventé  « Naf-Naf, le grand méchant look », qui marie le lexique du marketing, la préoccupation de la dimension esthétique du vêtement, et un imaginaire littéraire partagé pas tous ? – bref, une véritable parole poétique, mais prostituée à une marque de vêtements, à moins que son caractère humoristique ne suffise à la blanchir de cette accusation). Voir plus largement la question du jeu de mots[8].

 

            Mais la parole poétique peut aussi choisir une profondeur pleine d’opacité (peut-être pourrait-on dire que ce sont là – virtuosité + absolu d’une part, opacité de l’autre -  les deux grands versants de la parole poétique[9]), qui ne peut qu’être  un défi au commentaire :

René Char, O.C. p.729 : « L’observation et les commentaires d’un poème peuvent être profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables, ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et à un projet un phénomène qui n’a d’autre raison que d’être ». Affirmation qui permet d’interpréter la formule de Rimbaud – « J’ai seul la clé de cette parade sauvage » -  comme une manière d’esquiver ce réductionnisme du commentaire.

Voir Maulpoix parlant de Char (Maulpoix, foliothèque Fureur et mystère, p. 132-135) : « la poésie n’est pas la pensée » : « Chez Char, la poésie constitue en soi un mode d’interrogation paradoxal [en lequel]  le questionnement même [vaut pour une] réponse. En définissant le poète comme un « grand Commenceur », Char confère à la poésie une valeur de parole inaugurale qui la rapproche et la distingue de la pensée. Multipliant les « débuts de vérité », la parole du poète ne se détache pas du point auroral où elle prend naissance, non plus qu’elle ne se détourne de l’horizon qui demeure son souci. [Mais] si elle livre quelque accès à l’être, ce ne sera que par entrouvertures.

A la différence de la philosophie, la poésie se fixe pour objet de connaître globalement la condition humaine[10], jusque dans ses démangeaisons métaphysiques les plus inguérissables ».

 

Yves Bonnefoy lui aussi se méfiait du concept qui, pensait-il, nous écarte de l’essentiel : voulant à tout prix identifier nos expériences, il les limite, et nous prive, de surcroît, de la présence du monde. « La tâche du poète est de montrer un arbre, avant que notre intellect nous dise que c’est arbre », écrivait-il. Il voyait la poésie comme « la préservation de ce sentiment de présence de tout à tout », qui en faisait « le bonheur, et aussi l’angoisse »[11].

 

            C’est dans le cadre que constitue ce « 2nd versant »  de la poésie qu’il faut appréhender le lien entre certains épisodes de renouvellement de la poésie et la survenue de grandes fractures anthropologiques, dont nous analyserons quelques exemples.

 

Nous abordons maintenant le deuxième temps de cet exposé, c’est-à-dire le commentaire plus ou moins étendu de quelques textes qui feront office de « balises ».  

 

 

                                  

                                   *******

 

                                   NERVAL, « El Desdichado »

 

 

            Toute l’œuvre de Nerval peut être lue comme une enquête sur la notion d’identité et sur le moi. Si cette enquête occupe le premier plan de l’œuvre, c’est en fonction d’un ensemble de facteurs que l’on peut rapidement exposer :

                        - tout d’abord une donnée anthropologique : le romantisme introduit une nouvelle conception du sujet et de son intériorité, dont la profondeur s’accroît considérablement et est valorisée. Dès lors, la quête de l’authenticité individuelle fait l’objet d’une prescription qui conduit le sujet à sonder cette intériorité, cette profondeur, à valoriser la rêverie, les libres associations de la mémoire, à se préoccuper du retentissement en lui des suggestions de l’œuvre d’art ou du paysage. 

                        - Une donnée individuelle : l’individu Nerval connaît, à partir des années 1840 (il est né en 1808) une série de crises psychopathologiques qui renforcent l’urgence de cette enquête et l’assortissent d’une grande angoisse.

            Ce poème,  célèbre à juste titre, offre une véritable mise en scène des interrogations de Nerval sur la question du Moi et de l’identité, et nous allons voir avec quel brio exceptionnel il exploite les virtualités de la parole poétique (lui qui prend la parole et qui dit « je » pour affirmer la caractère problématique de ce je et de ce moi) et les ressources que lui offre une forme poétique particulière, qui vaut pour la densité qu’elle est susceptible de conférer à cette parole, le sonnet. 

 Les vers 1, 2 et 9 proposent une série  de 8 identifications, auxquelles s’ajoute celle qu’impose le titre. Avant même d’entrer dans le détail de ces identifications qui portent les unes sur des situations psychologiques et existentielles (vers 1), les autres sur des personnages mythologiques (vers 9) ou historiques (vers 2 et 9), on comprend que cette prolifération interdit en fait au locuteur de se fixer sur aucune d’entre elles. Or, le mécanisme de l’identification est rassurant et confortable, comme permet de le comprendre la psychologie la plus banale, la plus triviale, lorsqu’il permet de définir une limite, de borner l’universelle rêverie autour de la forme que l’individu souhaite donner à son être et à son existence. A l’inverse, la prolifération des identifications exprime, thématise, une hantise de l’explosion d’un moi écartelé entre différents archétypes culturels ou existentiels, et l’on imagine aisément la charge d’angoisse inhérente à cette situation.

            Il importe de relever la manière dont Nerval met à contribution la ponctuation pour souligner ce caractère « centrifuge » des identifications proposées : dans le vers 1, les deux tirets, qui viennent s’ajouter aux deux virgules (usage qui n’est pas rare au XIXe) insistent sur le caractère discontinu des trois types psychologiques, en même temps qu’ils accentuent le martèlement dramatique du vers et le jeu sur la cadence  [4 / 2 / 4] destiné à valoriser l’identification au « veuf », c’est-à-dire au deuil, à quelque chose qui est de l’ordre de la perte (i.e. de la mélancolie, terme-clé du romantisme et de l’œuvre de Nerval). Le « moi » du locuteur semble ainsi s’organiser autour d’un vide, d’un trou, processus dont les deux autres termes exaltent la charge de souffrance (le second dit d’ailleurs lui aussi le manque, avec le préfixe privatif  « in »). Le personnage mentionné dans le second vers, ou plus précisément sa caractérisation périphrastique, souligne là encore  quelque chose qui est de l’ordre de la perte, de l’épuisement existentiel, avec cette image de la « tour abolie », qui dit clairement la « panne », une panne qui, dans la mesure où elle est figurée dans une image relevant de la mythologie historique (ce personnage indéfini du « prince d’Aquitaine »[12]) est donc peut-être aussi la panne d’une Histoire qui n’offre plus désormais d’identifications gratifiantes. L’adjectif, « abolie »[13], qui signifie étymologiquement « détruire, anéantir » mais aussi « faire perdre le souvenir de », est un terme particulièrement apte à restituer le désarroi du sujet nervalien, qui « égare » aisément son identité, et, de ce fait, se laisse fasciner par le ballet des identifications pour compenser cet oubli, lequel en est au contraire augmenté, comme l’atteste la succession des neuf identifications proposées. La  profondeur historique et mythologique (vers 2 et 9) de celles-ci, au lieu de conforter le moi en l’assimilant à des figures (approximativement) archétypiques, renforce l’angoisse en l’irréalisant et en le menaçant d’ « aboli[tion] ». Cette irréalisation apparaît d’ailleurs dès le titre : « El Desdichado » (que Nerval et ses contemporains traduisaient, fautivement,  par « le déshérité » - il signifie simplement « malheureux »), c’est le nom d’un personnage d’un roman de W. Scott, Ivanhoé (1819) qui se déroule au Moyen-Age, et ce titre pose d’emblée la question du recours à la littérature et à la poésie (nous y reviendrons) dans l’enquête sur le moi.

            Ce n’est au demeurant pas le seul intérêt de ce titre, qui lui aussi met l’accent sur une perte, dénotée là encore par le préfixe privatif (des-dichado / dés-hérité). Le manque à être du sujet est ainsi immédiatement « affiché » ; il sera ensuite thématisé non seulement par les identifications proposées dans le premier quatrain, mais par l’évocation au deuxième quatrain de quatre objets perdus  dont le sujet espère la restitution. Le premier (le « doublet » formé par le Pausilippe et la mer d’Italie) représente métonymiquement le paysage de la baie  de Naples, ville qui chez Nerval (voir Octavie dans les Filles du Feu et Corilla dans les Petits Châteaux de Bohême) est riche d’un imaginaire existentiel et amoureux très ambigu ; la symbolique solaire associée à cette  ville marque ici une tentative de conjuration de l’isotopie mortifère (« Soleil noir » et « nuit du tombeau ») instaurée plus haut. Le « je » réclame cette restitution à un « Toi » indéfini, figure probablement féminine de la « consol[ation] », riche de l’arrière-plan religieux allusivement mobilisé par ce terme, mais dont l’indéfinition fait écho à celle (éminemment problématique et douloureuse) du sujet. Les autres objets (la « fleur », la « rose » et le « pampre ») constituent une isotopie du végétal : la « fleur » est comme un substitut de la consolatrice, puisqu’elle « plaisait [au] cœur désolé » du locuteur ; cette assimilation est confortée par le jeu de la rime antonymique (consolé / désolé) et confère à la « fleur » une valeur talismanique en accord avec la tonalité générale du poème, dans lequel êtres, objets et scénarios tirent leur puissance évocatrice de leur indéfinition, et semblent choisis en raison d’une teneur conjuratoire qui reste indéfinie. La treille vaut par l’« alli[an]ce » du pampre et de la rose, autant dire la conjonction du masculin et du féminin, dont on connaît la difficulté chez Nerval. Par ailleurs, tout comme le Pausilippe et la mer d’Italie reconstituaient une Naples rêvée, le pampre et la rose évoquent une nature esthétisée, épurée, qui se prête à un fort investissement symbolique : avec cette alliance végétale,  le locuteur tente de conjurer sa hantise de la séparation, du clivage externe et interne.

             Comme le dit J. Bony dans son édition des Filles du Feu (GF 1994, p. 397) ces quatre objets talismaniques (Pausilippe et mer d’Italie, fleur, pampre et rose) dont le locuteur espère (et implore) la restitution forment une série dont il faut rapprocher celle des quatre identités proposées dans le premier quatrain, celle des quatre identités interrogées dans le premier tercet et celle des quatre personnages féminins mentionnés dans les cinq derniers vers.  Comment interpréter ces 4 séries de 4 ? Nerval exploite la brièveté et la clôture du sonnet pour organiser un jeu de tension entre ces séries, qui vient redoubler la tension qui à l’intérieur de chacune des séries définit les rapports entre ses éléments. Cette démultiplication des tensions entre des pôles d’identification, des figures du manque ou de la plénitude, thématise un univers (subjectif, poétique existentiel, culturel) habitué par une surintensité mélancolique et paradoxale (dans le sens où la mélancolie est souvent identifiée à une forme d’asthénie, de paralysie – voir infra), et cette généralisation de la tension est très probablement en elle-même, presqu’indépendamment de ses contenus, un  rempart contre la porosité du moi et la prolifération des identifications et des figures archétypales : elle neutralise (un peu) grâce à la clôture du sonnet, le caractère proliférant de ces identifications  et de ces figures qui pourtant la constituent[14]

            Dans le vers 9, les quatre identifications proposées sont laissées en suspens, comme l’indiquent les deux points d’interrogation : du « je suis » du vers 1, qui ouvrait sur trois identifications successives (mais aussi bien : substitutives, ou combinées) à des situations psychologiques et existentielles caractérisées par la souffrance, on passe ici à deux « paires », l’une consacrée à des personnages mythologiques, l’autre à des personnages historiques, avec en fait un processus de contamination de l’une à l’autre : en effet, si Amour et Phébus (Eros et Apollon) sont deux divinités grecques, « Phébus » est aussi le nom d’un personnage historique (Gaston Phébus) auquel Nerval s’est parfois identifié, tandis que dans la paire des personnages historiques, Lusignan est tiré du côté de la légende, puisque la fée Mélusine fait partie de sa généalogie. Pourquoi ce brouillage ? Pour instaurer une équivalence entre histoire et mythologie, c’est-à-dire pour suggérer une équivalence entre deux « répertoires » qui offrent au sujet diverses identifications dont peu importe qu’elles soient cautionnées ou non par la réalité puisque leur intérêt est qu’elles se prêtent à une opération de captation subjective. Mais précisément, c’est l’ambivalence extrême de cette opération que travaille le poème, en montrant qu’elle est sans fin, indéfinie, et qu’au lieu d’autoriser le réancrage du sujet dans le réel en apportant à son moi une indispensable consistance,  elle mine de l’intérieur cette tentative en irréalisant doublement le sujet : par la teneur des références, et par leur chevauchement[15].

             

            A partir du vers 10, le « je », va évoquer trois scénarios caractérisés par une forme d’indéfinition et un caractère composite. L’ensemble recèle une profondeur suggestive qui est celle d’une poésie tentée par l’hermétisme. Un hermétisme simulé : il est vain de chercher derrière les référents convoqués (reine, syrène, etc.) des entités  symboliques, cryptées ; même lorsqu’un tel déchiffrement est possible, il n’épuise nullement le sens de ces figures et des micro-scénarios dans lesquels elles interviennent ; au contraire, ce qui fait l’intérêt des uns et des autres, c’est qu’en l’absence de direction d’interprétation claire, voire d’un quelconque « guidage » herméneutique, ils acquièrent une épaisseur considérable, celle de la rêverie d’un locuteur qui thématise ainsi des situations dans lesquelles, passif (gratifié d’un baiser donné par la reine) ou actif (traversant – nageant donc à son tour ? – l’Achéron ou « modulant » « les soupirs de la Sainte et les cris de la fée »),  il occupe une place ou trouve un statut valorisant, alors que le « faire » - catégorie éminemment problématique chez Nerval – se débloque (au point, donc, qu’il traverse deux fois l’Achéron[16] !). L’accès à des identifications valorisantes et le déblocage du « faire » sont parfaitement simultanés : le « je » accède au « faire » en même temps que le moi réussit à investir des figures positives, dont le caractère énigmatique permet paradoxalement de dépasser l’aporie de l’inconsistance du moi du locuteur.   

            L’angoisse (voir supra) est combattue, neutralisée peut-être, par tout ce qui prête ici à la rêverie, au jeu des projections subjectives. La rançon de l’indéfinition suggestive et poétique des scénarios évoqués est, on l’a dit, une large part d’opacité ou plutôt d’incertitude qui constitue un retournement extrêmement brillant de la logique repérée dans les deux quatrains : c’est dans l’ouverture et l’indéfinition du sens que loge la possibilité pour le poète de se rêver dans des situations qui au lieu de lui imposer une captation mécanique lui offrent seulement un cadre narratif et poétique qui comporte une part de « jeu » (à tous les sens du terme) décisive : en effet, quand on passe par exemple de « Phebus » à « la sainte » (ou à « la fée »), on passe d’un personnage mythologique certes archétypique mais enfermé dans une « biographie », des attributs, une fonction, etc., à un personnage générique, donc indéfini, disponible pour un investissement symbolique à la fois plus spécifique (propre au contexte veux-je dire) et  plus suggestif, avec lequel il s’identifie[17] pour accéder, grâce à la lyre du poète (attribut judicieusement emprunté à Orphée, dans le cadre d’une autre identification, certes fonctionnelle mais absolument essentielle) à un lyrisme qui sublime la douleur en poésie.

            Remarquons que cette opération permet au passage d’opérer quatre synthèses, ou quatre fusions qui sont aussi trois dépassements.  Le « je » trouve simultanément une identification féminine (la sainte et / ou la fée) et masculine (Orphée)[18] ; il dépasse le clivage chrétien (la sainte) / païen (la fée) ; il dépasse l’opposition entre le « je » et l’Autre, ce qu’il n’était pas parvenu à faire par le simple jeu de la postulation d’identité analysée plus haut[19] ; il combine la variante élégiaque (la « plainte » ) et la variante convulsive (les « cris ») du lyrisme : c’est donc par la poésie, conçue non plus comme répertoire de types conventionnels mais comme pratique lyrique singulière (désignée métonymiquement par les « soupirs »  et les « cris ») que le « je » peut enfin se « reconnaître » - ou autrement dit :   c’est en définitive cet accès à la parole poétique (d’ailleurs curieusement présentée comme la combinaison de la musique, du soupir et du cri), celle qu’il évoque d’une part  (dans les vers 13 et 14) et celle qu’il accomplit (dans et par le poème lui-même) qui lui donne la pleine existence.

            Entrons maintenant un peu dans le détail des scénarios mentionnés ci-dessus. Le vers 10 vient illuminer tout le poème avec cette couleur rouge, dont la suggestion érotique est manifeste et qui vient conjurer le « soleil noir » du vers 4, tandis que le  scénario reconstitue pour la première fois un présent qui n’est pas sous le signe du deuil ou du manque : le baiser offert par « la reine » est doublement gratifiant, parce qu’il convoque, face au « je », un personnage prestigieux, et parce qu’il s’agit d’un gage érotique dont on ne saurait surestimer le prix chez Nerval, comme le suggère cette « rouge[ur] » pérenne (cela aussi est important) qu’il faut lire comme une soudaine intensification de l’existence.

Le vers 11 lui donne, avec le deuxième scénario, un prolongement ambigu ; d’abord parce que le point virgule qui clôt le vers 10 est lui-même ambigu, incertain : suggère-t-il un lien entre les deux scénarios, ou au contraire une coupure ? Ensuite parce qu’il (je parle du vers 11)  prolonge la tonalité gravement euphorique du vers 10 mais en l’inscrivant dans une autre action elle-même « décrochée » de tout contexte, de toute continuité, ce qui, ici encore, maximalise la charge onirique et poétique de l’évocation, en accord avec la présence du  personnage légendaire de la « syrène » (la graphie archaïsante connote la distance onirique, poétique, et le prestige de la créature concernée).  Ce qui est frappant dans ce vers, c’est sa construction parfaitement binaire, qui instaure une symétrie en forme d’analogie[20] : je + rêvé  =  syrène + nagé. Que peut-on tirer de cette analogie formelle et fonctionnelle ? Il me semble que le parfait équilibre de la forme, l’harmonie rythmique, valent notamment en ce qu’ils connotent la poéticité, et solennisent une scène dont le cadre est lui aussi très chargé sur le plan de l’imaginaire. Cette grotte constitue comme l’écrin rêvé d’un moment dominé par le mystère, celui, précisément, de l’ « équivalence », de l’analogie repérée ci-dessus, qu’il faut peut-être lire comme une proposition du type : « un poète est un homme qui rêve comme nage une syrène, et qui rêve que nage une syrène – ou qui va dans une grotte ou nage « la » syrène pour s’assimiler la charge poético-magique associée à cette créature et à cette nage ». La grotte mobilise  à la fois un imaginaire aquatique (euphorie et apesanteur de la nage) et chtonien (valeur protectrice et régénératrice de la descente dans la terre),  instaure une intimité heureuse et discrètement - ? – érotisée. Cette belle rêverie, riche de suggestions spatiales et plastiques, sanctionne la reterritorialisation du « je » dans la poésie après qu’il a échoué à conquérir des identités entre lesquelles il flottait et auxquelles il renonce  donc pour réaffirmer son identité de poète, vérité essentielle de son être (A Dumas, dans la clausule de la préface des Filles du Feu, à propos des Chimères : « La dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète »). 

            Le « faire » est, on l’a dit,  dès lors libéré, comme le montre le dernier tercet (3e scénario), qui évoque le triomphe sur la mort, avec le double franchissement en vainqueur de l’Achéron[21] (c’est mieux que le Christ, ressuscité une seule fois …), et le « je » peut dès lors se mesurer, en lui empruntant son instrument, à celui qui incarne la poésie, ou plutôt  le poète dans sa capacité à émouvoir la nature elle-même : Orphée[22].

           

            Conclusion

 

            L’art du sonnet nervalien (c’est une remarque banale) vaut par son exceptionnelle  densité : dans ces quatorze vers, Nerval organise un parcours jalonné de figures d’identification proliférantes dont le traitement dramatise d’abord les impasses d’un moi qui se décompose à force de porosité, avant un retournement qui va permettre au « je » du poète de s’affirmer comme tel, et à son moi de trouver sa consistance dans le lyrisme. Le deuxième temps du poème thématise le recours à la poésie et la sublimation du moi accomplie grâce à l’exercice de la capacité poétique du « je ». La démarche, on l’a vu, ne va pas sans une certaine ambiguïté, mais c’est celle que l’on retrouve constamment dans l’œuvre de Nerval, qui se caractérise par une intense réflexivité. L’ensemble offre une incarnation exceptionnelle des pouvoirs de la parole poétique.  

           

                                                ***                            

 

Verlaine,  Romances sans paroles, « Ariettes oubliées, 1 »

            1) Quelques opérations verbales spécifiques et essentielles, emblématiques de la parole verlainienne dans Romances sans paroles et dans ce poème

Verlaine recherche dans les poèmes de ce recueil une oralité à la lisière du silence et du chuchotement, une raréfaction et comme une abréviation de la parole. C’est ainsi qu’il faut comprendre les « petites voix » du vers 5 : elles désignent une brièveté entendue comme densité (qui est moins une question de volume que de rythme : cf. l’importance des mètres courts, le choix de la parataxe, et globalement un discours aux antipodes de l’amplification.

Dès le 1er vers, l’ « extase » enclenche une configuration sensuelle et érotique, une suite diffuse d’états intérieurs qui s’échelonnent du ravissement à la caresse, mêlant ainsi intensité et ténuité. Le lexique de la  ténuité est assez facile à repérer : d’abord avec des termes simples (« murmure » (v.7), « susurre » (v.8)), puis avec le réseau d’une série de nuances : « cri doux », « roulis sourd », « plainte dormante », et enfin « tout bas » (qui synthétise « l’axiologie du mode mineur » propre à Verlaine).

De leur côté, « Cela » / « C’est » fonctionnent comme  des déictiques qui se contentent d’indiquer l’existence des éléments qu’ils introduisent. Ils sont  des instruments privilégiés du « je-ne-sais-quoi », les opérateurs même du « vague » que la parole tente d’explorer.

Le syntagme « tout bas » pour sa part synthétise une atmosphère languissante et crépusculaire, qui concentre la poétique de la sourdine. Cf. Verlaine commentant en 1893 un livre de Francis Poitevin intitulé Tout bas, dans lequel il perçoit une plénitude « de rêves et comme de nuages, de murmures parfois indécis, de chuchotements, de notes éoliennes, dirait-on ».

 

 

2) Essai de commentaire d’ensemble du poème

« Ariettes oubliées » : une séquence qui relaie, dans l’ordre vocal et musical, le titre même du recueil. Cette 1ère pièce elle-même, dans la publication originale (en revue) portait le titre « Romance sans paroles ». « Ariette » = lexique musical : diminutif de « air ». Cohérence de la caractérisation : les ariettes (forme musicale obsolète) sont « oubliées », tout comme les romances sont « sans paroles ». Tension entre chant et parole, le « petit air » représente l’utopie du « dire » verlainien et s’insère dans une perspective de réinvention non seulement d’une écriture mais d’une lecture comme travail d’écoute. Celle-ci doit s’accorder à la ténuité du processus de thématisation tel qu’il est mis en œuvre dans les poèmes de cette section du recueil, où il est laminé par des procédures de caractérisation qui visent davantage à créer un climat – encore une métaphore musicale ! – qu’à construire un référent, une cohérence thématique, des rapports clairs entre un / des thème(s) et un / des prédicat(s). Par exemple  : l’anaphore, dans les 2 1ères strophes, du présentatif « c’est » et du démonstratif « cela » - il s’agit au total de 6 énoncés – construit une dominante : celle d’un discours dans lequel le lien essentiel, sur le plan cognitif, sémantique et grammatical, entre un substantif et une proposition caractérisante apposée (type : « la démocratie, c’est le débat »), entre un référent et le démonstratif qui le reprend pour le caractériser, est défait. Ainsi, à chaque fois, ces 6 énoncés prennent la valeur de caractérisants fonctionnant selon la procédure dite de l’ « anaphorique vague » : c’est donc une entité, ou plutôt un phénomène, indéfini qui est ainsi dépeint – procédure donc éminemment paradoxale (comment peut-on qualifier / caractériser ce qu’on n’a pas nommé ?). Cette posture (car c’en est une : voir infra), qui devrait apparaître comme une déficience (de la capacité à nommer / définir), paradoxalement, fait la force du poème, et illustre le paradoxe fondateur de la « romance  sans parole » : la modeste expansion d’une parole brève autour d’un vide dans lequel la conscience du lecteur va s’absorber, équivalent (mutatis mutandis) du vide qui autour de la maxime est nécessaire à l’expansion de son sens. Autre paradoxe : c’est l’espèce d’impuissance ou de tabou pesant sur la désignation / nomination qui fonde une autre expansion, celle d’une poésie « phénoménologique », i.e. qui se consacre à l’exploration de notations perceptives ténues, qui ne peuvent faire l’objet d’une élaboration discursive  autrement que par la construction d’un « climat », avec ce que cela implique ici de discontinuité et de ténuité. Dans le même temps doit se réinventer une expressivité poétique, qui tient aussi bien au renouvellement d’une culture sensible orientée elle aussi vers la ténuité, presque l’infra-perceptible (thématisés / synthétisés par le « chœur des petites voix », vers 5), mais aussi vers l’antithèse, la paradoxe, l’oxymore (le « cri doux », vers 8), qui ne dédaigne pas la facilité des points de suspension (lesquels suggèrent un implicite, un discours inachevé, un pouvoir … de suggestion attaché à l’énoncé – vers 10), et qui semblent se rapatrier en définitive (dernière strophe) vers un champ poétique bien constitué, celui de la « romance », avec ses motifs sentimentaux. Mais dire cela serait ne pas voir que ce poème fait miraculeusement converger la spiritualité, l’affectivité, la « poéticité » du monde sensible (ici dans sa perception phénoménologique) et le chant : c’est ce qui se produit dans la dernière strophe, dans laquelle il faut évidemment valoriser le dernier énoncé caractérisant, celui sur lequel se clôt (c’est une sorte de métonymie de tout le poème, en tout cas de son climat et de qui est harmonie avec celui-ci) : « tout bas ».

Il faudrait évidemment conforter cette analyse par une analyse des rythmes et de la composition phonologiques du poème, toujours essentiels chez Verlaine.

            L’intérêt de ce poème, dans la perspective qui est ici la nôtre, est de montrer que la poésie peut être le lieu exclusif d’un passage à la limite : il consiste  dans la recherche paradoxale d’une parole ténue, raréfiée, qui en cela même, parce qu’elle instaure  (et est étayée par) un rapport phénoménologique inédit, fondé sur le « vague », l’indéfini et l’infra-perceptible, permet un nouveau lyrisme, une nouvelle expressivité.

            On notera aussi (quand même !) à quel point les années 1870 (première publication de ce poème : 1872) sont marquées par des renouvellements poétiques aussi spectaculaires qu’hétérogènes : les poèmes des Illuminations de Rimbaud sont composés entre 1872 et 1875, les  « lettres du Voyant » datent de 1871…

 

                                               ***

 

RIMBAUD

 

Un commentaire détaillé des deux Lettres du Voyant demanderait un temps considérable. Restons-en à l’essentiel : 1) Rimbaud assigne à la parole poétique une fonction palingénésique et révolutionnaire : y accéder conduira à modifier toutes les coordonnées de l’existence et de la condition des hommes (et même des animaux !). La dimension sociale et politique est notée (plus ou moins clairement certes) par la référence à la question de l’action (dimension praxéologique de la poésie) et par l’insistance sur la rénovation du rôle de la femme (c’et d’ailleurs le 2e aspect capital de cette révolution anthropologique que l’attente d’une parole poétique émanant d’une « essence » féminine, et donc de la production d’un « inconnu » au carré – puisque le poète doit ramener, selon le précepte déjà baudelairien, de l’inconnu).

            2) Le poète devient à la fois un être sacrificiel et christique (ce qui ne va pas sans ironie de la part de Rimbaud), l’acteur d’une révolution, et le héros d’une quête inouïe (enfin pas tant que ça : on retrouve là des choses déjà élaborées / théorisées par le romantisme).

Reste à voir si la poésie de Rimbaud est à la hauteur de ce programme, mais c’est une vaste question.

 

BRETON

2nd Manifeste du surréalisme de Breton en 1929 :

Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement.

 

Le surréalisme comme entreprise poétique repose 1) sur une anthropologie chamboulée par le freudisme, ce qui le conduit à attendre une forme de rénovation poétique par l’inconscient ou en tout cas la levée de la censure de la conscience, opération censée libérer une authentique parole poétique. La formule a sans doute rarement eu un sens aussi plein : c’est une autre langue, un autre « codage » -et une autre expression- de l’être, de l’intériorité, qui devrait se faire jour. On sait ce qu’ont été les échecs de la pratique : l’inconscient, en tout cas celui qui se manifeste dans l’écriture automatique, n’est pas cette chose inouïe, intacte, colossale, que tout un chacun porterait en lui, mais un réceptacle de contenus de valeurs très inégales et qui ne sont pas nécessairement soustraits à la trivialité, la médiocrité – c’est un peu comme le rêve : tous les individus ne font pas des rêves prodigieux, poétiques, métaphysiques, etc.

            2) sur une théorie de l’image qui s’appuie sur des considérations rhétorique banales (l’image est rendue possible par une intersection entre le comparant et le comparé ; l’intérêt de la métaphore est qu’elle n’exprime pas la comparaison et provoque une éphémère hallucination, et les surréalistes ont prétendu étirer le plus possible la chaîne entre le comparant et le comparé pour créer de l’inédit et renouveler la vision du réel, ou plutôt donner accès à un autre « mode d’être du réel » - malheureusement leur poésie s’est parfois dégradée en procédés décevants : dans l’image du « revolver à cheveux blancs » (titre d’un poème et d’un recueil de Breton), il y a moins une hallucination révélatrice qu’un truc qu’on peut aisément mécaniser et qui consiste à mélanger deux isotopies : il n’existe pas d’intersection entre le revolver et le cheveu, donc l’image est sans fondement et perd son pouvoir de suggestion, à moins qu’elle ne cultive un fantastique au petit pied, aisément reproductible : la trottinette aux yeux chassieux,  le verre à poil graisseux, le gigot à barbe blanche, etc.

            3) Une métaphysique ou plutôt une mystique : la recherche d’un point caché (ou aussi bien d’un code, d’un chiffre) à partir duquel l’univers se révélerait autrement, et en particulier serait débarrassé de la logique de contradiction qui est au fondement de la raison / rationalité tel que la philosophie occidentale l’a codifiée.

Ici bien plus que chez Rimbaud, il faudrait confronter cette théorie on ne peut plus ambitieuse à la réalité des textes… 

 

 

 

ARISITIDE BRUANT, « Rose blanche » (chanson également connue sous le titre « Rue Saint-Vincent »)

La chanson est un art mineur, mais qui vaut par exemple par sa capacité à raconter une vie en quelques couplets grâce à des processus d’extrême stylisation : le choix d’items qui ont en même temps vocation à isoler et à articuler des traits pertinents, et à offrir une prise à l’imaginaire, une plus-value esthétique. Dans sa tonalité mélancolique ou dramatique, cette capacité a donné lieu à la tradition populaire de la complainte. Ajoutons pour en finir avec cette très brève présentation que cet art mineur a pendant longtemps, notamment lorsque la scolarisation de masse n’existait pas ou était destinée à rester sommaire, un élément essentiel de la formation de la conscience esthétique des classes populaires, mais aussi un vecteur de normes morales et affectives.

Au tournant du XIXe et du XXe siècle, A. Bruant exploite habilement, et parfois avec un grand talent, un pittoresque social indissociable de l’espace parisien (qu’il cartographie de manière un peu systématique, voire mécanique), de sa population et d’une sociologie qui fait la part belle aux marginaux (proxénètes, prostituées, délinquants de tout poil, mauvais garçons qu’on envoie aux « bat d’Af », etc.). La chanson que je vais commenter est au-delà de ce pittoresque facile par sa noirceur, par la manière dont elle brasse des archétypes, et notamment celui de l’innocence dévastée[23].

 

Le thème de l’innocence est donné immédiatement : « A’l’avait un p’tit air innocent ». Thème redoublé par l’allusion à l’innocence sexuelle (mais qui signifie aussi le danger virtuel du prédateur) : « Elle sentait bon la fleur nouvelle », et par l’onomastique : « Elle s’appelait rose » (cf. l’un des deux titres de la chanson : « Rose blanche »). Ce thème de l’innocence menacée est renforcé par l’absence de parents : parents morts + « Al’vivait chez sa vieille aïeule / où c’qu’ells’élevait comm’ça tout’seule ». è programmation de la rencontre avec Jules et son dénouement. Programmation à laquelle il faut ajouter un  présage, celui de la « …[lune] blanche et fatidique » : « fatidique » introduit un destin, et la réalisation de celui-ci se traduira par le fait que  Rose dans son cercueil  est « toute blanche », mention qui confère rétrospectivement une valeur terriblement ironique à son prénom : c’était une Rose blanche, vouée à la mort.

Seule oraison funèbre : les croquemorts qui avec leur regard décapant insistent sur le caractère fatidique de la rencontre sexuelle : « …la pov’gosse était crevée [ou : « claquée » - on trouve les deux versions] l’soir de sa noce », i.e. le soir où Jules, comprend-on,  l’a déflorée. Noter le jeu de mot très noir « troua l’ventre » / « crevée ». Rose a-t-elle été déflorée, ou bien l’humour noir des croquemorts identifie-t-il le coup de couteau qui troue le ventre au sexe masculin qui perfore l’hymen ? Les propos des croquemorts constituent donc  une oraison funèbre très noire, qui est heureusement suivie d’une autre: la reprise d’un des  premiers distiques de la chanson et du refrain : « Elle s’app’lait Rose, elle était belle / elle sentait bon la fleur nouvelle, rue St-Vincent ». Bel effet de bouclage, qui souligne l’achèvement de la chanson, et qui joue sur deux valeurs de l’imparfait : dans la 1ère occurrence de l’énoncé, il a une valeur descriptive d’imparfait-cadre : c’est la caractérisation inaugurale du personnage, conventionnelle au début d’un récit ; la 2e occurrence est très différente : l’imparfait a valeur d’oraison funèbre, d’ultime célébration, et l’imparfait prend une valeur mortuaire : un destin s’est accompli, qu’on remet sous le signe de la destruction des valeurs de beauté, de sensualité et d’innocence.

Noter le court-circuit qui se joue autour du personnage du séducteur : « Jules qu’était si caressant » / « d’un coup du surin lui troua l’ventre » / « q’la pauv’gosse était crevée l’soir de sa no-oce » ; la chanson semble d’abord programmer un destin sentimental à la hauteur de l’innocence et de la beauté de l’héroïne, mais celle-ci s’est en fait trompée d’histoire (cf. le « mais » disjoncteur : « Mais le [p’tit] Jules était d’la tierce qui soutient la gerce » - c’est un proxénète) », puis la conséquence : « AUSSI l’adolescent voyant qu’ell’marchait pas au pantre… »), et la caresse devient coup mortel qui prolonge p.ê. une défloration qui de ce fait ne peut plus être réalisation de l’amour mais souillure / préparation d’un destin de prostituée  que le protagoniste veut infliger à l’héroïne. Jules est la figure symétrique de celle de Rose : jeune (« l’adolescent ») comme elle, corrompu (souteneur) et assassin comme elle est, à tous égards, innocente, lui bourreau, elle victime.

Le pittoresque renforce la tonalité dramatique de l’histoire en exploitant la familiarité supposée du lecteur avec un cadre bien défini, sur un territoire exigu (au Nord du XVIIIe arrondissement) : butte Montmartre, basilique, rue des Saules / rue St-Vincent, vieux cimetière (qui de lieu poétique deviendra lieu de sépulture, court-circuit qui se situe dans l’exact prolongement du court-circuit entre la caresse et le coup mortel). Cette inscription dans un cadre pittoresque très défini n’entrave nullement la constitution de Rose en héroïne archétypique, et l’exceptionnelle réussite de la chanson transforme le fait divers (avec son mélange d’horreur superlative et de banalité née d’un terreau social / sociétal connu du lecteur / de l’auditeur) en récit poétique non pas édifiant mais bouleversant et mémorable.

 

                                               ****

                       

CONCLUSION

 

Si l’on part du principe que notre misérable existence est rongée (sur le plan existentiel et métaphysique par l’inconsistance, une inconsistance à laquelle nous contribuons largement par tant de vaines paroles (dégradation des interactions langagières en lieux communs, dégradation de la parole politique en « éléments de langage »), nul doute que la parole poétique, avec sa consistance si particulière (orientée vers la beauté, riche de son potentiel heuristique) ne nous soit un viatique, un préservatif on ne peut plus précieux. Encore faut-il qu’elle se garde elle-même de la réduction à l’inconsistance qui la guette toujours sous la forme de la stéréotypie, de la mécanisation, voire de la vassalisation (lorsqu’elle devient poésie officielle ou de circonstance).

 

 

                                   *******

 

            TEXTES ETUDIES

 

Guy Barthèlemy        

 

LA PAROLE POETIQUE – TEXTES

 

Texte 1,  Baudelaire, « Une charogne » (Les Fleurs du Mal, 1857)

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !

 

 

Texte 2,  El Desdichado, Nerval (Les Chimères, 1854)

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

 

Texte 3, Verlaine, « Ariettes oubliées, 1 » 1872 (in Romances sans paroles)

C'est la fatigue amoureuse,
C'est tous les frissons des bois
Parmi l'étreinte des brises,
C'est, vers les ramures grises,
Le choeur des petites voix.

O le frêle et frais murmure !
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l'herbe agitée expire...
Tu dirais, sous l'eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.

Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante
C'est la nôtre, n'est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s'exhale l'humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas ?

 

 

Texte 4, Rimbaud, lettre à Izambard, mai 1871

 

Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à  l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense. On devrait dire : On me pense. Pardon du jeu de mots.

JE est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait !

 

Texte 5,  Rimbaud, Lettre à Demeny, id.

 

Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.

Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs !

En Grèce […] vers et lyres rythment l’Action. Après, musique et rimes sont jeux, délassements.

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s’agit de [se ?] faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé !

Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe.

[Il faut] trouver une langue. […]

Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans l’âme universelle : il donnerait plus — que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Enormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !

Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; — Toujours pleins du Nombre et de l’Harmonie ces poèmes seront faits pour rester. — Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque. L’art éternel aurait ses fonctions ; comme les poètes sont citoyens. La Poésie ne rhythmera plus l’action, elle sera en avant.

Ces poètes seront ! Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons.

En attendant, demandons aux poètes du nouveau, — idées et formes. […]


            Texte 6,  Aristide Bruant, « Rose blanche » [« Rue saint-Vincent »], décennie 1900

Elle avait sous sa toque de martre,
sur la butte Montmartre,
un p'tit air innocent.
On l'appelait rose, elle était belle,
a' sentait bon la fleur nouvelle,
rue Saint-Vincent.

Elle avait pas connu son père,
elle avait p'us d'mère,
et depuis 1900,
al' d'meurait chez sa vieille aïeule
Où qu'al' s'él’vait comme ça toute seule,
rue Saint-Vincent.

A' travaillait déjà pour vivre
et les soirs de givre,
dans l'froid noir et glaçant,
son p'tit fichu sur les épaules,
al' rentrait par la rue des Saules,
rue Saint-Vincent.

Elle voyait dans les nuit gelées,
la nappe étoilée,
et la lune en croissant
qui brillait blanche et fatidique
sur la p'tite croix d'la basilique,
rue Saint-Vincent.

L'été, par les chauds crépuscules,
a rencontré Jules,
qu'était si caressant,
qu'al' restait la soirée entière,
avec lui près du vieux cimetière,
rue Saint-Vincent.

Mais le p'tit Jules était d'la tierce[24]
qui soutient la gerce[25],
aussi l'adolescent,
voyant qu'el’ marchait pas au pantre[26],
d'un coup d'surin lui troua l'ventre,
rue Saint-Vincent.

Quand ils l'ont couchée sur la planche,
elle était toute blanche,
même qu'en l'ens’velissant,
les croque-morts disaient qu'la pauv' gosse
était crevée [claquée] l'soir de sa noce,
rue Saint-Vincent.

Elle avait sous sa toque de martre,
sur la butte Montmartre,
un p'tit air innocent.
On l'appelait rose, elle était belle,
al' sentait bon la fleur nouvelle,
rue Saint-Vincent.

 

            .

 

 

 

           

 

 

 

                                  

 

 

[1] Cette analyse sommaire ne prend pas en compte une forme très particulière, inventée au XIXe et qui a depuis prospéré, le poème en prose.

[2] Rappelons un autre critère essentiel de la différenciation prose / poésie selon les linguistes : la première est de l’ordre de la métonymie (de la contiguïté), puisqu’elle se construit  en organisant des rapports logiques de continuité entre les différentes composantes de l’énoncé.  La seconde est de l’ordre de la métaphore, car elle s’extrait de la platitude de l’usage trivial et communicationnel du langage en élaborant des images (en les transcrivant dans leur brutalité arbitraire, dans les théories les plus radicales, celles qui mettent l’accent sur le mystère et la puissance du processus de la création poétique).

[3] Etymologiquement, le chant, c’est-à-dire une expressivité particulière et particulièrement intense de la parole poétique.

[4] Le texte, ainsi que tous ceux qui sont analysés, figure à la fin de cet exposé.

[5] Dans le deuxième temps du poème, Baudelaire, reprenant avec une exceptionnelle brutalité le thème du saccage de la beauté de la femme par le temps (Ronsard, « Mignonne, allons voir si la rose ») s’adresse cette fois à la femme qu’il aime pour lui annoncer que cette charogne c’est son devenir.

[6] Nous avons dès le début de cet exposé insisté sur cette caractéristique de la « parole poétique ».

[7] Fragmentaire dans la conscience du lecteur : voir ci-dessus la manière dont les propos de Romuald « trouent » le texte, ou objectivement fragmentaire.

[8] Il en est bien entendu de sublimes. Nous reparlerons de l’accomplissement qu’offre la chanson à la parole poétique, mais il est impossible de ne pas citer ici le premier couplet  de l’un des chefs-d’œuvre de Cl. Nougaro, « Le Cinéma » (1962) :

Sur l'écran noir de mes nuits blanches / Moi je me fais du cinéma / Sans pognon et sans caméra / Bardot peut partir en vacances / Ma vedette c'est toujours toi / Pour te dire que je t'aime rien à faire, je flanche / J'ai du cœur mais pas d'estomac / C'est pourquoi je prends ma revanche / Sur l'écran noir de mes nuits blanches / Où je me fais du cinéma.   

[9] Opacité est une autre version de l’absolu, mais un absolu cette fois suggéré, frôlé, voué à rester inaccessible. Elle est ainsi dotée d’une fécondité heuristique paradoxale (l’obscurité, elle, n’est qu’une déficience).

[10] En d’autres termes : la poésie, contrairement à la philosophie, n’est pas analytique.

[11] On pourrait dire que cette version de la parole poétique  se caractérise par son altérité.

[12] Guillaume IX (1071-1127), Comte de Poitiers et Duc d’Aquitaine, l’un des plus anciens troubadours connus, auteur de poèmes chantant l’amour et la femme sur un ton très libre ?

[13] Dans lequel P. Veyne (Le Quotidien et l’intéressant) voit une notation typiquement nervalienne.

[14] A moins que au contraire cette « mathématisation » ne symbolise une sorte de piège à l’intérieur duquel le moi du locuteur est menacé d’implosion.

[15] Aussi comprend-on que la forme parfaitement close du sonnet constitue comme une conjuration de cette indéfinition et de cette prolifération.

[16] On aura relevé la phase transitionnelle entre posture passive (vers 10) / posture active (vers 12) : elle est constituée par la rêverie (plus que le rêve sans doute, mais la polysémie du verbe « rêver » est ici féconde), processus subjectif et poétique qui associe passivité et activité. 

[17] « Moduler » = rendre par des accents poétiques. On relèvera la mise en abyme, redoublée par l’emprunt de la lyre c’est-à-dire de l’instrument du lyrisme.

[18] Il faudrait consacrer une analyse systématique à la présence du féminin dans ce poème. Je me contenterai de remarquer que c’est l’intervention du féminin qui y libère le « faire »,  et que le jeu des rimes dans les deux tercets souligne d’abord la consistance de la sphère féminine (reine / syrène), processus qu’on opposera à la variation sur le manque / le déficit dans le vers 1, avant d’incarner la synthèse poétique (et finale, donc définitive) du masculin et du féminin (lyre d’Orphée / cris de la fée).

[19] Ce troisième dépassement est d’une extrême ambivalence : la distance qui sépare chez Nerval « je » et l’Autre est toujours douloureuse, redouble en somme l’opacité interne du locuteur ; mais la tentation d’abolir cette distance est toujours associée, dans ses textes en prose, où elle est récurrente,  à des menaces de perdition (à cause d’un processus de déréalisation de l’Autre), ce que là encore la psychologie la plus banale permet de comprendre aisément. C’est ici l’écart que constitue fondamentalement, dans une écriture comme celle d’ El desdichado, la parole poétique, qui confère à l’identification avec une figure rêvée, archétypique, une vertu résolutive.

[20] Rappelons la formule de l’analogie : A est à B ce que C est à D.

[21] L’Achéron est le fleuve qui permet aux âmes des morts d’accéder aux régions infernales. Franchir deux fois « en vainqueur » l’Achéron, c’est être revenu deux fois du royaume des morts, sous le patronage œcuménique de la « Sainte » et de la « fée ».

[22] Pas l’Orphée dont il sera question dans Aurélia, dans l’épigraphe de la deuxième partie : celui qui perd deux fois Eurydice; c’est pourtant le même (ce qui pourrait bien nuancer le triomphe du je qui a « deux fois vainqueur traversé l’Achéron »), et on ne saurait passer sous silence cette résurgence finale dans El Desdichado du réseau de la perte funèbre.

[23] Le texte est en lui-même très réussi, mais il ne saurait dispenser d’écouter la chanson. Elle a été exhumée dans les années 1950 par les Frères Jacques, qui ont en donné une interprétation indépassable par un mélange de retenue et d’émotion qui la rend absolument bouleversante. Elle figure sur un CD qui rassemble quelques-unes de leurs interprétations des chansons composées par V. Kosma sur des textes de Prévert (autres interprétations indépassables, notamment celle de « Barbara ») et, donc, deux chansons de Bruant.

[24] Tierce : bande, clique, par extension (et de manière péjorative) : milieu

[25] Gerce : fille (cf. « garce »), ici au sens de prostituée. Jules est un souteneur (un proxénète).

[26] Marcher au pantre : (pour une prostituée) aller chercher le client (un pantre = une dupe, un niais, un bourgeois).

23/01/2017

QUELQUES CONSEILS ELEMENTAIRES POUR PREPARER UN ENTRETIEN

 

 G. Barthèlemy

CPGE scientifiques et littéraires du Lycée Champollion (Grenoble)

 

[Deux remarques inaugurales :

1) ce document a été élaboré au départ pour les étudiants de math spé, futurs élèves ingénieurs. Les étudiants venus d’autres horizons et qui doivent affronter un entretien – dit « de motivation » ou « de personnalité » par exemple – y trouveront des choses susceptibles de les intéresser ; je leur laisse le soin de faire le tri, d’adapter, de transposer et d’extrapoler.

2) Il s’agissait au départ de quelques remarques lapidaires ; les questions des étudiants et surtout l’expérience des « colles type entretien », commencée en 2011, expliquent à la fois l’ampleur et le relatif désordre de ce fichier, qui a été – et sera encore – nourri au coup par coup. Il bénéficie également de la contribution précieuse (qu’il s’agisse de sa participation aux colles ou des « topos » intégrés dans ces pages) de M. Maurice Botrel, Ingénieur des Arts et Métiers, qui nous fait profiter de son expérience professionnelle et de celle acquise dans les jurys d’écoles d’ingénieur.]

 

           

             

 

            QUELQUES CONSEILS ELEMENTAIRES POUR PREPARER UN ENTRETIEN

 

           

I - GÉNÉRALITÉS

Lire les 50 premières pages de L’Ile mystérieuse de Jules Verne, roman dans lequel le personnage de l’ingénieur tient une place essentielle, ce qui vous fournira éventuellement un point de départ (pour ainsi dire symbolique) pour une discussion sur ce métier.

Lire aussi quelques-unes des nouvelles du cycle des Robots d’Asimov. Asimov enseignait l’astrophysique dans une grande université américaine, et est par ailleurs l’auteur d’une œuvre considérable qui a marqué la SF. Une partie de cette œuvre est consacrée au thème des robots ; vous trouverez facilement ces cycles de nouvelles (le mot « robot » figure dans leur titre), dont la matrice commune consiste en les « trois lois de la robotique » :

 

     Première Loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger. Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la Première Loi. Troisième Loi : Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.

 

Asimov développe à partir de là, par la fiction,  une réflexion sur les frontières de l’humanité, les rapports entre l’homme et la machine, etc. Vous pouvez donc trouver là de quoi nourrir une discussion sur le rôle de l’invention technique, les bouleversements qu’elle est susceptible de provoquer, et d’autres thèmes auxquels on (un jury d’oral dans une grande école, veux-je dire) peut supposer qu’un futur ingénieur sera sensible.

 

S’entraîner avec ses proches, des camarades, au pire devant un micro.

Pour se présenter : ne pas remonter jusqu’à la terminale (évitez le ridicule attaché au fameux « déjà tout petit …. ») mais parler des raisons du choix des CPGE et en particulier du choix de la filière ; évoquez ensuite votre vision du métier, et pour finir dites ce que vous faites en dehors de vos études. Mettez au point un topos à géométrie variable (qui puisse, selon les cas, durer 2, 5 ou 7 minutes), composé de « modules » (de « briques », pour ceux à qui cela dit quelque chose …) que vous apprendrez « par cœur » et que vous pourrez oraliser si le jury vous demande de commencer l’entretien par une présentation de cet ordre.  Plutôt que de clore votre présentation par « Et voilà », « C’est tout », « J’ai fini », ou, pire encore, « Et maintenant, posez-moi des questions », montrez par le ton de votre dernière phrase … que c’est le dernière.

On ne dit pas « d’après moi » (c’est un peu présomptueux ») et on évite la rhétorique de la « passion » (on parlera plus modestement de « goût »).

Dans le cadre des colles, la totalité de votre prestation dure 20 mn ; un  véritable oral peut durer plus de 45 mn ; il faut donc vous attendre à un feu roulant de questions, vous dire qu’on attend de vous des interventions nourries, et rester concentré jusqu’au bout.

Se renseigner précisément sur les filières proposées par l’école et le contenu de la formation dispensée.

Se renseigner sur le métier d’ingénieur et citer les aspects qui vous intéressent.

Ne pas hésiter à mettre en valeur toute expérience d’encadrement (moniteur, organisation de voyages, etc.) ou qui vous a conduit à exercer des responsabilités.

Si vous êtes sportif, soulignez les implications « philosophiques » de votre pratique. Ex. : si vous pratiquez un sport athlétique (cyclisme, course à pied), parlez du sens de l’effort ; si c’est un sport collectif, des valeurs de collaboration. Si vous êtes cinéphile, citez votre genre de prédilection et expliquez pourquoi vous l’aimez (ex. : les films érotiques pour leur dimension didactique, Fellini pour la dimension onirique et plastique, Almodovar pour l’humour déjanté et vaguement surréaliste, etc.).  Si vous pratiquez le tricot, parlez des implications esthétiques de cette activité, des bienfaits des travaux manuels, etc., etc.

Ne pas employer des mots du type "management" sans être capable d’expliquer leur signification. Si vous vous présentez dans une école qui associe ingénierie et architecture / urbanisme, faites-vous une petite culture en la matière (il faut être capable de citer des architectes, des bâtiments, des projets, etc.).

Arrivez en forme ; vous devez donner une impression à la fois de dynamisme, de concentration, de calme, montrer que vous connaissez les codes sociaux (notamment : être courtois), que vous êtes désireux de jouer le jeu de la discussion, du débat. Ecoutez bien les questions qu’on vous pose, ne répondez pas à côté. Ne bottez jamais en touche (sauf si la question est intrusive, trop intime, etc.) : c’est le jury qui a le pouvoir, c’est lui qui décide de ce qu’il est judicieux ou pas de vous demander ; donc chacune de ses questions est légitime et appelle une réponse – et faites toujours preuve d’à propos : si on vous dit (« Vous habitez Trifouilly-les–Chaussettes ; pourquoi les habitants de cette métropole mondialisée sont-ils si désagréables ? » , ne répondez pas (« Be, moi j’les trouve sympas ! ». Quoi que vous en pensiez, dites : « Ah, c’est une question intéressante ; je formulerais volontiers une hypothèse : la conjonction d’un climat humide, de journées très brèves – la nuit tombe à 15H - , la présence dans les rues d’une population qui porte les stigmates du dernier accident nucléaire, ce qui se traduit souvent par un faciès, disons, peu engageant, tout cela donne une physionomie particulière à la ville, et celui qui ne fait que passer peut éprouver un certain malaise qu’il traduit spontanément – et imprudemment – en prêtant aux habitants un comportement peu amène. Mais moi qui y vis, je peux vous assurer qu’il n’en est rien, et que au contraire une grande douceur règne dans les relations quotidiennes comme dans celles qui prennent place dans un cadre plus formel.

  Si la discussion se tend, soyez ferme (vous n’êtes pas un paillasson), mais restez courtois, ne soyez jamais insolent ou arrogant (mais vous pouvez faire de l’humour, voire être légèrement ironique).

Tenue vestimentaire : pour les garçons : pantalon, chemise (rentrée dans le pantalon), pas de chaussures de sport. Faites dans le genre simple et classique.  Pour les filles : tenue équivalente ; maquillage léger, ni brassière ni mini-jupe ni short ; pas de décolleté vertigineux : un membre du jury pourrait jouer à le fixer, ce qui serait désagréable et vous déstabiliserait.  Et pour tous : ni chewing-gum, ni coiffure qui occulte le regard.

Lors de l’entretien, s’approcher de la table, poser les avant-bras dessus et se tenir très droit ; ne pas s’agiter (« jambe à ressort », et autres gestes compulsifs qui donnent l’impression d’un défaut de maîtrise), ne pas entretenir de gestes qui révèlent et entretiennent l’énervement (trituration d’un trombone ou d’un élastique, caresse du bras, mains passée dans les cheveux, etc.).  


Pensez que votre première obligation est de vous faire entendre : parlez à voix audible, et articulez correctement

 

II - EXEMPLES DE QUESTIONS SUR LES ETUDES OU LE METIER

Quels concours avez-vous présenté ?

Pourquoi êtes-vous entré dans une CPGE?

Pourquoi des études scientifiques ?

Quelles sont les qualités requises, selon vous, pour le métier d’ingénieur ?

Accepteriez-vous de travailler dans une entreprise dont les objectifs sont en contradiction avec vos convictions personnelles ?

Vous sentez-vous capable de diriger une équipe où se trouveraient des personnes nettement plus âgées que vous, ou davantage titrées ?

Les rapports avec l’autre sexe vous posent-ils un problème dans le cadre professionnel ?

Aimez-vous l’autorité ?

Etes-vous colérique ?

Vous engageriez-vous dans un syndicat ?

En cas de problème personnel (deuil, divorce), quel comportement adopteriez-vous au sein de l’entreprise ?

Que pensez-vous des suicides de cadres chez France-Telecom ?

 

III - QUESTIONS DIVERSES

 

Elles peuvent vous être posées à un moment de l’entretien, ou, dans certaines écoles, faire l’objet d’un exposé inaugural que vous préparerez en 20 mn.

 Type 1 :

A quel évènement historique auriez-vous aimé assister ?

Quel évènement dans l’actualité vous a le plus marqué ?

Quelle est la qualité à laquelle vous tenez le plus ? Le défaut qui vous heurte tout particulièrement ? Citez trois de vos qualités et trois de vos défauts[1].

Donnez-nous trois raisons de vous prendre dans notre école / de vous embaucher

Quel est l’échec le plus cuisant que vous ayez affronté ?

De quoi êtes-vous le plus fier ?

Qui admirez-vous?

Quel est le prix du baril de pétrole ?

 

 

Type 2 :

Croyez-vous au complexe d’Œdipe ?

Les patrons sont-ils des exploiteurs ?

Les pauvres méritent-ils de l’être ?

Obama est-il un personnage historique ?

Commentez la célèbre réplique des Tontons flingueurs : « Les cons, ça ose tout – c’est même à ça qu’on les reconnaît ».

La politique est-elle noble ?

Les objets nous asphyxient-ils ?

La religion est-elle encore l’ « opium du peuple » (K. Marx) ?

 

IV VOCATION DE CE TYPE D’ENTRETIEN – IMPLICATIONS

 

Qu’il se déroule à l’occasion d’une procédure d’admission par concours dans une Ecole ou d’un recrutement professionnel, ce type d’entretien vise à jauger non seulement votre potentiel mais aussi votre  personnalité. Un « chasseur de tête » pense, à tort ou à raison, savoir quel « profil » convient pour tel emploi, un jury a aussi une certaine vision de l’étudiant-ingénieur, et un chef d’entreprise ou ses collaborateurs veulent savoir s’ils ont envie de travailler avec vous. Ces gens-là  guettent donc vos réactions, ce qui signifie qu’ils vont parfois tenter de les provoquer. Ne soyez pas surpris si vos interlocuteurs tentent de vous déstabiliser en se montrant agressifs, désagréables, ou en vous posant des questions incongrues (c’est le jeu que je jouerai pendant ces séances d’entraînement), restez calmes et répondez. Ex. : l’année dernière, à un moment de l’entretien, j’ai dit à l’un de vos camarades : « Et si je vous dis que vous avez une sale gueule et que je vous trouve antipathique? » ; il m’a calmement répondu qu’il ne se flattait pas de plaire à tout le monde, qu’il s’efforçait de satisfaire aux règles de la civilité, de cultiver modestement mais sérieusement son humanité et qu’il ne lui appartenait pas de commenter une réaction subjective qui au demeurant lui semblait concevable bien qu’elle l’attristât quelque peu. Bref, il a dit exactement ce qu’il fallait dire.  

Efforcez-vous de trouver la « bonne distance » : vous devez donner une impression de « consistance » personnelle (ne vous comportez pas comme un(e) adolescent(e) prolongé(e)) mais pas d’arrogance, vous devez être ferme mais pas brutal, manifester de l’humour mais pas de la désinvolture, faire valoir vos mérites sans manquer à une certaine forme de modestie ou de retenue (on ne fait pas son propre éloge), évoquer des ambitions réalistes et ne pas vous comporter comme le mégalomaniaque de service. Ne confisquez pas la parole (« Eh ben, ce serait gai de partager un bureau avec ce type »), surmontez votre timidité (« Comment pourrais-je envoyer un type comme ça négocier un contrat ? »), ne vous laissez pas aller à la familiarité (« Encore un qui voudrait faire croire qu’on a gardé les cochons ensemble »). Bref, montrez que vous êtes un(e) adulte policé(e), vif / vive d’esprit, que l’on peut vous confier des responsabilités ou vous offrir un cursus intéressant, que vous ferez honneur à l’Ecole ou qu’il sera agréable autant que fructueux de travailler avec vous.

En route vers l’avenir !  

 

V – TEMOIGNAGES

 

Quentin Chevallier, MP, octobre  2013 [comprends 2 liens précieux]:

Bonjour Monsieur, 

 

Je ne vous ai pas encore annoncé mon admission à l'INSA de Lyon en Génie Civil et Urbanisme. 


Le 28 juin je passais un entretien de motivation devant un jury de trois personnes : un ingénieur en activité, une responsable de l'orientation au sein de l'INSA de Lyon, et une professeur d'Anglais. Cela dura 45 minutes... Ce n'est pas rien, et mieux vaut y être préparé !

 

Avec un peu de recul, je pense donc à vous transmettre un lien vers une série de vidéos sur le thème de la préparation aux entretiens de motivations pour les concours des grandes écoles. Ces vidéos m'ont été extrêmement précieuses et m'ont permis de bien mieux comprendre le "jeu des entretiens" et d'adopter la posture adéquate.

 

Les entretiens que j'ai passé ensuite, en juillet, pour les écoles des télécoms (ces écoles ne me branchaient pas vraiment... d'où certainement une confiance en moi supérieure) ont été de très bons moments de bataille avec les jurys, et j'en garde de bons souvenirs.

 

Enfin, comme j'imagine que vous vous attachez encore à faire passer des entretiens de motivations à vos élèves, je me permet de vous conseiller de leur fournir cette source pour leur permettre de se préparer au mieux : 

http://www.youtube.com/watch?v=UQxsCIWpLgE

 

 

Bilan des récoltes : j'ai eu l'Ecole que je voulais, j'ai donc bien fait de passer mon unique semaine de révision pour les oraux à regarder ces vidéos. J'ai aussi bien fait de profiter du beau temps parisien pendant les "vrais" oraux... et notamment de passer mon temps à faire des siestes au Parc de Sceaux entre deux oraux barbares de Centrale, à 6 heures d'intervalle et loin de tout. (je logeais à Abbesses) 
... Mais ceci est plus facile à dire avec du repos. 


En espérant que mon lien vous sera utile, 
je vous souhaite une bonne continuation, et bonne chance a vos nouveaux !

 

Bien cordialement, 

 

Quentin CHEVALIER 

(ex MP)

 

Ce message a été complété quelques jours plus tard par celui-ci  :

Bonjour Monsieur, 

 

Je pense que la simulation d'entretien l'année dernière [les colles type entretien] était une assez bonne chose, mais je ne m'y étais pas assez préparé et je n'avais pas réellement cerné les enjeux d'une telle rencontre, donc je n'en ai pas tiré le maximum de bénéfices.

 

Je pense qu'il faudrait demander aux élèves de centrer leur argumentation sur une école en particulier, pour fixer un cadre à la discussion. 

 

Il faut aussi à mon avis insister sur l'importance des deux premières minutes, celles où l'on se présente. A mon avis, cette phase ne doit pas durer plus de 2 ou 3 minutes car on se fait rapidement couper par le jury qui doit valider un certain nombre de points. Elle doit être efficace et contenir un grand nombre de "perches" pour le jury. Il ne faut surtout pas y raconter sa vie, mais seulement se présenter, dire ce qu'on fait là et faire des liens entre les points forts de l'école et notre expérience (toujours justifier). Enfin, il faut terminer cette phase par une coupure nette et inviter le jury à nous connaître d'avantage.

  

Par exemple, à l'entretien de l'INSA, au bout de 2 minutes j'avais déjà relié mes 13ans d'expatriation à Madagascar avec " l'ambition cosmopolite " de l'INSA, mais j'avais aussi cité trois associations dans lesquelles je désirais m'inscrire et souligné la proximité avec des laboratoires de recherche associés à l'INSA en lien avec mon "projet". 

C'est donc moi qui ait donné le ton à la discussion, ce qui m'a permis d'avoir un temps d'avance sur les questions du jury.

 

Bref, tout ceci est très bien expliqué dans les vidéos.

 

Si les étudiants prennent un peu de temps pour regarder les quelques vidéos que je vous ai envoyé et qu'ils se fixent une école en particulier (quitte à vous la communiquer à la séance précédente pour que vous puissiez jouer au mieux votre rôle), je pense qu'il seront déjà bien mieux préparés pour une simulation d'entretien et qu'ils en tireront de plus grands bénéfices.

 

 

Bon week-end, 

 

        Cordialement, 

 

Quentin Chevalier.

 

 

 

Paul Brossier, PSI, juillet 2014-07-16

Maintenant en vacances que j'estime méritées, je me permets de vous transmettre
quelques informations concernant les épreuves de l'EDHEC. Je viens d'y être
admis et j'en suis très heureux!

            J’ai obtenu 10,6 en synthèse (à l’écrit) et 15,5 en
entretien (à l’oral).

J’ai été confronté à  quelques questions étonnantes à l'oral, notamment sur les technologies
et le futur. C’est à dire qu'ils nous ont tous demandé quelles innovations
technologiques nous aimerions faire pour améliorer la vie des français. Ils
nous ont aussi demandé de commenter un fait relevant de l’actualité économique ou géopolitique ; j'ai choisi de présenter les mesures novatrices prise par la Banque
Centrale Européenne (il s’agit des taux qu’elle a choisis). Face aux questions de ce genre, il ne faut pas hésiter à aller chercher des faits qui ni sont pas du tout médiatisés.

 

 

 

VI - QUELQUES AJOUTS EN VRAC (fruits de l’expérience)

 

Le jury partira de votre présentation, qui lui inspirera diverses questions, et il faut que vous teniez compte de ce fait quand vous élaborez cette présentation : il faut qu’elle donne prise à des questions, que vous puissiez la prolonger par des précisions, des commentaires,  et que vous vous y prépariez : chaque « module » (ou « brique ») doit se prêter à un développement pendant l’entretien. Ces questions seront donc des questions dites « ouvertes », c’est-à-dire auxquelles on ne peut ni ne doit répondre par oui ou par non, ou par une phrase lapidaire : il faut développer, sans pratiquer l’exhibitionnisme ni confisquer la parole, mais en montrant que vous vous prêtez volontiers au jeu de la discussion, et en manifestant une forme de disponibilité intellectuelle et psychologique. C’est aussi l’occasion de montrer que vous savez adopter une juste mesure : être attentif aux objections ou aux critiques de vos interlocuteurs, infléchir vos positions, et en même temps défendre vos convictions, faire valoir votre point de vue.

            Il faut aussi avoir des biscuits : si vous dites que vous voulez travailler dans l’aéronautique pour améliorer le matériel, attendez-vous à ce que l’on vous interroge sur le sujet, que l’on vous demande ce que vous pensez d’un projet d’adoption d’hélices en carton pour améliorer la flottaison, du remplacement du kérosène par une équipe de condamnées à perpétuité qui pédaleront sur des machines sophistiquées inspirées du principe de l’éolienne, etc. Pour avoir une idée de l’évolution des techniques et de l’industrie, il est vivement conseillé de fréquenter deux publications : le mensuel Industrie et technologie, qui vous permettra de savoir quels sont les derniers acquis de la recherche adaptés dans l’industrie, généralement à travers des start up et des PME (Grenoble est à la pointe en la matière), et l’hebdomadaire L’Usine nouvelle, dont le domaine de prédilection est plutôt  celui de la sidérurgie et de l’automobile, et qui évoque aussi des questions organisationnelles[2].

            Il faut que vous ayez au moins une idée de ce que sont les tâches de l’ingénieur. Voici par exemple ci-dessous un « sommaire » du cycle de vie d’un produit et des modalistés d’intervention de l’ingénieur dans ce cycle[3]

 

Cycle de vie d'un produit ou service

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conception : Concevoir une solution à un problème de société

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cotoiement des physiciens

 

Conception (bureau d'Etude) ; dont l'éco-conception

et de la Recherche amont

 

 

Calculs, simulation

 

 

 

 

 

 

Prototypage

 

 

 

 

 

 

 

Essais

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Industrialisation : rendre le produit fabricable dans de bonnes conditions de qualité, prix, adaptable aux besoins

 

particuliers

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Choix des technologies de fabrication des pièces

 

 

 

 

 

Conception des moyens d'assemblage et de réglage (Machines, postes de travail, usine)

 

 

Mise en place de la chaine logistique (Achats,  d'approvisionnement, gestion de stock)

 

 

Qualification du produit industrialisable

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exploitation : Mettre effectivement le produit sur le marché

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Production (dont la notion de flexibilité = lean manufacturing)

 

 

 

 

Maintenance des moyens de production (disponibilité, efficacité)

 

 

 

 

Mise sur le marché (logistique de diffusion)

 

 

 

 

 

Service avant-vente (aide du client au choix et à l'installation) et après-vente

 

 

 

Gestion de la fin de vie du produit (récupération, recyclage)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fonctions transverses, confiées aux ingénieurs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conduite de projet (pour conception + industrialisation)

 

 

 

 

 

Qualité (en conception, en production, en clientèle)

 

 

 

 

 

Stratégie industrielle (souvent internationale)

 

 

 

 

 

Méthodes de management (gestion du changement, animation des équipes, évolution des personnes)

 

            Vous devez aussi être capable de répondre à des questions sur les grands modèles d’organisation du travail en usine (fordisme, taylorisme, toyotisme …) et d’entrer dans une discussion sommaire sur la question (vitale) du redressement industriel de notre beau pays, de ses modalités et de ses moyens, de la possibilité de combiner cette réindustrialisation avec les préoccupations écologiques émergentes.

 

            QU’EST-CE QUE LE CAPITALISME INDUSTRIEL ?

C’est d’abord un phénomène indissociable de la première Révolution industrielle, celle qui commence en Angleterre fin 18e, qui repose sur la machine à vapeur, l’industrie minière, la sidérurgie, le textile,  et qui est caractérisée par le changement d’échelle de la production (notamment par le passage du modèle de l’atelier artisanal à celui de la « fabrique » ou de l’usine). Sur le plan social et politique, ce nouveau modèle se traduit par l’émergence d’un nouveau type, l’ouvrier d’usine (le « prolétaire » diront les socialistes), la concentration dans des usines (ou des mines) d’un nombre considérable d’ouvriers, ce qui sera propice à l’émergence de formes nouvelles d’organisation comme les syndicats. Ceux-ci se donnent pour mission de lutter contre l’exploitation féroce qu’organise ce nouveau capitalisme, avec notamment les grèves. De nombreuses enquêtes sur la misère ouvrière tout au long du 19e décrivent des situations terribles (voir notamment celle, célèbre, d’Engels à Leeds).

On parle de « capitalisme industriel » parce que pour fonder ces usines, il faut beaucoup d’argent. Celui-ci est collecté grâce à la création de sociétés par actions : on met sur le marché de la bourse (autre élément essentiel de ce mécanisme) des « actions », c’est-à-dire des parts de la société que l’on crée et dont chaque actionnaire est ainsi « co-propriétaire ». L’actionnaire touche des dividendes, c’est-à-dire une part (proportionnelle au nombre d’actions qu’il a achetées) des bénéfices. Pour dégager des bénéfices, il faut vendre à tel prix (en fonction de la « rareté » du produit,  de la concurrence), et … limiter les salaires. Marx élabore à ce propos la théorie de la plus-value (plus guère en honneur  aujourd’hui) : l’entrepreneur ne rémunère pas la force de travail de l’ouvrier à la hauteur de la richesse qu’elle crée, mais se contente de lui verser un salaire qui lui permet de reconstituer sa force de travail (dont l’entrepreneur par définition a besoin). La différence entre la richesse créée par l’ouvrier, ou plus précisément le profit qu’en tire l’entrepreneur, et le salaire, s’appelle la « plus-value » ; ce mécanisme s’appelle (toujours chez Marx) l’ « exploitation ». L’ouvrier ne peut s’y soustraire parce qu’il n’a que sa force de travail à vendre – à moins qu’il ne s’engage dans la lutte sociale, et, surtout, bien sûr (nous sommes toujours chez Marx) dans la seule véritable lutte qu’il vaille, celle pour la révolution. La révolution socialiste marxienne vise à l’instauration d’une société égalitaire grâce à la propriété collective des outils de production, et à l’abolition du salariat au profit d’un modèle coopératif d’autogestion. Dans cette société égalitaire, comme personne ne cherchera plus à produire du profit et à s’enrichir, il suffira de travailler quelques heures par jour pour que chacun dispose de ce dont il a besoin. Le reste du temps, chacun se consacrera à ce qui lui permettra d’épanouir son humanité : on sera donc cordonnier le matin, poète l’après-midi. L’expérience sinistre du totalitarisme soviétique est-elle au bout de ce modèle ou en constitue-t-elle un monstrueux dévoiement ? Le débat n’est pas clos…

Un roman, célèbre à juste titre, évoque la condition ouvrière, plus précisément celle des mineurs, sous le Second Empire (1852-1870) : c’est Germinal de Zola. L’intrigue est bien connue, mais il faut insister sur deux points :

+ le mécanisme de l’actionnariat est décrit comme une forme majeure de déshumanisation : les ouvriers savent que la mine appartient à « des gens » qui vivent au loin (à Paris), qui n’ont sans doute aucune idée de la misère dans laquelle eux sont plongés, et qui de toute façon s’en soucient comme d’une guigne. Marx a beaucoup insisté sur cette effroyable déshumanisation anonyme créée par l’obsession unique du profit. Le personnage du directeur de la mine dans le roman, bon bougre paternaliste, certes un peu aveugle sur la condition de ceux qu’ils dirigent, et qui explique aux mineurs qu’il n’a guère de prise sur le cours des choses, car il est lui aussi un salarié, est à cet égard très significatif.

+ Avec le sens de l’image qui le caractérise, Zola (qui pourtant n’a rien d’un révolutionnaire !) donne dans le dernier paragraphe du chapitre 1 de son roman une représentation allégorique de la brutalité de ce capitalisme industriel lorsqu’il évoque le puits de mine du Voreux :

     Aucune aube ne blanchissait dans le ciel mort, les hauts-fourneaux seuls flambaient, ainsi que les fours à coke, ensanglantant les ténèbres, sans en éclairer l’inconnu. Et le Voreux, au fond de son trou, avec son tassement de bête méchante, s’écrasait davantage,  respirait d’une haleine grosse et plus longue, l’air gêné par sa digestion de chair humaine.

 

Pour finir, rappelons que ce monde du capitalisme industriel du 19e est un âge d’or de l’ingénieur, qui vient incarner le pouvoir quasi démiurgique que l’homme tire de la connaissance scientifique et de sa conversion en technique.

 

 

            Il faut vous attendre à une question sur vos goûts artistiques et vos pratiques culturelles.  Vous devez donc être en mesure ce citer un tableau qui vous a plu, un livre ou un film qui vous ont marqué, de dire pourquoi vous aimez telle musique. Mieux vaut ne pas improviser, se noyer dans quelques borborygmes inaudibles et déshonorants, regarder ses pieds d’un air gêné pour finalement murmurer « Ben, c’est un roman sympa », ou « les couleurs sont flashy ». Donc vous devez préparer une petite fiche qui vous permet de dire en 3à secondes ou en 3 minutes des choses substantielles sur l’œuvre que vous aurez choisie. La remarque vaut aussi par exemple pour vos voyages ou vos séjours à l’étranger : ils vont forcément susciter des questions, et ce que le jury attend c’est que vous soyez capables d’élaborer un point de vue synthétique et de fournir un point d’accroche pour une discussion. Ex. : si vous avez vécu aux USA, lorsque le jury vous demande ce qui vous y a frappé, ne dites pas : « Eulah, la taille des bagnoles là-bas !! ». Dites : «Pour un Français, tout est gigantesque : les distances, les paysages, et même les voitures ! C’est un pays qui a par ailleurs d’énormes  moyens, et dans lequel on rencontre certes des gens très prospères, mais aussi beaucoup de pauvres ». Le jury vous demandera alors ce que cet état de fait vous inspire …. Et surtout, n’inaugurez pas votre propos par une naïveté du genre : « C’est très différent d’ici » ou bien « Ils [sic] ont une mentalité très différente de la nôtre ».

            Deux remarques à propos de la question des goûts artistiques et des pratiques culturelles :

                        - ne dites pas : « Je suis très ouvert, j’aime toutes les musiques ». Le jury comprend bien que le candidat profite de la question pour formuler une pétition de principe et afficher sa tolérance. Le problème est d’une part que cette  tolérance-là relève du conformisme et de l’automatisme mental, d’autre part que la notion de goût implique des choix et des exclusions (sans impliquer nécessairement le mépris, la disqualification, etc. – on n’est pas obligé de proférer des insanités du genre : « J’aime pas le djembé, c’est un truc de Nègre »). Celui qui ne choisit pas, par définition, n’a donc pas de goût, et va donner l’impression d’une sorte d’inconsistance. Or – notez bien cette remarque, qui est essentielle – peut-être que la manière la plus simple de décrire le profil que rechercher les jurys serait de parler précisément de « consistance » : on recherche des individus « consistants », qui aient de la personnalité, pas le genre lisse couleur de muraille…

                        - Dans le même ordre d’idées, évitez une autre pétition de principe en forme de slogan, celle qui consiste à dire « J’aime découvrir d’autres cultures ».  Un slogan est une formule frappante, un énoncé figé qui semble refléter une sorte d’évidence indiscutable (ou prescrire un comportement lui aussi caractérisé par son évidence). Mais surtout, le slogan est là pour anesthésier les capacités critiques de celui qui l’absorbe et le répète. Le candidat qui dit « J’aime découvrir d’autres cultures » répète un peu mécaniquement une formule qui reflète l’air du temps : il faut « être ouvert », « aller vers les autres ». En quoi cela  consiste-t-il ? C’est une question que souvent le candidat ne s’est pas posée. Plutôt que d’en rester à ce slogan que le jury aura entendu tout au long de la journée, mieux vaut être concret. Vous pouvez dire par exemple : « Ce qui me plaît dans les voyages, c’est de regarder comment les gens se comportent : comment ils  s’abordent pour se saluer, quelles sont leurs manières de table, s’ils se laissent facilement aller à l’agressivité. Et puis il est agréable de déambuler dans une ville dont l’architecture est celle d’une autre civilisation, et bien sûr de découvrir des paysages sans rapport avec ceux que l’on connaît. Quand on a un peu plus de temps, on peut aussi s’intéresser à la religion, aux systèmes de valeur, et aussi bien sûr à la politique ».

                        - Le mot culture est aujourd’hui mis à toutes les sauces : culture d’entreprise, culture du bricolage, industrie culturelle ; il existe, plus largement, par ailleurs un flou qui conduit à confondre culture, art, connaissances, maîtrise d’un domaine spécifique, état -d’esprit, et loisir.

+ La culture englobe l’art et un certain nombre de productions de l’esprit : un homme cultivé accumule de manière désintéressée des connaissances qui lui permettent de penser le monde et la place que lui-même y occupe (philosophie, Histoire, géopolitique, sciences). On n’est « cultivé » que si l’on est capable de mettre en perspective tout cela de manière un peu cohérente. Ex. : un homme cultivé, même croyant, dispose de connaissances élémentaires et d’un esprit critique qui le conduisent à accueillir par un fou-rire les délires des créationnistes.

+ Quand on parle de « culture d’entreprise », on désigne un état-d’esprit, un ensemble de pratiques, de manière de faire et de  valeurs  que l’individu doit intégrer / intérioriser. Le sens est dérivé de l’acception anthropologique du terme (la culture aborigène, la culture occidentale, etc.).

+ La « culture du bricolage » renvoie à un ensemble de connaissances, à une maîtrise du domaine, à un état-d’esprit (le « do it yourself », éventuellement avec des bouts de ficelle) et à un goût.

+ Un loisir est une activité que l’individu pratique gratuitement, par plaisir, et aujourd’hui chacun pense son existence à partir d’une antithèse travail / loisir. Il existe des loisirs « cultivés » (aller au musée) d’autres qui ne le sont pas (jouer à la belote), mais tous les loisirs sont significatifs d’une culture au sens anthropologique du terme (les aborigènes ne jouent pas à la belote).

 

 

            S’il s’agit d’un entretien d’embauche, pensez que si le recruteur se trouve face à des candidats qui ont en gros un CV équivalent, ce qui fera la différence sera une impression d’ordre subjectif,  et que l’important sera alors d’ « inspirer confiance », de refléter une forme de détermination, de solidité, de sang-froid, de sens du dialogue et de l’autorité, et qu’il faudra que l’interlocuteur susmentionné imagine qu’il peut être envisageable voire agréable de vous côtoyer dans une relation professionnelle quotidienne.     

 

RHETORIQUE

Certaines maladresses, dans votre présentation inaugurale ou dans la suite de l’entretien vous desservent. Deux exemples :

- un candidat évoque sa pratique du sport, en l’occurrence la course à pied sur des distances moyennes, et pour montrer qu’elle illustre la détermination qui le caractérise, il dit : « j’essaie toujours d’aller plus loin, plus vite, plus longtemps ». Cet énoncé a le tort de ressembler à un slogan publicitaire ; or 1) il est malvenu de faire sa propre promotion (« le moi est haïssable », si vous voyez ce que je veux dire), 2) aucune créature raisonnable ne peut adhérer pleinement à un slogan publicitaire, qui est par vocation excessif, simplificateur, etc. Donc il faut dire : « j’essaie régulièrement d’améliorer mes performances : je travaille l’endurance, en allongeant les distances, et j’essaie d’adopter des cadences plus élevées ».

- Un autre candidat, qui souhaiterait devenir pilote de chasse, répète plusieurs fois, pendant l’entretien, qu’il entend « obéir » aux ordres qui lui seront donnés. La notion d’obéissance renvoie à une forme de passivité, au renoncement à l’autonomie et à celui de l’exercice de la responsabilité morale. Il faut présenter les choses autrement, et rappeler qu’une armée repose, fondamentalement, sur la discipline et sur le respect de l’autorité. La différence entre les deux présentations est considérable : qui dit « autorité » dit « légitimité », et donc renvoie à un fondement « raisonnable » (même s’il est discutable) de la soumission à l’autorité. Si un pilote de chasse reçoit l’ordre de bombarder une colonne de 150 enfants âgés de 6 à 10 ans, désarmés, qui ne servent pas de bouclier humain, etc., etc., il peut considérer que l’autorité qui lui donne un tel ordre, contraire à tous les codes militaires, se délégitime, et que donc il n’est plus tenu de la respecter. Je choisis à dessein un exemple caricatural ; si des enfants sont utilisés comme boucliers humains dans le cadre d’une opération militaire d’envergure, montée par un ennemi, il en va différemment et, à titre personnel, je me réjouis de n’être ni celui qui donne l’ordre, ni celui qui l’exécute, ce qui ne signifie pas que je suis sûr qu’il ne faut ni donner l’ordre ni l’exécuter.  

           

 LOGIQUE

Le moins que l’on puisse attendre d’un étudiant en CPGE scientifiques, c’est qu’il est totalement intériorisé l’importance de développer une démarche obéissant à la logique et à la rigueur. Contre-exemple : un étudiant à qui l’on demandait d’expliquer, à travers l’exemple de la génétique, la différence entre science fondamentale et science appliquée, a parlé d’abord de la science appliquée, ce qui contrevenait à la logique la plus élémentaire : il faut d’abord une science fondamentale, dont les acquis sont ensuite exploités par la science appliquée.

Si vous avez à un moment où un autre mentionné votre goût pour la logique, peut-être le jury jouera-t-il à vous piéger avec un syllogisme célèbre.

Un syllogisme est un raisonnement formalisé, relevant de ce qu’on nomme la « logique formelle », qui articule une « majeure », une « mineure » et une ccl.

Majeure : tous les hommes sont mortels ; mineure : Socrate est un homme ; ccl : Socrate est mortel.

Voici maintenant notre piège :

Tout ce qui est rare est cher - un cheval bon marché est rare – un cheval bon marché est cher.

On aura reconnu dans la majeure l’équation de la loi du marché (loi de l’offre et de la demande et principe de rareté). La mineure évoque la traduction en un cas particulier de cette loi : il existe un rapport entre offre et demande qui est favorable aux vendeurs de chevaux, lesquels (les chevaux, pas les vendeurs) se négocient à bon prix. Telle est la régularité statistique. Donc, un cheval bon marché est rare, son existence est accidentelle : le vendeur est un déficient mental, il a conclu le marché en état d’ivresse, il voulait se concilier les bonnes grâces de l’acheteur pour obtenir qqch en échange, le cheval était un héritage dont il ne savait que faire, etc. La logique formelle, par définition, ne prend pas en compte ce qui est de l’ordre de l’accidentel : Socrate mourra, pcq on ne connaît pas d’ « accident » qui  nous dispense de mourir.

 Notre syllogisme a par ailleurs une tonalité humoristique qui se confond opportunément avec une question de logique : « un cheval rare est cher », c’est évidemment un énoncé absurde (techniquement parlant : « auto-contradictoire »), et cette composante absurde prise dans le carcan de la logique formelle, laquelle  est  a priori dotée d’une grande force intellectuelle, fait rire. Mais il faut souligner que l’invalidation de cette logique formelle tient au fait qu’elle entre en conflit avec une autre logique, tout aussi vigoureuse, celle de l’être et des qualités qui le définissent (logique de l’identité)  : A ne peut être en même temps « non-A » !

Apprenez ce truc par cœur, et arrangez-vous pour le recaser. [C’est une plaisanterie]

Logique formelle : accord majeure / mineure, mais décrochement ds déduction pcq présence d’une autre contrainte logique : A ne peut être le contraire de A ! La relation majeure / mineure = formule de la loi du marché ; mais la mineure en elle-même ne renvoie pas une rareté essentielle (celle du cheval) mais à la rareté dans cette catégorie d’un cheval affecté d’une certaine qualité (un prix modique) ; et comme cette qualité est un prix bas (le contraire d’un prix élevé), le syllogisme est d’emblée invalidé : sa mineure ne peut jouer le rôle de mineure puisqu’elle est contradictoire avec la majeure : elle se préoccupe d’un cas qui fondamentalement est exclu du cadre que dessine le syllogisme. En outre, si le cheval bon marché est rare, c’est précisément du fait de la loi de l’offre et de la demande que met en forme le syllogisme, et à laquelle il constitue une exception, laquelle est nécessairement rare. Le cheval bon marché, s’il est rare, constitue donc en lui-même une aberration logique (s’il est rare, c’est que la demande est forte, et que chacun parvient à vendre son cheval un bon prix, sauf accident, càd ce que la logique formelle ne peut prendre en compte) que, en tant que telle, la logique formelle du syllogisme ne peut prendre en compte !

 

 

 

TECHNIQUE

Un futur ingénieur doit montrer qu’il a l’habitude d’observer et d’appréhender les objets d’un point de vue technique ou  technologique  ; un contre-exemple, ici encore, va éclairer votre lanterne : un candidat à qui l’on demandait de mentionner les trois composantes d’une roue (avant) de vélo, en excluant le pneu et la chambre à air, a répondu : « un axe, et puis, ben, la roue quoi ! ». La bonne réponse est : un moyeu  (axe + roulements + système de fixation), des rayons, une jante. Et bien évidemment, il faut être en mesure de commenter cet ensemble et son principe de fonctionnement.        

 

            Ce qui est essentiel, c’est que vos réponses aux questions que vous pose le jury, vos commentaires, montrent que vous êtes capables de vous constituer (et d’exposer) un point de vue. Par exemple : certains d’entre vous ont vécu une année à l’étranger ; le jury va probablement vous interroger à ce sujet, en vous adressant une question très ouverte, du style : « vous avez vécu un an en Papouasie, chez les Baruyas ; que pensez-vous de cette société ? ». Votre réponse devra montrer d’abord que vous vous êtes vous-même posé la question, que vous êtes donc capable d’une forme de recul et de mise en perspective. Il faudra donc en quelques phrases présenter une vision un peu organisée, cohérente, et aussi parlante, de cette société, au lieu d’accumuler des remarques désordonnées, dans lesquelles l’essentiel et le futile se mêleraient fâcheusement.

            Un individu qui est capable de présenter un point de vue est quelqu’un qui donne l’impression d’adopter une posture de maîtrise, ce qui, pour un futur cadre (un ingénieur) est la moindre des choses.

 

            Vous devez vous préoccuper en permanence pendant ces entretiens d’adopter le ton juste, c’est-à-dire faire preuve de tact. Le terme renvoie étymologiquement au toucher : la sensibilité du toucher permet d’apprécier la nature et la qualité de l’objet ; par ailleurs, on ne touche pas de la même manière la main d’un inconnu pour le saluer, celle d’une personne avec laquelle on entretient des liens intimes, un fruit dont on veut mesurer le degré de maturité (il  est très mal élevé de prétendre effectuer la même opération avec une personne très chère), une haltère que l’on doit soulever, un mécanisme que l’on visse, etc. Est-il besoin d’en dire plus ? On ne se comporte pas de la même manière selon les circonstances, selon sa propre identité et celle de son interlocuteur. Exemple : les gentils étudiants de HEC s’entraînent eux aussi à des « entretiens », mais on les invite à faire (un peu, beaucoup) leur propre éloge, à se mettre en valeur sans beaucoup de nuances ; c’est ainsi qu’à l’occasion de ma seule (sans commentaire) expérience en la matière, j’ai entendu un jeune homme parler de son goût pour la pêche à la mouche, et je vous assure que cela ressemblait d’assez près à une expédition commando (pour sauver le monde) en Haute-Amazonie. Moralité : ce jeune homme était absolument ridicule. (P.S. : l’anecdote est authentique). Vous devez mettre en valeur ce qui mérite de l’être, mais souvenez-vous qu’on ne fait jamais son propre éloge. On ne dit pas « Je suis un grand sportif », même si l’on a gagné 25 semi-marathons ; on dit : « je pratique la course à pied, j’aime bien les longues distances, ma morphologie me prédisposait à ce type d’effort. Je cours très régulièrement, j’ai fait à une certaine époque de la compétition, et j’ai eu la chance de me constituer un palmarès honorable ». Le jury vous demandera de préciser, et d’un air modeste vous expliquerez que vous avez remporté toutes les courses auxquelles vous avez participé pendant deux saisons de suite, mais que, hélas, la prépa, etc., etc. Le jury admirera vos performances et appréciera votre retenue  post-pascalienne (le moi est haïssable : bis).

 

            - Une question à laquelle vous devez vous préparer : « De quelle invention aimeriez-vous être l’auteur ? ». Il n’est pas aberrant de considérer qu’un étudiant qui veut devenir ingénieur, poussé par son goût pour la science et la technique, a pu entretenir une rêverie sur ce genre de question (c’est un peu comme un khâgneux à qui on demanderait quelle œuvre littéraire il aurait aimé écrire). Je vous renvoie une fois encore à Jules verne et au personnage du Capitaine Nemo, archétype de l’ingénieur plus que du savant[4], et à son récit, à la fin de L’Ile mystérieuse, de l’invention du Nautilus. Ne donnez pas de réponse naïve et mégalomaniaque, genre « l’eau chaude », « le moteur à explosion » ; choisissez quelque chose de plus « petit », et surtout expliquez ce choix. Deux exemples de réponse, fournis par des candidats :

                        - le premier pratique la musique, et a mentionné le lecteur MP 3, parce qu’il permet d’écouter de la musique en toutes circonstances, et que, à défaut d’offrir un rendu parfaitement satisfaisant, il permet une écoute (pardon pour la répétition) extrêmement précise.

                        - Le second a mentionné non pas une invention mais une œuvre qui relève de l’ingénierie et de l’architecture : la Tour Eiffel, pour son caractère novateur sur le plan à la fois technique et esthétique, la manière dont, avec l’événement auquel elle était associée (l’Expo universelle de Paris de 1889, qui célébrait aussi le centenaire de la Révolution), elle a marqué l’époque et marque aujourd’hui encore le paysage parisien.

            Mais en fait, le plus judicieux, me semble-t-il, est de mentionner un perfectionnement que vous pouvez décrire assez précisément d’un point de vue technique et dont vous pouvez facilement montrer l’intérêt qu’il présente ; par exemple : ne dites pas que vous auriez aimé inventer la roue, parlez plutôt de la chambre à air et du pneu.  Dites à la rigueur l’ordinateur (une « machine » absolument inédite par sa « polyvalence » + un objet qui a métamorphosé certains aspects de notre existence + un instrument scientifique sans égal, etc.) mais dites surtout la souris, en soulignant le rôle dans cette invention de l’imagination (avoir l’idée d’un satellite qui permettrait d’intervenir directement sur l’écran grâce à un geste « naturel », en s’émancipant du clavier) et l’exceptionnelle réussite ergonomique de cet objet, parachevée par la version sans fil.

            Préparez-vous aussi à une question voisine : « Expliquez-nous le fonctionnement [ou : le mécanisme qui assure le fonctionnement] de l’objet de votre choix ». Pensez alors que votre explication devra convaincre aussi bien l’ingénieur (ou l’enseignement d’une matière scientifique) que le représentant des disciplines littéraires (c'est-à-dire quelqu’un qui ne sera pas en mesure de suivre des explications exagérément techniques) qui siègent côte à côte dans le jury. Le but est, là encore, de mesurer votre capacité à « expliquer », l’aisance avec laquelle vous improvisez un exposé clair, cohérent, qui va à l’essentiel. Exemple de ce qu’il ne faut pas faire : un candidat qui exposait le fonctionnement du stylo à bille (ce qui constituait un choix très judicieux, qui lui permettait de montrer que sa curiosité pour les questions technologiques était toujours en éveil et s’appliquait aux objets les plus courants) s’est laissé aller à un moment de son explication à parler de « truc » au lieu d’employer un terme plus … précis pour décrire tel élément du mécanisme ! Evidemment, on attend au contraire d’un futur ingénieur qu’il sache nommer en termes propres chaque élément du mécanisme. Si la salle d’oral dispose d’un tableau, pensez qu’un dessin (s’il est réussi …) produira un excellent effet.  

 

            - Peut-on arriver à un entretien avec des notes ? L’idéal est de parler sans notes, mais sans donner l’impression qu’on récite un topos. Si vous manquez d’aisance, venez avec un aide-mémoire, c’est-à-dire une feuille sur laquelle figurera une série de mentions très brèves, présentées à l’aide de tirets, qui vous « rappelleront » les grandes étapes de votre exposé liminaire. Bien sûr, si le texte réglementaire qui définit l’épreuve dit « pas de notes », vous venez les mains vides ….

 

            - Ceux qui ne lisent pas, qui ne vont pas au cinéma, etc., et à qui le jury serait tenté par conséquent de reprocher de manquer de curiosité ou d’ouverture d’esprit, peuvent recourir à un subterfuge ; il s’agit de dire qu’ils s’intéressent à l’actualité ou aux « problèmes de société » - mais il faut alors qu’ils se constituent un petit bagage qui attestera cet intérêt. Pour ce faire, entre l’écrit et l’oral, lisez un peu Le Monde, Philosophie Magazine, et écoutez (podcastez, plutôt) sur France-Culture Du Grain à moudre (émission quotidienne) et Le Rendez-vous des politiques (émission hebdomadaire), par exemple. Ajoutons à cette liste une remarquable émission quotidienne de géopolitique (de 6H45 à 7H), Les Enjeux internationaux, qui présente pour vous l’immense intérêt de durer 15 mn, qui est consacrée chaque jour à un sujet différent (« les nouveaux équilibres stratégiques dans le pacifique », « la crise malienne », « la normalisation politique en Colombie », « l’économie de la drogue en Afghanistan », « les choix économiques de l’Inde », etc.), avec des archives gigantesques , pour l’écoute en ligne, sur le site de F.C. (mais les podcasts eux ne restent pas très longtemps accessibles). 

 

            - Lorsque l’on commet une faute de langue, ou que l’on se perd dans la syntaxe d’une phrase, et que l’on s’en aperçoit, il faut se corriger : l’honnêteté est toujours appréciée, et plus encore la capacité à exercer à l’égard de ses propos et ses actes une vigilance constante : c’est la moindre des choses que l’on puisse attendre de la part de futurs cadres, qui par définition seront amenés à remplir des fonctions d’autorité et d’encadrement, ce qui implique, précisément, l’aptitude à ce type de maîtrise. 

 

VII AUTRES AJOUTS, INSPIRES PAR L’EXPERIENCE DES CANDIDATS (oraux de juin 2012 à juin 2015)

 

(questions posées par le jury, remarques faites aux candidats, et questions dont les étudiants disent qu’elles pourraient les mettre en difficulté)

 

- « A quel propos aimeriez-vous pousser un coup de gueule [sic] ? » ; reformulation : citez un fait ou une situation qui provoque votre indignation.

But de la question : voir quel est le spectre vos préoccupations (politiques, éthiques, philosophiques, etc.) et surtout comment vous présentez puis analysez (votre réponse peut donner lieu à un dialogue) le fait / la situation que vous avez choisi de traiter. Ex. : l’individualisme qui conduit à ne pas se préoccuper des nuisances sonores que l’on inflige à son besoin, les gens qui prennent leur voiture pour parcourir 800 m, l’absence d’intervention de la communauté internationale en Syrie, la famine en Afrique sub-saharienne, l’immunité du président de la République en France, l’opacité du nucléaire en France, les « parachutes dorés » des grands patrons, l’inégalité en matière de santé, la reproduction sociale (les enfants de polytechniciens deviennent polytechniciens), la raréfaction des porte-jarretelles, le sort des poissons rouges, etc., etc.  

            - « Quand vous jouiez au rugby, vous n’étiez pas capitaine ; cela signifie que vous n’avez pas l’étoffe d’un leader » ; implicite : un ingénieur doit être un  leader (puisqu’il est cadre, dirige éventuellement une équipe, et doit exercer des fonctions d’autorité ; donc vous n’êtes pas un bon candidat ; donc vous êtes dans une situation délicate …. ». Réponse : 1) le rugby, ce n’est pas la vie professionnelle [réponse pleine de mauvaise foi : si vous aviez été capitaine, vous auriez expliqué que cela montrait bien que, etc., etc. ; cela s’appelle de la rhétorique, du sang-froid, et la capacité à se vendre …] ; 2) vous étiez le meilleur ailier, personne ne pouvait vous remplacer, tandis que 3 autres personnes pouvaient être capitaine ; 3) votre « capacité de leader », vous l’avez manifestée en exerçant les fonctions de délégué, en organisant une collecte de fonds pour un village africain, une fête dans votre immeuble, etc.

            - Le candidat arrive à l’heure, et le jury déclare froidement : « vous êtes en retard ». Ne pas répondre : « Bande d’arsouilles, ça fait une heure que je poireaute ds le couloir et que je vous entends ricaner, et vous avez le culot de me dire que c’est moi qui suis en retard ? » ; ne pas insister sur le fait que  vous êtes à l’heure ; dire qu’il vous semblait être à l’heure et que vous êtes désolé parce que vous êtes très attaché à la ponctualité, qui vous semble essentielle aussi bien dans la vie sociale (c’est une marque de respect que vous devez, vous semble-t-il, à vos semblables) que dans la vie professionnelle (où elle est, en plus, une garantie d’efficacité). 

            - Oral de St-Cyr : + il va bien entendu être question de la chose militaire ; attendez-vous à des questions portant sur l’éthique du soldat et, surtout, de l’officier. Peut-on vous demander si vous iriez jusqu’à torturer pour obtenir des renseignements qui permettraient de sauver 200 personnes ? Je ne crois pas, ce serait très brutal, mais au cas où :

1) la torture est incompatible avec l’un des fondements de la démocratie : le respect absolu de l’intégrité physique, morale et psychologique de l’individu ; or, pour être en mesure de torturer il faut être prêt à détruire cette intégrité, considérer sa victime comme une créature inférieure et méprisable (sinon, on s’identifie à elle et on ne peut la torturer ; 2) elle constitue une transgression majeure du droit de la guerre, et comme la négation de ce droit ; or, la guerre, qui est en soi une chose terrible, le devient 100 fois plus si elle n’est pas « encadrée » par un droit ; 3) les spécialistes disent qu’elle est inutile et qu’il « suffit » de faire du renseignement ; 4) l’exemple de la Guerre d’Algérie : des officiers français qui avaient été résistants, qui s’étaient battus contre la barbarie nazie, dont la torture était l’une des incarnations, ont été bouleversés quand ils ont compris qu’on leur demandait, ds le cadre de cette guerre, de devenir eux-mêmes tortionnaires, et ont rappelé que la torture déshumanise aussi le bourreau.  

            + A St-Cyr comme à l’Ecole de l’air, le premier temps de l’épreuve est constitué par l’analyse de l’extrait d’un texte littéraire, et il ne s’agit pas d’un prétexte : le jury attend véritablement que le candidat manifeste une connaissance de la littérature et la capacité à discuter à partir de l’analyse d’un texte. Sur le site de St-Cyr, le jury (ou la direction de l’école) affirme que seule l’imprégnation d’un certain nombre d’idées générales que l’on tire de la méditation des grands textes littéraires fournit l’armature intellectuelle et la distance qui font le bon officier (et sans doute plus précisément le bon officier supérieur).

 

            Retournement de situation

Dans certaines écoles (surtout les écoles de commerce, mais pas uniquement), l’ultime question du jury est la suivante : « Souhaitez-vous nous poser une question ? ». Pour savoir comment répondre à cette question, il faut d’abord se demander quel intérêt elle présente pour le jury, ce qu’elle peut faire apparaître. Une brève réflexion en la matière conduit à penser qu’il s’agit d’adopter un autre angle d’attaque pour évaluer la capacité du candidat à tenir sa place dans une discussion, un débat. Il faut donc que vous reveniez sur un point de la discussion : une question à laquelle vous n’avez pas su répondre, une remarque d’un membre du jury qui peut donner lieu à un ultime échange (que vous inaugurez, donc, par une question : à vous de cultiver l’habileté rhétorique qui permet de transformer un commentaire que vous pourriez formuler, en une question adressée au jury ; notez toutefois  que si vous dites qu’à défaut de poser une question vous souhaitez formuler une remarque à propos de tel point dont il a été question, le jury considérera que vous faites preuve d’une sorte d’esprit de suite, d’un sens du débat, et que c’est une chose qui plaide en votre faveur), une question à laquelle vous avez répondu, mais à propos de laquelle vous sollicitez le point de vue du jury lui-même, etc. Pour affronter cette ultime difficulté, il faut bien sûr que vous ayez gardé l’esprit n éveil pendant l’ensemble de l’épreuve, et que vous ayez gardé dans un coin de votre esprit tel ou tel point qui peut alors servir de munition – cette capacité d’attention est là encore une qualité à laquelle le jury est sensible.

 

            Ajout à l’issue des oraux de l’été 2015

 

L’imagination des jurys est sans limite, et un khâgneux a été confronté dans une école de commerce à un oral d’un type inédit : on lui a donné une dizaine de cartes de jeu pour enfant avec des images du quotidien (une télévision, un livre, ou encore un trombone) et on lui a demandé en quoi  ces objets le représentaient.

Ne vous laissez pas décontenancer par ce type d’exercice : ce que veut évaluer le jury, c’est précisément votre capacité à tenir un discours sensé, construit, à partir de contraintes qui semblent interdire de le faire. En l’occurrence :

  • la télévision vous permettra de mentionner la révolution planétaire qu’a constituée la diffusion de ce nouveau media. Vous pourrez évoquer avec un brin de nostalgie les espoirs que certains y associaient, comme celui d’une initiation à la culture des classes populaires, espoir auquel vous opposerez aussi bien la standardisation (planétaire précisément) des imaginaires (par la diffusion des mêmes feuilletons états-uniens) que les dérives de la démocratie médiatique (les élections présidentielles se jouent davantage lors des débats télévisés que dans les programmes politiques) et le déferlement de vulgarité nommé Télé-réalité. Le jury vous demandera ensuite, par exemple, si d’une manière ou d’une autre la révolution d’internet peut être comparée à la révolution de la TV.
  • Le livre vous permettra, au choix, d’évoquer vos regrets parce que, pour une raison ou pour une autre, vous n’avez pas assez de goût pour la lecture (pensez quand même à mentionner telle ou telle œuvre qui vous a marqué), ou de souligner l’importance dans votre existence de la littérature.
  • De manière un peu comparable, le trombone vous conduira à mentionner vos regrets de ne pas avoir fait de musique ou au contraire votre répertoire favori, etc. Le jury pourra, dans un cas comme dans l’autre, vous demander quelles sont à votre avis les mesures qu’il faudrait prendre pour que la culture musicale se diffuse, ou si vous avez par ailleurs une culture picturale, etc.  

Des questions tordues inédites

Pendant un entretien dans une Grande Ecole parisienne, au cours duquel il a été passablement chahuté (les trois membres du jury se sont moqués de lui ostensiblement pendant l’ensemble de l’épreuve), on a demandé à un candidat de raconter une expérience dont il était particulièrement fier. Il a commencé à parler de la prépa, de la détermination dont il avait dû faire preuve pour mener à bien ses deux années, etc. Le jury l’interrompu en disant que ces banalités ne présentaient aucun intérêt, et lui a demandé de raconter une expérience dont il avait honte. Sans faiblir, la victime a raconté une nuit d’ivresse à Malte au cours de laquelle il avait égaré son portefeuille, été ramassé par la police pour finalement se réveiller hébété sur un banc public. Note finale : 18/20…

Analyse : voici un jury qui joue la carte de la provocation sur tous les plans, et qui nous confirme que tout est possible (dans certaines limites éthiques et légales : voir supra). Le but est de voir comment le candidat, mis dans une situation relativement improbable, va réagir. Il ne faut ni rester coi, ni prendre un air égaré, ni bluffer.

« Une expérience dont vous êtes fier » : vous pouvez être modeste, et racontez que vous avez encadré un camp de vacances pour jeunes enfants. En revanche, évitez le ridicule : ne dites pas que vous avez réussi à réaliser tout seul une réplique de la mairie de Grenoble en pain d’épices. Si rien ne vous vient à l’esprit, baisez : dites que vous n’avez jamais envisagé votre existence sous cet angle, mais que en revanche vous vous souvenez parfaitement d’un entretien de tel lauréat du Prix Nobel (en physique, en littérature, etc.) au terme duquel vous avez pensé que vous veniez de comprendre ce qu’est un individu à la hauteur des rêves de l’humanité, ou à qui vous aimeriez ressemblé, ou qui a permis de voir ce que l’on peut attendre de l’existence : le jury vous saura gré de vous montrer disponible à la discussion, de faire preuve d’initiative et de montrer ainsi que vous avez compris l’esprit de l’épreuve. Vous aurez montré au passage que vous n’êtes pas centré sur votre misérable personne, mais que vous avez des préoccupations élevées.

« Une expérience dont vous avez honte » : dans le témoignage ci-dessus, le candidat a pris un risque considérable. Il a raconté un épisode tristement banal de beuverie adolescente et s’est en effet montré sous un jour peu reluisant. On suppose qu’il s’en est sorti en montrant de manière crédible qu’il comprenait avec la distance les ressorts d’une telle attitude (attention au moralisme bêbête : un entretien à l’oral d’une GE n’est pas une confession), qu’il la racontait sans complaisance ni plaisir (mais avec humour). Si vous n’avez rien à dire, transposez les conseils ci-dessus : dites que vous ne souhaitez pas faire perdre son temps au jury avec le récit de turpitudes sans relief, mais que en revanche vous vous êtes toujours demandé comment des individus peuvent vivre en portant non pas la culpabilité ni même la responsabilité d’une mort d’homme : par exemple lorsqu’un type ivre-mort se jette sous les roues d’un automobiliste qui le percute avant d’avoir eu le temps de réagir – mais il faut là encore que vous ayez des biscuits, que vous soyez capable de développer, d’expliquer que l’innocence morale n’annule pas la violence, elle aussi morale, que l’on subit quand on est l’agent bêtement « mécanique » de la mort d’un individu, etc.

Le candidat qui a été soumis à ses mauvais traitements et s’en est brillamment tiré était à la fois assez flegmatique, cultivé, avait du goût pour la discussion, parlait une langue tout à fait correcte et ne manquait pas d’humour. Il avait par ailleurs appris à discipliner un goût un peu infantile de la provocation, qui lui faisait du tort, mais était familier des ressorts de celle-ci…

 

            DE L’ENTRETIEN COMME UNE CONVERSATION

 

Selon une expression galvaudée, il existe en France un art de la conversation qui permet de réunir pour un repas des gens qui ne se connaissent pas tous et qui vont néanmoins se parler. Il faut que personne ne confisque la parole, que personne ne se taise,  que les propos soient caractérisés à la fois par une forme de continuité et une certaine diversité, et qu’ils soient susceptibles d’intéresser tout un chacun. Marinette « lance la conversation » en racontant que certes le dernier w.e. a été gâté par la météo, mais qu’elle en a profité pour revoir La Mort aux trousses d’Hitchcock, et que à sa propre surprise (car elle connaît bien le film) elle a découvert dans le film une trame politique extrêmement intéressante [elle explique]. Marcel intervient pour dire que lui son Hitch préféré serait plutôt L’Homme qui en savait trop, pour le brio de la réalisation [qu’il décrit]. Suit un échange général (les convives sont 5), à propos de l’humour chez H., de ses acteur fétiches (Gary Grant et Grace Kelly entre autres), jusqu’à ce que Jules évoque Le Rideau déchiré, qui est un film sur la Guerre froide, qui se déroule en Allemagne, et que Charlotte-Emilie en vienne, par une logique d’ordre géographique, à mentionner les événements du 31 décembre 2015 à Cologne (un nombre considérable de jeunes femmes ont fait l’objet, dans le quartier de la gare, d’agressions sexuelles d’une gravité variable, dont il semble qu’elles aient été le fruit d’un vaste rassemblement de réfugiés récents en provenance du monde arabe). La conversation, là encore, se généralise, autour du thème de la politique d’accueil de la chancelière allemande, du problème des réfugiés en Europe. Hilarion intervient pour dire à quel point il est accablé par la situation en Syrie, pays qu’il connaît assez bien. Il décrit avec mélancolie les souks d’Alep, aujourd’hui détruits, et raconte une anecdote hilarante à propos d’un marchandage qui avait duré 2h pendant lequel il s’était tellement gavé de sucreries qu’il n’avait plus mangé pendant 2 jours, etc. Aspasie dit qu’elle ne peut de toute façon pas aller dans cette région du monde parce qu’elle ne supporte pas la chaleur, et qu’à l’occasion des prochaines vacances elle se rendra en Scandinavie. On l’interroge sur sa maîtrise de l’anglais, on la plaisante sur son immersion, elle qui est brune et mesure 1,50m, dans cette population des gaillards bruns, on mentionne les Contes d’Andersen, le « modèle danois » etc., etc.

 

            Transposons. On demande à une candidate de commenter la mort de David Bowie (le 10 1 2016) et l’extraordinaire relief que lui a donné la presse. Elle répond que c’est normal parce qu’il était un grand artiste, et l’échange s’arrête à peu près là. 

Que peut-on reprocher à cette candidate ? De ne pas connaître l’œuvre de Bowie ? Ce n’est pas exigible à l’entrée d’une école d’ingénieur. De ne pas avoir d’avis sur la médiatisation de son décès ? Elle n’est pas spécialiste en communication, et comme elle travaille tout le temps, elle n’a pas une vue d’ensemble de ce qui s’est dit. Là n’est pas le problème. Comment Marinette ou Charlotte-Emilie, dans le contexte convivial de leur dîner aurait-elle réagi (il faut ajouter que l’une et l’autre tentent de séduire Hilarion, et donc s’efforcent   discrètement de se mettre en valeur) ? Elle (l’une ou l’autre) aurait dit qu’à l’échelle de l’actualité des derniers mois, même en faisant l’impasse sur les attentats de Paris (novembre 2015), ce n’était certes pas cela qu’elle avait envie de retenir, mais plutôt la COP 21, dont les enjeux lui semblent autrement important [elle développe, puis mentionne rapidement le bilan mitigé de la conférence]. Le jury (car nous avons transposé cet échange)  demande alors à la candidate de  proposer une définition de l’écologie et lui demande si elle pense que cette préoccupation est vraiment désormais celle de tous les citoyens. Puis un autre membre du jury lui demande une définition de l’empreinte carbone, et si elle est prête à renoncer aux voyages en avion pour réduire sa responsabilité dans la pollution atmosphérique. Etc., etc.

           

            Dans le même genre : le jury vous demande quel est le dernier livre que vous avez lu. Vous répondez habilement que la prépa ne vous laisse guère de loisir pour la  lecture, mais que, au choix : 1) vous avez découvert le w.e. l’œuvre d’un musicien du XVIIIe / d’un jazzman militant de la cause noire dans les années 60 / d’une chanteuse qui reprend un répertoire traditionnel du Sahel, etc., [et vous développez] 2) vous êtes allé au Musée de Grenoble et vous avez découvert les grandes toiles de Rubens et de Zurbaran, qui vous ont frappé [et vous développez], 3) vous constituez depuis quelques années une collection de fossiles qui absorbe tout votre temps libre [et vous développez], etc. Le jury vous saura gré de prendre ainsi l’initiative et de manifester cette sorte de fluidité intellectuelle qui, comme dans la conversation, vous aura permis, au lieu de lui opposer une fin de non-recevoir (celle qui consiste à dire : « je ne lis pas ») susceptible de vous mettre dans une position délicate, de mettre en œuvre une logique par contiguïté (dirait Hume !) : vous passez d’une domaine culturel à un autre, vous montrez que si vous ne lisez pas vous n’en avez pas moins des curiosités dotées d’une légitimité artistique ou intellectuelle. 

 

 

            ENCORE DES QUESTIONS TORDUES

 

- Une anecdote veut qu’un jury ait demandé à un candidat : « Si vous étiez une couleur, quelle serait-elle ? ». Ne vous laissez pas décontenancer par l’incongruité de la question, pensez que la couleur joue un rôle important dans notre sensibilité esthétique, dans notre affectivité, bref dans notre rapport au monde, et que en fait il s’agit de dire quelle est la couleur à laquelle vous êtes particulièrement sensible, et surtout pourquoi : vous répondez « le bleu », et vous expliquez que comme vous êtes randonneur, le spectacle du ciel bleu au-dessus de la montagne vous est cher ; « le noir », parce que vous aimez la peinture de Soulages, « le rose » pour la « période rose » de Picasso, « le vert » parce que vous aimez les mers froides, « le rouge » parce que vous y voyez le symbole de la vie avec ses ambivalences, etc.

- Questions de définition

La capacité à fournir des définitions est un bon critère d’appréciation des connaissances, du sang-froid, de la maîtrise de la langue et de la clarté d’esprit des candidats. Alors qu’une candidate commentait la survivance de la misogynie dans le  monde professionnel et dans la sphère politique, elle mentionne son attachement au féminisme. Un membre du jury l’interrompt et lui demande de fournir une définition. Calmement, après un temps de réflexion très bref, elle s’exécute ; la définition est claire, pertinente, exacte. Bien joué. Comme l’entretien est une (fausse) discussion à bâtons rompus, on peut aussi bien vous demander de définir la physique, les ondes, la lumière, la fermentation, que l’inégalité, le progrès, le développement, la démocratie, ou la culture [à propos de ce mot, voir le topos dans les pages qui précèdent], l’autorité, ou de fournir des définitions permettant de distinguer progrès et développement, discipline et autoritarisme, inégalité et exploitation, etc.

- Une variante de la question : « Qu’auriez-vous aimé inventer ? » pourrait être : « Avez-vous en tête une invention dont on pourrait considérer qu’elle est regrettable ? ». Ici encore, tout se joue dans votre capacité à argumenter de manière nuancée, à faire preuve d’une forme de distance critique. Ainsi, l’exemple qui vous viendra forcément en tête est celui de la bombe atomique. Or, cet exemple est piégé, ce qui veut dire aussi que si vous vous y prenez bien, vous tenez là l’occasion de réussir un numéro brillant. En effet, les naïfs se contenteront de dire que c’est horrible cette capacité de s’auto-détruire dont est dotée l’humanité. Les rusés commenceront par rappeler l’adage de Rabelais selon lequel « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », ce qui signifie que l’invention technique en elle-même n’est généralement ni bonne ni mauvaise, et que même les armes relèvent de cette approche, sans compter qu’il existe ce que l’on nomme les « armes par destination » (une automobile n’a pas été conçue pour tuer, mais vous pouvez très bien foncer sur le type qui vous a piqué votre petite amie et l’envoyer ainsi brouter les pissenlits par la racine). Ensuite, vous pouvez invoquer le fait que les deux seules bombes nucléaires qui aient jamais été utilisées ont sans doute permis d’abréger la seconde Guerre Mondiale en anéantissant la résistance des Japonais (soyez nuancés, l’argument est discutable du fait de la disproportion caractéristique du feu nucléaire) ; enfin, parlez de la doctrine de la dissuasion nucléaire (celle de la France) et de la capacité du nucléaire à sanctuariser un territoire, et dites que l’ « équilibre de la terreur » - i.e. le fait que l’URSS et les USA, les principaux protagonistes de la Guerre Froide, aient été tous deux dotés de l’arme nucléaire – a peut-être permis d’éviter une troisième Guerre Mondiale.  Facile…

- A l’inverse, vous pouvez choisir « l’automobile » et souligner que seuls, à l’époque où l’on peut redouter que l’explosion de l’automobile en Chine n’asphyxie la planète (sans parler de la perte de temps et de la pollution que représentent les embouteillages dans nos grandes villes),  les naïfs (et les irresponsables) peuvent encore penser que « la voiture, c’est la liberté ».

- Si j’étais membre de jury (ce qu’à Dieu ne plaise) je demanderais volontiers aux gentils candidats de commenter des slogans ou des titres. Il serait intéressant par exemple de comparer les titres de deux émissions de France Culture : le premier est « Du Grain à moudre », le second est « Ping-pong », prolongé par ce slogan : « la culture sans limites ».  

 

DOCUMENTS ET DEFINITIONS

 

            +Le design : article de roland Barthes : « La nouvelle Citroën » [la DS]

 

Roland Barthes publie en 1957 un ensemble de brefs articles, d’abord publiés dans Elle, qu’il intitule Mythologies, et dans lequel il analyse des objets, des phénomènes, des pratiques, dont il estime que d’une manière ou d’une autre on peut les traiter comme les révélateurs d’un état d’esprit, d’une fantasmatique, d’une idéologie qui sont révélateurs de certains aspects de la société française de son temps. Ainsis s’explique le titre : ce sont des « mythologies »  parce que cette société s’y projette et s’y reflète, que l’ensemble révèle une ou des cohérences, tout comme une « mythologie » dans un sen splus classique révèles les attentes, la vision du monde, eetc., d’un groupe humain déterminé. Ces tewtes brefs sont incisifs, brillants, souvent drôles, et très accessibles. On en saurait trop conseiller la lecture du recueil lui-même (coll. Points), ou, à défauts, de quelques articles décisifs : « Le strip-tease », « Le monde où l’on catche », « Bichon chez les Nègres », entre autres.

L’article sur la DS (ci-dessous) montre le pouvoir de sugggestion de la forme et de l’esthétique adoptée par un « objet  industriel », au point qu’on peut en déduire ce que sont les ambitions et les réussites du design.

 

La nouvelle Citroën, extrait de Mythologiesde Roland Barthes.

Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique.

La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que l’objet est le meilleur messager de la surnature: il y a facilement dans l’objet, à la fois une perfection et une absence d’origine, une clôture et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière est bien plus magique que la vie), et pour tout dire un silence qui appartient à l’ordre du merveilleux. La «Déesse» a tous les caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement) d’un de ces objets descendus d’un autre univers, qui ont alimenté la néomanie du XVIIIe siècle et celle de notre science-fiction: la Déesse est d’abord un nouveau Nautilus.
C’est pourquoi on s’intéresse moins en elle à la substance qu’à ses joints. On sait que le lisse est toujours un attribut de la perfection parce que son contraire trahit une opération technique et tout humaine d’ajustement: la tunique du Christ était sans couture, comme les aéronefs de la science-fiction sont d’un métal sans relais. La DS 19 ne prétend pas au pur nappé, quoique sa forme générale soit très enveloppée; pourtant ce sont les emboîtements de ses plans qui intéressent le plus le public: on tâte furieusement la jonction des vitres, on passe la main dans les larges rigoles de caoutchouc qui relient la fenêtre arrière à ses entours de nickel. Il y a dans la DS l’amorce d’une nouvelle phénoménologie de l’ajustement, comme si l’on passait d’un monde d’éléments soudés à un monde d’éléments juxtaposés et qui tiennent par la seule vertu de leur forme merveilleuse, ce qui, bien entendu, est chargé d’introduire à l’idée d’une nature plus facile.

Quant à la matière elle-même, il est sûr qu’elle soutient un goût de la légèreté, au sens magique. Il y a retour à un certain aérodynamisme, nouveau pourtant dans la mesure où il est moins massif, moins tranchant, plus étale que celui des premiers temps de cette mode. La vitesse s’exprime ici dans des signes moins agressifs, moins sportifs, comme si elle passait d’une forme héroïque à une forme classique. Cette spiritualisation se lit dans l’importance, le soin et la matière des surfaces vitrées. La Déesse est visiblement exaltation de la vitre, et la tôle n’y est qu’une base. Ici, les vitres ne sont pas fenêtres, ouvertures percées dans la coque obscure, elles sont grands pans d’air et de vide, ayant le bombage étalé et la brillance des bulles de savon, la minceur dure d’une substance plus entomologique que minérale (l’insigne Citroën, l’insigne fléché, est devenu d’ailleurs insigne ailé, comme si l’on passait maintenant d’un ordre de la propulsion à un ordre du mouvement, d’un ordre du moteur à un ordre de l’organisme).
Il s’agit donc d’un art humanisé, et il se peut que la Déesse marque un changement dans la mythologie automobile. Jusqu’à présent, la voiture superlative tenait plutôt du bestiaire de la puissance; elle devient ici à la fois plus spirituelle et plus objective, et malgré certaines complaisances néomaniaques (comme le volant vide), la voici plus ménagère, mieux accordée à cette sublimation de l’ustensilité que l’on retrouve dans nos arts ménagers contemporains: le tableau de bord ressemble davantage à l’établi d’une cuisine moderne qu’à la centrale d’une usine: les minces volets de tôle mate, ondulée, les petits leviers à boule blanche, les voyants très simples, la discrétion même de la nickelerie, tout cela signifie une sorte de contrôle exercé sur le mouvement, conçu désormais comme confort plus que comme performance. On passe visiblement d’une alchimie de la vitesse à une gourmandise de la conduite.
Il semble que le public ait admirablement deviné la nouveauté des thèmes qu’on lui propose: d’abord sensible au néologisme (toute une campagne de presse le tenait en alerte depuis des années), il s’efforce très vite de réintégrer une conduite d’adaptation et d’ustensilité (« Faut s’y habituer »). Dans les halls d’exposition, la voiture témoin est visitée avec une application intense, amoureuse: c’est la grande phase tactile de la découverte, le moment où le merveilleux visuel va subir l’assaut raisonnant du toucher (car le toucher est le plus démystificateur de tous les sens, au contraire de la vue, qui est le plus magique): les tôles, les joints sont touchés, les rembourrages palpés, les sièges essayés, les portes caressées, les coussins pelotés; devant le volant, on mime la conduite avec tout le corps. L’objet est ici totalement prostitué, approprié: partie du ciel de Metropolis, la Déesse est en un quart d’heure médiatisée, accomplissant dans cet exorcisme, le mouvement même de la promotion petite-bourgeoise.

            + Le design : éléments de définition

Design, designers : définitions

Qu’est-ce que le design ?

La particularité du design est qu'il n’existe pas de définition unique et définitive, puisqu'il se réinvente à chaque époque, en suivant les évolutions, les cultures et les apports des designers du monde entier.

La définition de l’AFD (Association française des designers)


Le design est un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le but est de traiter et d’apporter des solutions aux problèmes  de tous les jours, petits et grands, liés aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

Potentiellement présent partout, en adéquation avec les modes de vie, les valeurs et les besoins des êtres humains, utilisateurs ou publics, le design contribue à la création d’espaces, à la communication de messages visuels et sonores, d’interfaces, à la production de produits et de services, afin de leur donner un sens, une émotion et une identité, d’en améliorer l’accessibilité ou l’expérience.

Cette activité utilise les compétences et l’expérience du designer, faites d’observation, d’analyse, d’écoute et de technique. L’inconnu, inhérent au commencement de tout projet, est précisément ce qui excite le cerveau du designer et qui le rend capable de rechercher des réponses originales.

Le design, lorsqu’il est présent dès la phase de réflexion, permet donc aux entreprises et aux collectivités d’être source d’innovation et de progrès.

La définition de l’ICSID


Design is a creative activity whose aim is to establish the multi-faceted qualities of objects, processes, services and their systems in whole life cycles. Therefore, design is the central factor of innovative humanisation of technologies and the crucial factor of cultural and economic exchange.

Design seeks to discover and assess structural, organisational, functional, expressive and economic relationships, with the task of:

  • Enhancing global sustainability and environmental protection (global ethics)
  • Giving benefits and freedom to the entire human community, individual and collective
  • Final users, producers and market protagonists (social ethics)
  • Supporting cultural diversity despite the globalisation of the world (cultural ethics)
  • Giving products, services and systems, those forms that are expressive of (semiology) and coherent with (aesthetics) their proper complexity.


Design concerns products, services and systems conceived with tools, organisations and logic introduced by industrialisation — not just when produced by serial processes. The adjective "industrial" put to design must be related to the term industry or in its meaning of sector of production or in its ancient meaning of "industrious activity". Thus, design is an activity involving a wide spectrum of professions in which products, services, graphics, interiors and architecture all take part. Together, these activities should further enhance - in a choral way with other related professions - the value of life.

Therefore, the term designer refers to an individual who practices an intellectual profession, and not simply a trade or a service for enterprises.

Quelques citations…


DESIGNERS, ARCHITECTES
Léonard de Vinci : « Les détails font la perfection et la perfection n’est pas un détail. »
Raymond Loewy : « La laideur se vend mal. »
Le Corbusier : « Nos yeux sont faits pour voir les formes sous la lumière ; les ombres et les clairs révèlent les formes ; les cubes, les cônes, les sphères, les cylindres ou les pyramides sont les grandes formes primaires que la lumière révèle bien ; l’image nous en est nette et tangible, sans ambiguïté. C’est pour cela que ce sont de belles formes, les plus belles formes. Tout le monde est d’accord en cela, l’enfant, le sauvage et le métaphysicien. »
Louis Kahn : « Une bonne question a plus d’importance que la réponse la plus brillante. »
Frank Lloyd Wright : « La simplicité, c’est l’harmonie parfaite entre le beau, l’utile et le juste… »
Victor Papanek : « Le design est devenu l’outil le plus puissant avec lequel l’homme forme ses outils et son environnement. »
Ettore Sottsass : « Le designer est une éponge, certes, mais une éponge cosmique. »
Thomas Maldonaldo : « Le design est une activité créatrice, qui consiste à déterminer les propriétés formelles des objets que l’on veut produire industriellement. Par propriété formelle, on ne doit pas entendre seulement les caractères extérieurs mais surtout les relations structurelles qui font d’un objet (ou un système d’objets) une unité cohérente. »
Yves Saint-Laurent : « Rien n’est plus beau qu’un corps nu. Le plus beau vêtement qui puisse habiller une femme ce sont les bras de l’homme qu’elle aime. Mais, pour celles qui n’ont pas eu la chance de trouver ce bonheur, je suis là. »
Michel Millot : « Il n’y a pas d’innovation sans désobéissance. »

NON-DESIGNERS
Albert Jacquard : « Sans imagination il ne pourrait y avoir création. »
René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience. »
Jean Baudrillard : «  Les objets ne s’épuisent jamais dans ce à quoi ils servent, et c’est dans cet excès de présence qu’ils prennent leur signification de prestige, qu’ils « désignent » non plus le monde, mais l’être et le rang social de leur détenteur...»
Gilles Deleuze : « Une image ne vaut que pour les idées qu’elle crée. »
Gaston Bachelard : « On ne pourra bien dessiner le simple qu’après une étude approfondie du complexe. »

Qu’est-ce qu’un designer ?

Un designer est un praticien du design. C’est un professionnel qui possède un haut degré de formation artistique et technique, voire scientifique, ainsi qu’une éthique professionnelle. Il dessine à dessein avec une capacité d’analyse et de conseil auprès de ses commanditaires.

Il est capable d’empathie, d’approche sensible, intuitive et créative pour aborder les sujets. Il a le sens de l’esthétique, des formes et des signes, des couleurs et de la lumière, des sons, des matières et des matériaux, de l’ergonomie et de la lisibilité, et de leur interaction.

Bien qu’il n’ait pas à résoudre des problèmes techniques purs, ce qui est l’affaire de l’ingénieur, le designer suit le bon déroulement technique et la fabrication d’un projet.

Comment travaille le designer ?

Le designer observe et questionne les cultures, les gestes et les techniques, il capte les tendances et il est à l’écoute des usagers et des publics. Avec intuition et méthode, il analyse les problématiques des projets que lui apportent ses clients ou dont il est lui-même porteur et rémet un diagnostic.

Le designer assimile le cahier des charges définit par son client pour atteindre le but d’un projet. Il imagine, écrit, dessine et modélise pour visualiser les idées, devenues tangibles sous forme d’avant-projet. Il les conduit sous forme de prototype ou de maquette, les vérifie, les teste, les améliore avant de les réaliser sous forme de projet définitif. Enfin, il réalise l’exécution technique du projet et assiste ses clients dans sa fabrication.

Le cadre juridique étant le droit de la propriété intellectuelle, le designer facture des honoraires de conception et de création, qui rémunèrent la tâche pour concevoir l’oeuvre de design, et des droits d’auteur, qui rémunèrent les bénéfices générés par son exploitation.

Designer : une seule profession, composée de disciplines transdisciplinaires ou spécialisées par domaines d’activités

Le designer intervient dans tout l'environnement de l'activité humaine : les espaces, les messages (visuels et sonores) et les produits. Il apporte des solutions dans tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle. On associe au nom design un adjectif pour désigner une discipline spécialisée, ou un domaine d’étude, s’adaptant aux besoins industriels, sociaux et culturels de nos sociétés en mouvement. Ces adjectifs et ses disciplines sont donc appelées à évoluer aussi constamment et à dépasser leurs cloisonnements. Certains designers sont pluridisciplinaires, d’autres sont spécialisés dans une discipline.

La liste ci-dessous ne comporte aucune hiérarchie, elle est non exhaustive et évolutive. Les disciplines sont classées dans la NACE européenne et la NAF française :
74 Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques
     74.1 Activités spécialisées de design
             74.10 Activités spécialisées de design

Design thinking
Design collaboratif
Design de service
Design packaging
Design signalétique
Écodesign

Disciplines transdisciplinaire,
tous domaines d’activité

Design d’intérieur
Design d’espace commercial
Design scénique
Design scénographique
Design lumière (light design)
Design paysager

Domaines spécialisés des espaces

Design graphique
Design interactif
Design d’illustration
Design graphique animé (motion design)
Design graphique environnemental
Design photographique
Design numérique
Design sensoriel
Design sonore
Design de textes
Design web

Domaines spécialisés des messages

Design de produit
Design d’objet
Design industriel
Design de mode (fashion design)
Design culinaire
Design textile

Domaines spécialisés des produits

Quelques compétences transdisciplinaires du designer

Design thinking : ce terme désigne le processus de construction des idées du designer. C’est sa
capacité à combiner l’empathie pour se mettre à la place de l’utilisateur, la créativité dans la production de propositions et la rationalité d’analyse pour proposer des solutions adaptées aux problématiques. Dans ce processus, le designer peut s’associer aux compétences d’autres activités : ingénierie, sciences humaines, sociologie, anthropologie, philosophie, économie, marketing… Ce mode de pensée, commun à toutes les disciplines du design, peut aussi devenir une spécialisation du designer lorsque sa mission est de s’associer à son client pour chercher avec lui des solutions aux problématiques.

Direction artistique : ce terme désigne une fonction de management de projet artistique. Ce n’est pas un acte de conception, ni de création. Lorsqu’une personne donne les orientations d’un projet artistique et veille à son bon déroulement, cette personne exerce la fonction de Directeur artistique. Elle peut être présente dans d’autres activités que le design : le spectacle, la musique, le cinéma, la presse… La direction artistique est une des compétences du designer lorsqu’elle est intégrée par lui à un processus de conception et de création. Lorsqu’une personne conçoit et crée, donne les orientations d’un projet artistique et veille à son bon déroulement, cette personne effectue une direction artistique tout en exerçant une activité de designer. Le droit d’auteur s’applique et protège la création du designer. Lorsque la direction artistique est effectuée indépendamment de la création d’une oeuvre, soit uniquement sous sa forme de fonction de management de projet artistique, le droit d’auteur ne s’applique pas. Un designer peut exercer la fonction de Directeur artistique, mais un Directeur artistique n’exerce pas nécessairement l’activité de designer.

Design management : ce terme désigne une fonction de management dont la démarche est d’implanter et de pérenniser dans les entreprises et les collectivités, le design comme stratégie d’innovation et de développement. Le design management peut être une des compétences du designer. Un designer peut exercer la fonction de Design manager, mais un Design manager n’est pas nécessairement un designer.

 

 

Définition de l’industrie

L’industrie est l'ensemble des activités socio-économiques tournées vers la production en série de biens grâce à la transformation des matières premières ou de matières ayant déjà subi une ou plusieurs transformations et à l'exploitation des sources d'énergie ; elle sous-entend :

  • une certaine division du travail, contrairement à l'artisanat où la même personne assure théoriquement l'ensemble des processus : étude, fabrication, commercialisation, gestion ;
  • une notion d'échelle, on parle de « quantités industrielles » lorsque le nombre de pièces identiques atteint un certain nombre ;
  • l'utilisation de machines, d'abord manuelles puis automatisées, qui modifient la nature même du travail.

Historiquement, le terme a d'abord désigné l'habileté à faire quelque chose, ou bien une activité douteuse que la morale réprouve. Puis le sens s'est élargi à toute forme d'activité productive, et non seulement celle produisant des biens matériels1. Ce dernier sens a vieilli, mais il domine encore en anglais. Depuis la révolution industrielle, les activités relevant de l'agriculture sont exclues du champ de l'industrie.

Plusieurs classifications sont possibles. Les plus communes opposent :

  1. l'industrie manufacturière (mécanique, textile, etc.) aux industries d'extraction (mines, pétrole, etc.) ;
  2. les industries de biens de consommation aux industries de biens de production.

En matière de secteurs économiques, l'industrie recoupe pour l'essentiel le secteur secondaire.

 

Définition de la politique industrielle

La politique industrielle désigne l'intervention publique en vue de développer le secteur industriel d'un pays. Elle vise principalement à stabiliser, voire à relancer en période de crise, l'industrie nationale. Elle peut prendre l'aspect de crédit d'impôt, de fonds d'investissement, d'une planification ou d'une organisation stratégique du tissu industriel.

L'intensité du recours à la politique industrielle par un Etat varie selon les époques. Dans les années 80 et 90, les politiques de privatisation et de dérégulation entraîne un abandon de la politique industrielle à la française (aussi appelé le colbertisme) caractérisée par la planification, l'intervention de l'Etat en matière de recherche, de commandes publiques et d'entreprises publiques. Avec la crise, on peut néanmoins noter un certain retour de la politique industrielle, déjà amorcée dans les années 2000, du fait de l'accroissement de la concurrence mondiale, des menaces de délocalisations ou de désindustrialisation et la faiblesse de l'innovation dans les secteurs de haute technologie.

Entre 1980 et 2003, le secteur industriel français a perdu 36 % de ses effectifs, soit 1,9 millions d'emplois, et il ne contribue plus qu'à 14 % en 2007 au lieu de 24 % en 1980. En outre, le rapport Beffa (2004) intitulé « Pour une nouvelle politique industrielle » (Jean-Louis Beffa est Président de Saint-Gobain) révèle un décrochage de la France par rapport aux grands pays à partir du début des années 90 pour ce qui est de l'effort en Recherche et Développement privé. La France consacre en effet seulement 1,9 % de son PIB à la recherche et à l'innovation contre 2,7 % pour les Etats-Unis et 3 % pour le Japon. Les dépôts de brevets sont également en baisse dans les secteurs de haute technologie (pharmacie et biotechnologies, micro-électronique). Enfin, alors que l'Allemagne enregistre un excédent continu de son commerce extérieur, la France ne cesse de perdre des parts de marché à l'exportation pour les produits à haute valeur ajoutée.

En 2005, quatre grands dispositifs de politique industrielle ont été mis en place :

  • la société anonyme Oséo intervient dans trois domaines principaux : le soutien à l'innovation, au financement et à l'information des PME ;
  • l'Agence nationale de la recherche (ANR) est chargée de soutenir les recherches fondamentales et appliquées et de contribuer au transfert des résultats de la recherche publique vers les entreprises ;
  • l'Agence pour l'innovation industrielle (AII) prend acte du constat du rapport Beffa de 2004 sur la trop grande concentration de l'effet de R&D sur des secteurs de faible technologie et très concurrencés, et a donc pour objectif de réorienter l'industrie vers les hautes technologies en lançant de grands programmes pilotés par les grandes entreprises et associant de nombreuses petites et moyennes entreprises et laboratoires de recherche (automobile propre, mobile 4G, TGV nouvelle génération). L'Agence, dotée d'un milliard d'euros lors de sa création, a pour mission de susciter, de sélectionner et de financer ces grands programmes d'innovation industrielle.
  • les pôles de compétitivité, lancés en 2004 mais actés en 2005, sont des zones géographiques à l'intérieur desquelles se trouvent des entreprises, des centres de formation et de recherche engagés dans une démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour de projets innovants. On en compte actuellement 71 répartis sur tout le territoire. L'Etat a consacré à ce dispositif 1,5 milliards d'euros de 2005 à 2008, et après une évaluation positive menée en 2008 par le Boston Consulting Group, il a à nouveau consacré 1,5 milliards d'euros pour la période 2009-2011. A noter toutefois que les économistes Gilles Duranton, Philippe Martin, Thierry Mayer et Florian Mayneris (dans Les pôles de compétitivité. Que peut-on en attendre?, 2008) soulignent que ces politiques entraînent une forte spécialisation des régions et les rendent très dépendantes d'un seul secteur.

Avec la crise, on note toutefois un certain retour de la politique industrielle via trois grands dispositifs :

  • le Grand emprunt : résultat de la mission Juppé-Rocard, il a été annoncé en 2009 et s'élève à 22 milliards d'euros. L'une des destinations phare de cet emprunt national est l'enseignement supérieur et la formation (11 milliards d'euros), l'objectif étant de faire émerger des laboratoires et des campus d'excellence ayant une visibilité au niveau mondial. Un montant de 2 milliards d'euros est consacré à la filière aéronautique et spatiale française avec en ligne de mire la réalisation d'Ariane 6 et d'un avion plus propre. Oséo reçoit 1,5 milliards du Grand emprunt afin de dynamiser l'innovation et les fonds propres des PME. Plusieurs millions d'euros sont également consacrés au développement de la voiture électrique (900 millions pour le financement d'infrastructures de rechargement) et l'Etat s'est engagé à acheter 50 000 voitures électriques ;
  • le Fonds stratégique d'investissement (FSI) : créé en 2008 et doté de 20 milliards d'euros, ce fonds vise à protéger les entreprises françaises jugées stratégiques des capitaux étrangers. Il est aussi intervenu pour sauver des entreprises en difficulté. Il a pris des participations dans Gemalto (carte à puce), Valeo (automobile) ou Nexans (câble) ;
  • le Crédit d'impôt recherche (CIR) : depuis 2003 et surtout depuis son déplafonnement en 2008, les efforts de R&D des entreprises donnent droit grâce à d'importantes réductions d'impôt sur les bénéfices. Cette mesure, coûteuse (elle représente 5,8 milliards d'euros d'exonération en 2009) n'est pas forcément efficace puisque ce sont les grands groupes qui en sont les principaux bénéficiaires et que les dépenses globales de R&D des entreprises françaises continuent de diminuer.

Le risque des grands programmes est d'orienter l'industrie dans des impasses technologiques et commerciales. Aussi si le soutien aux secteurs industriels est un moyen de réduire le chômage et de renforcer la compétitivité nationale, son recours doit rester parcimonieux. Il est préférable en effet pour les Etats de suivre les tendances du marché plutôt que de vouloir jouer les précurseurs. En outre, si la politique industrielle n'est pas orientée vers les avantages comparatifs traditionnels du pays en question, ses chances de succès sont limitées. Il reste que la politique industrielle n'est pas un phénomène seulement français, mais s'observe dans tous les pays industrialisés (les Etats-Unis ont par exemple injecté des milliards pour sauver General Motors et dans la construction de trains à grande vitesse), et constitue un vecteur de compétitivité dans un monde globalisé.

 

 

[1] Faut-il être honnête quand on parle de ses « défauts » ? Disons qu’il ne faut pas être malhonnête mais que l’on peut faire preuve d’une certaine habileté rhétorique. On ne dit pas « J’aime pas qu’on m’contrarie ; l’premier qu’y est pas d’accord avec moi, j’lui mets ma main sur la figure ! » ; on dit : « Je prends parfois les choses trop à cœur, parce que mon travail compte beaucoup pour moi, et je suis toujours tenté de m’appliquer à convaincre mes interlocuteurs, même lorsque je vois que ce sera difficile ». Tout est question de nuance …..  En revanche, il est contre-productif de se défiler avec plus ou moins de sournoiserie. Exemple : un collègue universitaire me disait qu’un candidat sur quatre se prétend affliger de « perfectionnisme » ; on voit bien la logique de cette allégation et le discours qu’elle véhicule : « J’ai tellement peu de défauts que celui qui me vient à l’esprit est une qualité. Bien sûr, cette qualité me rend la vie difficile, c’est terrible d’être un perfectionniste, mais pensez à la bonne affaire que vous ferez en recrutant quelqu’un qui est perfectionniste, et à qui vous pourrez de ce fait confier des tâches éminemment délicates … ».  Mon informateur m’a expliqué qu’il avait trouvé une excellente méthode pour ramener à la réalité ces perfectionnistes auto-proclamés : il sort de leur  dossier leur lettre de motivation et, après leur avoir fait observer la belle moisson de fautes d’orthographe qu’elle lui a offerte, il leur demande d’exposer en détail cette  conception surprenante du perfectionnisme qui les autorise à de tels écarts. Avis aux amateurs ….

[2] Ces suggestions bibliographiques et la brève présentation qui les accompagnent émanent bien sûr de M. Botrel.

[3] Le document ci-dessous m’a été fourni par M. Botrel.

[4] A ce propos, une remarque incidente mais très importante : il fut que vous ayez en tête la différence entre le savant (le chercheur dirait-on plutôt aujourd’hui), l’ingénieur et le technicien. Très grossièrement, le savant est  l’homme de la théorie, le technicien celui dont les compétences visent essentiellement  des interventions concrètes et limitées (il ne dispose pas des connaissances théoriques qui lui permettraient d’appréhender globalement le fonctionnement d’un système), et l’ingénieur est à la jonction ou à l’interface. Cela  signifie aussi qu’il est entre la science et la technologie, et cela explique la diversité des spécialisations auxquelles conduit une formation d’ingénieur.