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14/03/2014

Que faut-il penser d'une société dans laquelle le surmoi s'affaiblit ?

[Voici un exemple de colle  – plus précisément du deuxième exercice constitutif  de l’épreuve, consacré au traitement d’un sujet proposé dans le prolongement du texte dont l’analyse en constitue le premier temps ; en l’occurrence, le texte était un article du Monde évoquant la « désinhibition » qui a rendu possible la banalisation dans la sphère publique  des discours racistes (voir l’affaire Taubira). Le candidat a réussi à élaborer une démarche d’ensemble pertinente (simple mais efficace) et à nourrir de ses connaissances (historiques et philosophiques) un exposé convaincant. Il m’a semblé plus intéressant de fournir cet exemple d’une très bonne prestation plutôt qu’un « corrigé professoral ». Pour apprécier pleinement cet exposé (certes un peu réécrit par son auteur et par votre serviteur), il faut se rappeler que les candidats ne disposent au total que de 30 mn pour élaborer l’analyse (i.e. un résumé un peu schématique, dans lequel on met l’accent sur la progression logique du texte) et le commentaire, ce qui est très peu. J’ajoute pour finir que la prestation orale de Yunus (qu’il s’agisse de son maintien, du rythme, de la capacité à souligner les points les plus importants, puis, après l’exposé,  à entrer en discussion avec le jury) était elle aussi conforme aux normes  qui prévalent en la matière.]

 

COSKUN Yunus (relecture : Guy Barthèlemy)

MP

 

Commentaire : Que faut-il penser d'une société dans laquelle le surmoi s'affaiblit ?

 

Plan :

I/. De la nécessité de développer le surmoi pour vivre en société

II/. De la nécessité d'affaiblir un surmoi mal construit

III/. De la difficulté d’instaurer un surmoi moral et républicain dans les sociétés actuelles

 

I/. De la nécessité de développer le surmoi pour vivre en société :

ñ     Rappel de la structure  de la « topique freudienne » : le surmoi, le moi et le soi.

Rappel de la définition du « surmoi », en opposition au « ça ».

Le « ça » est l'instance des pulsions, des appétits, du désir charnel. Le surmoi est l'instance qui impose le renoncement aux pulsions, l'instance qui censure, qui interdit. Il pousse l'individu à obéir à un ensemble de règles. Le moi est un équilibre instable négocié en permanence avec le ça et le surmoi.

ñ     Le vivre ensemble, la vie en société implique la soumission et l'obéissance à une instance supérieure commune. Pour ce faire, la société doit conditionner l'individu à obéir, lui transmettre des valeurs,  façonner son esprit.

ñ     Le désir précède le jugement. Selon Spinoza, l'homme pense qu'il désire ce qu'il juge être bon, mais en réalité il juge bon ce qu'il désire. Exemple : un individu juge qu'un Iphone est bon parce qu'il le désire (et René Girard nous apprend que ce désir est le fruit du « mimétisme » : on désire ce que les autres désirent), mais il pense qu'il le désire parce qu'il le juge bon (ce qui n'est pas le cas). Le jugement de l'individu est ainsi entravé par le désir. On comprend par là que c’est la société  qui régule le désir de l'individu, qui lui indique ce qu’il convient de désirer, et ce indépendamment du jugement. L’aliénation peut être au bout de ce processus. La démocratie prône  la liberté de jugement, mais la société conditionne l'individu de manière à ce qu'il juge bon ce la société veut qu'il juge bon. Le désir précédant le jugement, on soumet l'individu à une dictature du désir qui a un impact sur sa manière de juger.

è    La société développe le surmoi de l'individu pour qu'il respecte les lois qui lui sont  imposées, qu'il s'abstienne de transgresser les interdits,  ce qui permet la vie en société.

è    L'individu doit obéir.

ñ     Inhibition des pulsions pour garantir la liberté de chacun. « L'impulsion du seul appétit est esclavage, l'obéissance à la loi qu'on s'est fixée est liberté » (Diderot). La liberté consiste à s’autoriser  tout ce qui ne nuit pas à autrui. La liberté des uns s’arrête la où la liberté des autres commence. Développer le surmoi permet la maîtrise de ses pulsions et l'obéissance des lois, ce qui garantit la liberté et l'ordre dans un état. Autrui prime sur l’imposition de soi et de son ego

è    surmoi nécessaire dans le rapport à autrui

 

Transition : Certes la société doit développer le surmoi de l'individu. Encore faut-il que l'ensemble des règles intériorisées par l'individu ne soit pas immorales. Quels modèles imposer ? Quels idéaux ?

 

II/. De la nécessité d'affaiblir un surmoi mal construit

ñ     La société peut conditionner l'individu à être immoral, à accepter l'immoralité comme une nécessité.

Exemple du nazisme: mise en place d’une  propagande qui est une machine à décerveler (Gubbels s'inspire de la publicité américaine poussant à consommer), qui doit produire l’intériorisation des valeurs nazis. Est bon ce que le Führer juge bon.

è    Risque d'accepter l'inacceptable à cause  d'un surmoi mal construit, abusif.

ñ     Le surmoi peut être développé jusqu'à l'obéissance aveugle de l'individu (esprits grégaires).

Hannah Arendt dans Eichmann à Jérusalem : Eichmann est un bon fonctionnaire (dans le Reich nazi), il est méticuleux dans son travail et exigeant. Jugé pour avoir servi le nazisme, il répond : « Je n'ai fait qu'obéir ».

è    Risque d'aveuglement de l'individu dans l'obéissance à cause d'un surmoi hypertrophié.

ñ     Il est nécessaire de faire preuve d'esprit critique,  d’autonomie (étymologiquement : se donner sa propre loi) ; valeurs des Lumières : il faut être critique et auto-critique. Il faut être capable de s'interroger sur les valeurs auxquelles on adhère et sur le sens que l’on donne à ses actes. Il fut être en mesure de se défaire d'un surmoi mal construit, de penser contre soi-même.

 

Transition : le phénomène historique de la  banalisation d’un racisme d’état homicide relayé par des citoyens ordinaires  témoigne  des ravages que peut occasionner un surmoi mal construit ; il est nécessaire d'instaurer un surmoi moral et républicain dans nos sociétés actuelles.

 

III/. De la difficulté d'instaurer un surmoi moral et républicain dans nos sociétés actuelles

ñ     Berceau des droits de l'homme et du citoyen, notre société démocratique doit instaurer un surmoi moral et républicain, un surmoi indissociable de l’intériorisation de valeurs humanistes.

Kant dans La métaphysique des mœurs (pour comprendre la morale):

La morale implique le jugement, elle peut être discutée. Il s'agit du respect du devoir au mépris de nos inclinaisons et de nos désirs. L'instauration du surmoi moral est l'intériorisation même du respect du devoir. L’exigence morale implique le développement du surmoi (qui pousse au respect des autres fût-ce au détriment  de soi)

ñ     Notre société capitaliste cherche à susciter le désir de consommer. Pour cela, l'individu est soumis à un bombardement  publicitaire. Elle impose un bonheur conformiste, celui de la consommation, à l’individu. On pousse l'individu à penser à son confort, à son bien-être, à son apparence (individualisme). Pour cela, on développe le « ça » de l'individu pour que celui-ci cède à la tentation de consommer qui est branchée sur la sphère de la pulsion. C’est donc en définitive une exigence économique qui conduit à encourager  le développement du ça (qui pousse à se centrer sur son ego au mépris des autres).

Donc : contradiction entre exigences  républicaines et capitalisme.

ñ     Le surmoi de l'individu est modelé par son environnement. Soumis aux médias de masse, l'individu est abruti par la télévision. Le racisme et la violence affichés dans les films conduisent  à la banalisation  de comportements qui transgressent la morale républicaine. Les grands criminels sont présentés comme des héros : comment les enfants et les adolescents peuvent-ils accéder à la conscience du Bien ? De plus, les médias nourrissent l'individu de préjugés : stigmatisation de l'islam, polémique sur l'identité nationale

 

Conclusion :

            Il est nécessaire que la société rende possible la formation d’un surmoi permettant le vivre ensemble. Cependant, l'individu doit se doter d'un esprit critique permettant de se remettre en question et d'être critique vis-à-vis de la société  afin de ne pas tomber dans une obéissance aveugle aliénante, dans une ignorance qui s’ignorerait. L'esprit critique peut permettre de reconstruire son surmoi en prenant conscience des distorsions qu’il a subies. Entre exigences républicaines et capitalistes, la société doit instituer des priorités et tendre vers un capitalisme moral afin d'instaurer un surmoi vertueux chez les individus. En effet, le capitalisme a un impact direct sur la formation de l'inconscient et aboutit à des formes de  mystification. L’'éducation (par les médias et par l'école de la République) doit aider les individus à conquérir leur autonomie.

            A l'image d'un alchimiste qui cherche à transformer les métaux vils en métaux nobles, le plus grand combat d'un individu vise à transmuter ses pulsions : c’est ce qu’on nomme la sublimation (ex. : conversion de l’agressivité en créativité). C'est un travail individuel, personnel,  qui peut permettre d'évoluer vers une société plus vertueuse.

 

 

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