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25/11/2014

Résumé du Feu de Barbusse

[Merci à mon collègue Xavier Fandre, professeur en CPGE scientifiques au Lycée Champollion de Grenoble, qui  m'a fourni ce résumé et m'a autorisé à le mettre en ligne sur ce blog]

 

Le feu, journal d'une escouade d'Henri Barbusse : résumé

1. La vision

Prologue situé dans un sanatorium, face au pic du Midi,  de l'aiguille verte et du Mont-Blanc. Annonce du début de la guerre. Déploration et prophétie : « l'avenir est dans les mains des esclaves ».

2. Dans la terre

Dans les tranchées. Animalisation des soldats saisis dans leur quotidien.  « Des espèces d'ours qui pataugent et grognent. C'est nous ». Le réveil des soldats. Présentation des personnages principaux : Paradis, Volpatte, Biquet, Tirette, Barque, Blaire, le caporal Bertrand, Tirloir, etc. Les guitounes, la vermine. Découverte d'une hache préhistorique qui assimile les poilus à des hommes eux-mêmes préhistoriques. Présentation de l'escouade de Bertrand. Description de l'accoutrement, personnalisé par les soldats. Panorama de la collectivité et des différences entre soldats. Présentation des trois générations qui se côtoient. « Nos races ? Nous sommes de toutes les races ». Les différences physiques, géographiques et sociales. Les milieux sociaux plus favorisés ont des postes moins exposés. Réflexion sur  les différences et les ressemblances (hommes revenus à l'état primitif, même parler). Même sort : l'attente, la faim et la soif, l'impatience devant la soupe, le rituel des lettres, les disputes. La guerre est une suspension du jugement « au commencement j'pensais à un tas de choses(...) maintenant, j'pense plus » (39, édition folioplus).

Souvenirs de l'arrière, ce qui manquait comme dans les tranchées : le feu !...(41) Souvenir du cuisinier porteur de feu, mort d'un spasme du coeur.

Réflexion sur les stratégies d'évitement de la guerre puis le discours se déplace sur la « sale race boche ». «C'est probablement des hommes comme nous » (44)... à part les officiers allemands...

Arrivée de civils, des journalistes appelés les « touristes des tranchées ». Poilus vus comme des animaux du jardin d'acclimatation par les journalistes. Réflexion sur la propagande.

Reprise de la routine de la tranchée : évocation des souvenirs valorisants, arrivée de l'officier des postes, nouvelle d'une relève, lecture et écriture. Rôle de la lettre. Arrivée des soldats affectés au terrassement méprisés par les poilus. Le début de la soirée. Arrivée des tabors, soldats coloniaux. Mélange de racisme et d'admiration. Le rassemblement et les opérations de terrassement.

3. La descente

2ème jour

Le 6ème bataillon attend la relève. Nouvelles de la 18ème compagnie, à l'avant, décimée : 18 tués et 50 blessés = 1/3 des hommes morts en 4 jours sans attaque, du fait d'un seul bombardement. Portrait des hommes de la 18è. La mort de Barbier. Horreurs des circonstances de la mort et joie de se retrouver vivants. Chaque compagnie passe 6 semaines à l'avant.

4. Volpatte et Fouillade

Les deux soldats réquisitionnés et emmenés à l'avant demeurent introuvables. On finit par les retrouver. Ils avaient été oubliés dans un trou d'obus. Volpatte, touché à la tête, rêve de retourner à l'arrière.Tous espèrent la « bonne blessure ». Apparition d'Eudoxie, figure féminine mystérieuse qui rôde autour des tranchées. Il existe un lien entre Eudoxie et Farfadet.

Route de nuit du 6ème bataillon vers un village.

5. L'asile

Le régiment marche dans la forêt en quête d'un nouveau gite. Nuit de marche (28km). 8 jours de repos décrétés. Arrivée dans le village de Gauchin-l'Abbé (76). Recherche d 'un logement. Nouvelle guerre pour trouver un asile. Plusieurs habitants refusent. Nouvelle apparition d'Eudoxie. Finalement une femme propose à contre coeur le chenil comme habitation. Marchandage avec les soldats. La femme essaie de soutirer un maximum d'argent aux soldats. Critique des profiteurs de guerre. Déjeuner joyeux dans la cave qui leur a été octroyée. L'enfant des voisins dit aux soldats que la guerre  rend ses parents riches. Dans la maison, le vieux beau-père, véritable débris, cherche un trésor entre les murs. Description des combines des villageois pour gagner plus. Journée de repos. Discussion à propos d'Eudoxie. Lamuse se meurt d'amour pour elle et veut l'épouser. Au loin les cloches sonnent : il s'agit d'un enterrement militaire. Promenade du narrateur accompagné de Lamuse. Apparaît Eudoxie. Lamuse se déclare, elle le repousse, dégoûtée. Le narrateur freine Lamuse. Retour à la description du village, les marchands de vin, de journaux. Le soleil resplendit. Moment de  bonheur après les tranchées.

6. Habitudes

17ème jour dans le village. Conversation avec le vieux beau-père. Bonheur du repos. Arrêt sur la personnalité de Farfadet. Idylle entre Farafadet et Eudoxie. Ce dernier est appelé à l'arrière pour devenir secrétaire.

7. Embarquement

Le lendemain. Pendant la nuit, départ de Gauchin-l'Abbé. Train pour un autre secteur. Description de la gare. Détail des différents corps d'armée.

8. La permission

Au matin. Eudore revient de permission . Il n'a pu voir sa femme Mariette qu'une nuit. Récit d'un chassé-croisé et de la nuit passée entre les camarades qu'il n'a pas voulu laisser dehors. Au moment du départ Mariette lui donne un jambon  qu'il partage avec ses camarades.

9. La grande colère

Volpatte est de retour de son congé de convalescence. Dépression de ce dernier. Colère de Volpatte contre les embusqués. Haine de la bureaucratie planquée.

La marche reprend. Poursuite des critiques contre les gradés et les embusqués appelés les « filoneurs ». « Ils parlent en stratèges mais ne font pas la guerre. ». Face à la question des inégalités le caporal Bertrand déclare : « On est toujours l'embusqué de quelqu'un ». Liste des embusqués. Tirette veut faire cesser la discussion : « on n'y peut rien ».

10. Argoval

Le sergent Suilhard montre au narrateur l'emplacement où a été fusillé ce matin-là Cajard qui avait voulu échapper aux tranchées en rentrant au cantonnement. Note de l'auteur : « j'ai changé le nom de ce soldat, ainsi que celui du village »

11. Le chien

Fouillade, sous la pluie, tente de rester digne et se lave. Nouvelle période de repos dans une grange infestée de rats. Retour à l'état animal. Parallèle avec le chien Labri ; Il n'est pas heureux et malmené par le soldat à qui il est confié. Fouillade le caresse. « Leurs deux regards sont pareils ».

Discussion sur les différentes gastronomies selon les régions. Fouillade décide d'aller boire du vin du midi au village mais ordre est donné de rester sur place. A 5 heures du matin, Fouillade sort quand même et se rend chez Magnac mais l'établissement est fermé. Il finit par entrer dans un café, boit pour 12 sous et rentre tout aussi malheureux. Il caresse Labri et attend la fin.

12.Lle portique

Porteloo veut revoir son village tout proche du cantonnement : Souchez. Il s'y rend avec le narrateur . Des cadavres de soldats morts dans les tranchées sont entreposés sur un terrain vague . Autour d'eux volent des lettres. Le paysage est digne d'un cataclysme. Déambulation horrifique dans les décombres jonchés de cadavres. Arrivée au village : le village a disparu. Il ne retrouve qu'une pierre de sa maison. Il raconte qu'il a vu sa femme, à Lens, en se déguisant en allemand, grâce à un alsacien. Elle était courtisée par des sous-officiers allemands ainsi que son amie, en deuil de son mari. Doute, illusion ou sagesse de Porteloo. « elle est toute jeune, tu sais ; ça a 26 ans » (187) Il veut refaire le monde, revenir de la guerre. Retour heureux dans la tranchée où le soleil luit. Espoir d'un printemps dans cet hiver.

Les 4 jours de tranchée sont finis. Malgré la pluie l'espoir est là. Une amitié se noue entre le narrateur et Porteloo. La marche est difficile dans les tranchées engorgées. Un obus éclate soudain et étête Porteloo.

13. Les gros mots

Le narrateur se dépeint comme un auteur et parle d'écrire sur l'escouade à la demande de ses camarades. La question de l'argot des tranchées qu'il faudrait reproduire dans un souci de vérité.

14. Le barda

Ellipse. Dans une grange, les soldats sont au repos comme dans une caverne. Le départ pour les tranchées aura lieu le lendemain. Description du contenu des poches de Volpatte. Les photos de  famille. Les lettres qui réchauffent le coeur. Les vols que les soldats ont fait. L'amour pour tous ces objets qui représentent la vie et les souvenirs. Passage en revue du matériel des soldats. Le sommeil avant le départ.

15. L'oeuf

Ellipse. Cantonnement. Les souffrances de la faim. Paradis offre un oeuf au narrateur qui lui avait passé des allumettes. C'est un trésor.

16. Idylle

Longue marche. Arrivée dans un village. Les soldats se massent sous un hangar. Rencontre des vieux occupants de la maison mitoyenne. Ce sont des réfugiés. Paradis nettoie les chaussures de la jeune fille de la famille et s'en va, heureux d'avoir accompli une tache du quotidien et d'avoir aidé quelqu'un.

17. La sape

Ellipse.Le père la Fouine a trouvé son trésor (voir chapitre 5). Lamuse se dévoue pour aider à dégager des camarades tués et restés dans la boue. Il revient hébété : il a vu Eudoxie : « Elle était pourrie » (228). Récit de l'étreinte avec le cadavre.

18. Les allumettes

Ellipse. 17H : préparation du dîner. Le feu manque. Les soldats décident de se rendre dans une autre compagnie pour en trouver. Il se trompent de route et arrivent dans le boyau boche...Ils tuent un soldat, prennent son casque et ses allumettes. L'homme est mort pour des allumettes. Ils regagnent le boyau international et s'enfuient dans la tranchée française.

19. Bombardement

Ellipse. Reprisede la marche. Des lumières dans la nuit : ce sont les obus qui éclatent comme des feux d'artifice. Beauté féérique et mortelle. Les soldats s'installent dans un boyau. Discussion sur les armes et patriotisme : mépris pour les schrapnells. Bruit infernal du bombardement, destruction de la nature. Gaz asphyxiant. Discussion sur ce qui est loyal et ce qui ne l'est pas en temps de guerre, sur la taille et le bruit des différents obus. Peur et exaltation.

Reprise de la marche. Fusillade dans les tranchées. Rencontre de cadavres criblés de balles. Panorama désolé du champ de bataille puis retour à la vie. 

20. Le feu

Ellipse . Nuit. Tour de garde du narrateur. « Un deuil épouvantable écrase tout » (257). « On est maudits » (259) Puis l'attaque se calme. Le narrateur aperçoit un tas de cadavres : Lamuse, Barque, Biquet, Eudoxie.

Récit de l'expédition pour reconnaître un poste d'écoute. Tous sont mitraillés sauf le caporal Bertrand et le narrateur.

Joseph Mesnil tente de retrouver en vain le corps de son frère André. Description des cadavres.

Matin : fin de la veille. Panorama désolé de la côte 119. L'escouade est décimée. Passage en revue des survivants. Le père Blaire se fait coquet avec son nouveau dentier.

Allongement du séjour en première ligne : on passe de 4 jours à plus de 5. Les rumeurs d'offensive se propagent.

Retour sur le destin de la famille Mesnil (6 frères. Si André est tué il ne restera plus que Joseph).

Paradis a retrouvé André mort. Il avertit le narrateur. Ils décident de le cacher à Joseph.

Partie de cartes. Occasion de récits sur les supérieurs tyranniques.

Alerte puis contrordre. Enfin,  préparation à l'assaut. « Allons, en avant » dit Bertrand (282)

La mort. Le boyau international. Arrivée dans la tranchée allemande. Farfadet blessé. Héroïsme de Bertrand. La première tranchées est conquise. Les allemands sont tués avec bestialité. Les soldats veulent poursuivre.  L'ennemi a fui. Valorisation du caporal Bertrand qui tire la  moralité : « Il le fallait – pour l'avenir » (297). Narrateur en sentinelle.  Proximité de Bertrand et du narrateur. Fin de la veille. Ils tentent de dormir au milieu des morts. Pendant ce temps le 5ème bâton part à l'attaque. Le narrateur accompagne Joseph au poste de secours. Déambulation à travers les champs constellés de cadavres de zouaves et de tirailleurs. Ils découvrent Cocon et ... Bertrand. Le cadavre est dans une posture effrayante, ils le disposent correctement. Désespoir de Volpatte et du narrateur. Description du charnier, telle une galerie de morts vivants dans le boyau international. Les rafales reprennent. Arrivée à l'ancienne première ligne. L'officier des postes remet au narrateur le courrier de Biquet, décédé. C'est une lettre à sa mère dans laquelle il lui dit qu'il se porte bien... « Courage » dit le narrateur à Joseph.

21. Le poste de secours

Arrivée au poste de secours. Courage du médecin. Joseph est soigné. L'enfer du poste de secours avec sa caverne de blessés, tous traumatisés de la guerre. Ce sont les damnés de la terre. La folie guette.

Récit du narrateur qui voit deux messes célébrées dans 2 tranchées ennemies : même dieu, même souffrance, même émotion. Autrui c'est moi. La question de dieu.

Retour au poste de secours. L'infirmier cherche à se frayer un chemin dans cet enfer. Focalisation sur des blessés en attente : deux légionnaires, l'un donne son nom à l'autre, un assassin.  Bombardement. Mort de l'infirmier étranglé par une balle. Scènes d'horreur. Le narrateur parvient à s'extirper du poste de secours et de la plaine, les blessés continuent à affluer.

22. La virée

Ellipse. En ville. Repos ? Contraste entre les tranchées et l'arrivée dans une ville riche. Les poilus sont vus comme des phénomènes de foire. C'est le début du reniement de soi.(343) Les petits bourgeois de l'arrière comparent les mérites des poilus. Humiliation d'être ainsi rabaissés. « Chacun son métier, mon brave, dit l'un des bourgeois. »(...) « Vous êtes des héros. Nous, nous travaillons à la vie économique du pays ». Contraste avec la vie quotidienne qui continue pendant que les poilus sont au front. Sensation d'injustice. Il y a 2 France : ceux qui profitent et ceux qui peinent, l'avant et l'arrière.

23. la corvée

Retour à la tranchée.  Travaux de terrassement.  On enterre les morts. Arrivée au boyau couvert. On marche sur les morts. Marche de nuit qui dure 6 heures. Les soldats et les officiers, perdus, traversent les excréments. Il arrivent en vue de la première ligne. Ils commencent à creuser une tranchée pour se camoufler mais des fusées les repèrent. Tirs et bombardement. Tous se précipitent dans un mare : le piège se referme. Panique, pluie de feu puis pluie torrentielle. Effondrement des tranchées, marécage. Les soldats se fourvoient dans la tranchée allemande et font demi-tour. « On ne pensait plus à rien. On ne pouvait plus, on ne savait plus » (370)

24. L'Aube

Le jour arrive. Des lacs remplacent les tranchées. Les noyés abondent. Seuls rescapés, le narrateur et Paradis errent en 1ère ligne. Tout semble mort : français, allemands, nature. C'est l'enlisement et l'enfer de l'eau.( « je croyais que le pire enfer de la guerre ce sont les flammes des obus (...) Mais non, l'enfer c'est l'eau ») (375) Des allemands se rendent : « j'en ai assez ». 

L'indicible est advenu : « T'auras beau raconter, s'pas, on t'croira pas » (381)

Rébellion contre l'horreur et l'absurdité. « Plus de guerre, plus de guerre ! » (383)

« Deux armées qui se battent, c'est comme une grande armée qui se suicide ! » (384)

Devant le spectacle des cadavres contorsionnés les soldats reprennent la discussion et veulent tuer la guerre. Révolte contre une instrumentalisation des soldats « C'est les peuples qui sont la guerre (...) mais c'est pas eux qui la décident. C'est les maîtres qui les dirigent. » (390)  « Tous les hommes devraient être enfin égaux » (391).

Mais le bruit du canon reprend, il faut rejoindre les autres pour recommencer la guerre. La discussion reprend sur les différents avis sur la guerre (395), sur les différentes conduites (profiteurs, admirateurs, victimes). La question du héros ou du bourreau(398). Nécessité de la guerre pour faire avancer le progrès ? Pour finir, Le ciel s'ouvre doucement et un rayon de soleil luit.

 

25/03/2014

Quelques mots à propos de la "durée" bergsonienne

DUREE BERGSONIENNE

 

         Pour se représenter plus facilement la « durée » bergsonienne, on peut dans  un premier temps considérer que l’essentiel est de mettre l’accent, comme lorsqu’on parle du courant de conscience, sur la fluidité et la vitesse des processus qui la constituent. Cette fluidité et cette vitesse, dans le cas de la durée bergsonienne, font que la conscience qu’on qualifiera d’ordinaire, celle qui est inséparable du langage et de ses capacités de représentation (et qui est très différente de la conscience des « données immédiates » bergsoniennes), ne peut appréhender la « durée ». Ces mêmes qualités (vitesse et fluidité) rendent caduque le découpage passé / présent / futur. Enfin, la fluidité dont il est question ici, qui désigne une sorte de transformation permanente, l’impossibilité de figer (voir ci-dessous) le contenu, ou plutôt la « forme », au sens aristotélicien du terme[1], qu’est la durée,  permet de comprendre un peu mieux ce que Bergson veut dire quand il parle de l’ « hétérog[énéité] » caractéristique de la « durée ».  

         Il est par ailleurs utile de savoir que Bergson va a posteriori, dans la suite de son œuvre,  faire de la durée un avatar de ce qu’il nomme l’« élan vital ». Il s’agit d’un concept à travers lequel Bergson pense l’ensemble du vivant : la vie, au sens biologique et métaphysique, se définit comme un « élan » qui certes se fige parfois dans des formes (d’un point de vue naturaliste, cela donne les espèces, dont certaines sont viables, d’autres pas, dont certaines évolueront – c’est encore l’élan vital – d’autres disparaîtront)  mais qui de toute façon est voué à se pérenniser comme élan. Si au contraire il se fige,  c’est la mort, ou bien diverses formes de dépérissement, ou bien des situations dans lesquelles l’homme trahit peu ou prou son être profond : par exemple, et pour revenir à notre sujet, quand il oublie la « durée » pour se rallier au temps « géométrique » ou « homogène ».

         Si on ne peut jamais arrêter, figer, ou découper la « durée », c’est parce qu’elle est une variété d’élan vital : quand la conscience  se « laisse vivre » et qu’elle accède à cette « donnée immédiate de la conscience » qu’est la « durée », c’est donc un flux animé par l’ « élan vital », qui est lui-même un « élan vital », qu’elle pénètre. Mais comme on le sait, ce qui caractérise l’homme, c’est l’exercice de la réflexivité ; celle-ci rend très difficile l’accès à la « durée »,  parce que l’intelligence (indissociable de la réflexivité) procède en introduisant la mesure, en séparant, en distinguant - en « figeant » donc - ,  autant d’opérations qui entrent en contradiction avec la nature de la « durée ».

         Woolf, en introduisant le lecteur au plus près du courant de conscience de ses personnages, en-deçà de l’exercice de leur réflexivité, en valorisant le flux de la conscience et  sa vocation digressive, en brouillant les frontières du présent, nous offrent quelque chose d’un peu analogue à la durée bergsonienne.

 

        



[1] Petit rappel : ce qu’Aristote nomme « forme », c’est à la fois la matière et la forme. Le marbre, dit-il, est une matière mais a nécessairement une forme, tout comme la statue est une forme qui ne saurait exister sans la matière qu’est le marbre.

 

        

14/03/2014

Que faut-il penser d'une société dans laquelle le surmoi s'affaiblit ?

[Voici un exemple de colle  – plus précisément du deuxième exercice constitutif  de l’épreuve, consacré au traitement d’un sujet proposé dans le prolongement du texte dont l’analyse en constitue le premier temps ; en l’occurrence, le texte était un article du Monde évoquant la « désinhibition » qui a rendu possible la banalisation dans la sphère publique  des discours racistes (voir l’affaire Taubira). Le candidat a réussi à élaborer une démarche d’ensemble pertinente (simple mais efficace) et à nourrir de ses connaissances (historiques et philosophiques) un exposé convaincant. Il m’a semblé plus intéressant de fournir cet exemple d’une très bonne prestation plutôt qu’un « corrigé professoral ». Pour apprécier pleinement cet exposé (certes un peu réécrit par son auteur et par votre serviteur), il faut se rappeler que les candidats ne disposent au total que de 30 mn pour élaborer l’analyse (i.e. un résumé un peu schématique, dans lequel on met l’accent sur la progression logique du texte) et le commentaire, ce qui est très peu. J’ajoute pour finir que la prestation orale de Yunus (qu’il s’agisse de son maintien, du rythme, de la capacité à souligner les points les plus importants, puis, après l’exposé,  à entrer en discussion avec le jury) était elle aussi conforme aux normes  qui prévalent en la matière.]

 

COSKUN Yunus (relecture : Guy Barthèlemy)

MP

 

Commentaire : Que faut-il penser d'une société dans laquelle le surmoi s'affaiblit ?

 

Plan :

I/. De la nécessité de développer le surmoi pour vivre en société

II/. De la nécessité d'affaiblir un surmoi mal construit

III/. De la difficulté d’instaurer un surmoi moral et républicain dans les sociétés actuelles

 

I/. De la nécessité de développer le surmoi pour vivre en société :

ñ     Rappel de la structure  de la « topique freudienne » : le surmoi, le moi et le soi.

Rappel de la définition du « surmoi », en opposition au « ça ».

Le « ça » est l'instance des pulsions, des appétits, du désir charnel. Le surmoi est l'instance qui impose le renoncement aux pulsions, l'instance qui censure, qui interdit. Il pousse l'individu à obéir à un ensemble de règles. Le moi est un équilibre instable négocié en permanence avec le ça et le surmoi.

ñ     Le vivre ensemble, la vie en société implique la soumission et l'obéissance à une instance supérieure commune. Pour ce faire, la société doit conditionner l'individu à obéir, lui transmettre des valeurs,  façonner son esprit.

ñ     Le désir précède le jugement. Selon Spinoza, l'homme pense qu'il désire ce qu'il juge être bon, mais en réalité il juge bon ce qu'il désire. Exemple : un individu juge qu'un Iphone est bon parce qu'il le désire (et René Girard nous apprend que ce désir est le fruit du « mimétisme » : on désire ce que les autres désirent), mais il pense qu'il le désire parce qu'il le juge bon (ce qui n'est pas le cas). Le jugement de l'individu est ainsi entravé par le désir. On comprend par là que c’est la société  qui régule le désir de l'individu, qui lui indique ce qu’il convient de désirer, et ce indépendamment du jugement. L’aliénation peut être au bout de ce processus. La démocratie prône  la liberté de jugement, mais la société conditionne l'individu de manière à ce qu'il juge bon ce la société veut qu'il juge bon. Le désir précédant le jugement, on soumet l'individu à une dictature du désir qui a un impact sur sa manière de juger.

è    La société développe le surmoi de l'individu pour qu'il respecte les lois qui lui sont  imposées, qu'il s'abstienne de transgresser les interdits,  ce qui permet la vie en société.

è    L'individu doit obéir.

ñ     Inhibition des pulsions pour garantir la liberté de chacun. « L'impulsion du seul appétit est esclavage, l'obéissance à la loi qu'on s'est fixée est liberté » (Diderot). La liberté consiste à s’autoriser  tout ce qui ne nuit pas à autrui. La liberté des uns s’arrête la où la liberté des autres commence. Développer le surmoi permet la maîtrise de ses pulsions et l'obéissance des lois, ce qui garantit la liberté et l'ordre dans un état. Autrui prime sur l’imposition de soi et de son ego

è    surmoi nécessaire dans le rapport à autrui

 

Transition : Certes la société doit développer le surmoi de l'individu. Encore faut-il que l'ensemble des règles intériorisées par l'individu ne soit pas immorales. Quels modèles imposer ? Quels idéaux ?

 

II/. De la nécessité d'affaiblir un surmoi mal construit

ñ     La société peut conditionner l'individu à être immoral, à accepter l'immoralité comme une nécessité.

Exemple du nazisme: mise en place d’une  propagande qui est une machine à décerveler (Gubbels s'inspire de la publicité américaine poussant à consommer), qui doit produire l’intériorisation des valeurs nazis. Est bon ce que le Führer juge bon.

è    Risque d'accepter l'inacceptable à cause  d'un surmoi mal construit, abusif.

ñ     Le surmoi peut être développé jusqu'à l'obéissance aveugle de l'individu (esprits grégaires).

Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem : Eichmann est un bon fonctionnaire (dans le Reich nazi), il est méticuleux dans son travail et exigeant. Jugé pour avoir servi le nazisme, il répond : « Je n'ai fait qu'obéir ».

è    Risque d'aveuglement de l'individu dans l'obéissance à cause d'un surmoi hypertrophié.

ñ     Il est nécessaire de faire preuve d'esprit critique,  d’autonomie (étymologiquement : se donner sa propre loi) ; valeurs des Lumières : il faut être critique et auto-critique. Il faut être capable de s'interroger sur les valeurs auxquelles on adhère et sur le sens que l’on donne à ses actes. Il fut être en mesure de se défaire d'un surmoi mal construit, de penser contre soi-même.

 

Transition : le phénomène historique de la  banalisation d’un racisme d’état homicide relayé par des citoyens ordinaires  témoigne  des ravages que peut occasionner un surmoi mal construit ; il est nécessaire d'instaurer un surmoi moral et républicain dans nos sociétés actuelles.

 

III/. De la difficulté d'instaurer un surmoi moral et républicain dans nos sociétés actuelles

ñ     Berceau des droits de l'homme et du citoyen, notre société démocratique doit instaurer un surmoi moral et républicain, un surmoi indissociable de l’intériorisation de valeurs humanistes.

Kant dans La métaphysique des mœurs (pour comprendre la morale):

La morale implique le jugement, elle peut être discutée. Il s'agit du respect du devoir au mépris de nos inclinaisons et de nos désirs. L'instauration du surmoi moral est l'intériorisation même du respect du devoir. L’exigence morale implique le développement du surmoi (qui pousse au respect des autres fût-ce au détriment  de soi)

ñ     Notre société capitaliste cherche à susciter le désir de consommer. Pour cela, l'individu est soumis à un bombardement  publicitaire. Elle impose un bonheur conformiste, celui de la consommation, à l’individu. On pousse l'individu à penser à son confort, à son bien-être, à son apparence (individualisme). Pour cela, on développe le « ça » de l'individu pour que celui-ci cède à la tentation de consommer qui est branchée sur la sphère de la pulsion. C’est donc en définitive une exigence économique qui conduit à encourager  le développement du ça (qui pousse à se centrer sur son ego au mépris des autres).

Donc : contradiction entre exigences  républicaines et capitalisme.

ñ     Le surmoi de l'individu est modelé par son environnement. Soumis aux médias de masse, l'individu est abruti par la télévision. Le racisme et la violence affichés dans les films conduisent  à la banalisation  de comportements qui transgressent la morale républicaine. Les grands criminels sont présentés comme des héros : comment les enfants et les adolescents peuvent-ils accéder à la conscience du Bien ? De plus, les médias nourrissent l'individu de préjugés : stigmatisation de l'islam, polémique sur l'identité nationale

 

Conclusion :

            Il est nécessaire que la société rende possible la formation d’un surmoi permettant le vivre ensemble. Cependant, l'individu doit se doter d'un esprit critique permettant de se remettre en question et d'être critique vis-à-vis de la société  afin de ne pas tomber dans une obéissance aveugle aliénante, dans une ignorance qui s’ignorerait. L'esprit critique peut permettre de reconstruire son surmoi en prenant conscience des distorsions qu’il a subies. Entre exigences républicaines et capitalistes, la société doit instituer des priorités et tendre vers un capitalisme moral afin d'instaurer un surmoi vertueux chez les individus. En effet, le capitalisme a un impact direct sur la formation de l'inconscient et aboutit à des formes de  mystification. L’'éducation (par les médias et par l'école de la République) doit aider les individus à conquérir leur autonomie.

            A l'image d'un alchimiste qui cherche à transformer les métaux vils en métaux nobles, le plus grand combat d'un individu vise à transmuter ses pulsions : c’est ce qu’on nomme la sublimation (ex. : conversion de l’agressivité en créativité). C'est un travail individuel, personnel,  qui peut permettre d'évoluer vers une société plus vertueuse.