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25/03/2014

Quelques mots à propos de la "durée" bergsonienne

DUREE BERGSONIENNE

 

         Pour se représenter plus facilement la « durée » bergsonienne, on peut dans  un premier temps considérer que l’essentiel est de mettre l’accent, comme lorsqu’on parle du courant de conscience, sur la fluidité et la vitesse des processus qui la constituent. Cette fluidité et cette vitesse, dans le cas de la durée bergsonienne, font que la conscience qu’on qualifiera d’ordinaire, celle qui est inséparable du langage et de ses capacités de représentation (et qui est très différente de la conscience des « données immédiates » bergsoniennes), ne peut appréhender la « durée ». Ces mêmes qualités (vitesse et fluidité) rendent caduque le découpage passé / présent / futur. Enfin, la fluidité dont il est question ici, qui désigne une sorte de transformation permanente, l’impossibilité de figer (voir ci-dessous) le contenu, ou plutôt la « forme », au sens aristotélicien du terme[1], qu’est la durée,  permet de comprendre un peu mieux ce que Bergson veut dire quand il parle de l’ « hétérog[énéité] » caractéristique de la « durée ».  

         Il est par ailleurs utile de savoir que Bergson va a posteriori, dans la suite de son œuvre,  faire de la durée un avatar de ce qu’il nomme l’« élan vital ». Il s’agit d’un concept à travers lequel Bergson pense l’ensemble du vivant : la vie, au sens biologique et métaphysique, se définit comme un « élan » qui certes se fige parfois dans des formes (d’un point de vue naturaliste, cela donne les espèces, dont certaines sont viables, d’autres pas, dont certaines évolueront – c’est encore l’élan vital – d’autres disparaîtront)  mais qui de toute façon est voué à se pérenniser comme élan. Si au contraire il se fige,  c’est la mort, ou bien diverses formes de dépérissement, ou bien des situations dans lesquelles l’homme trahit peu ou prou son être profond : par exemple, et pour revenir à notre sujet, quand il oublie la « durée » pour se rallier au temps « géométrique » ou « homogène ».

         Si on ne peut jamais arrêter, figer, ou découper la « durée », c’est parce qu’elle est une variété d’élan vital : quand la conscience  se « laisse vivre » et qu’elle accède à cette « donnée immédiate de la conscience » qu’est la « durée », c’est donc un flux animé par l’ « élan vital », qui est lui-même un « élan vital », qu’elle pénètre. Mais comme on le sait, ce qui caractérise l’homme, c’est l’exercice de la réflexivité ; celle-ci rend très difficile l’accès à la « durée »,  parce que l’intelligence (indissociable de la réflexivité) procède en introduisant la mesure, en séparant, en distinguant - en « figeant » donc - ,  autant d’opérations qui entrent en contradiction avec la nature de la « durée ».

         Woolf, en introduisant le lecteur au plus près du courant de conscience de ses personnages, en-deçà de l’exercice de leur réflexivité, en valorisant le flux de la conscience et  sa vocation digressive, en brouillant les frontières du présent, nous offrent quelque chose d’un peu analogue à la durée bergsonienne.

 

        



[1] Petit rappel : ce qu’Aristote nomme « forme », c’est à la fois la matière et la forme. Le marbre, dit-il, est une matière mais a nécessairement une forme, tout comme la statue est une forme qui ne saurait exister sans la matière qu’est le marbre.

 

        

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