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23/01/2014

Pour améliorer la maîtrise de l'écrit

G. Barthèlemy - Classes de khâgne et de math spé, Lycée Champollion, Grenoble

 

            POUR UNE MEILLEURE MAITRISE DE L’ECRIT

 

Il sera question ici de deux aspects de l’ « écrit » : la maîtrise de la langue et la capacité à organiser des énoncés. On partira  de la conviction selon laquelle le déficit que manifestent la majorité des étudiants dans leur maîtrise de la langue écrite ne tient en définitive ni à une difficulté intrinsèque ni à l’ignorance des règles de base de la grammaire : tout le monde connaît les règles d’accord en genre et en nombre du verbe et du nom, or les fautes commises en la matière sont innombrables. Le caractère volontiers chaotique des copies, la dominante de l’approximation, le défaut de cohérence (à l’échelle de la phrase, du paragraphe, du devoir) ne tiennent pas eux non plus à la difficulté des exercices imposés. Il faut chercher ailleurs l’origine de ces problèmes, qui sont a priori de deux ordres différents (la langue d’un côté, le « discours » de l’autre), et cette origine est la même : un rapport à la langue complètement détraqué, dont les dysfonctionnements énumérés ci-dessus sont  symptomatiques. Il est malaisé de définir l’ensemble des causes de ce détraquement, mais on peut en mentionner deux, qui sont d’ailleurs partiellement liées :

            - la poussée de l’individualisme, qui fournit aux locuteurs un alibi pour se soustraire aux règles qui encadrent en principe l’usage de la langue ; chacun se sent ainsi autorisé à penser à peu près la chose suivante : je suis au-dessus de ces règles misérables et artificielles qui brident l’expression de ma subjectivité, et d’ailleurs ce que je dis est tellement intéressant que vous ferez l’effort de me comprendre (et si vous ne me comprenez pas, ce que je dis n’en est pas moins sublime).

            - Une norme sociale totalement laxiste, qui tolère n’importe quel énoncé. Un témoignage éloquent de cet état de fait : il est très rare aujourd‘hui que l’on demande à  un locuteur de reformuler un énoncé embrouillé ou opaque, et personne ne procède plus de soi-même à ce genre de rectification.

La conséquence de cette situation, c’est que l’on s’habitue à entendre et à proférer des énoncés dominés par l’approximation, l’obscurité et l’incohérence. Il est impossible d’exiger des locuteurs les rectifications qui s’imposeraient, et épuisant d’y procéder soi-même : quand les règles disparaissent, tous les énoncés deviennent possibles et on se trouve donc en permanence confronté à des formulations imprévisibles non pas parce qu’elles procèdent d’une stupéfiante créativité poétique mais parce qu’elles sont en principe impossibles dans la langue considérée, ce qui rend leur compréhension très difficile. Une écoute précise de ces énoncés est exténuante : chaque phrase doit être traduite et redressée (c’est ce que fait mentalement le correcteur de copies, qui le fait payer au rédacteur – il est là pour cela…), comme si elle émanait d’un locuteur étranger.

Le locuteur-récepteur ordinaire est donc conduit à considérer qu’un énoncé est par essence approximatif et confus, et que donc on ne doit ni ne peut faire mieux que l’appréhender de manière confuse et approximative. Le susdit locuteur ordinaire n’en souffre nullement, puisque c’est pour lui la norme ; il ne songe jamais à réclamer les fameuses rectifications (qui seraient pourtant nécessaires), puisqu’il n’a pas acquis la conscience linguistique qui le conduirait à formuler une telle demande, et il ne pense pas que cela puisse lui porter préjudice – tant qu’il n’est pas confronté à une autre norme, celle des concours par exemple. Quelle est cette norme ? Celle d’un discours qui respecte les règles de la grammaire, qui est clair, précis, et ne nécessite pas de « traduction ». Ces exigences sont-elles abusives ? Nullement. Les règles de grammaire ne sont pas des aberrations destinées à embêter les locuteurs : s’il importe par exemple de ménager une différence entre l’accord du nom et celui du verbe, c’est pour souligner que l’on a affaire dans un cas à des substances, dans l’autre à des processus ou à des états ; comme on le voit, il ne s’agit pas là d’incongruités nées d’un cerveau malade, mais de catégories intellectuelles fondamentales. En outre, la transgression de règles aussi simples que celles de l’accord perturbe gravement la lecture des énoncés, voire les rend incompréhensibles. La capacité à construire des énoncés clairs, obéissant aux règles de la logique et de la cohérence, est donc un excellent critère d’évaluation des candidats, et les exigences en vigueur procèdent d’une évidence : on ne pense qu’avec le langage, et quelqu’un pour qui le langage est cette chose qui baigne dans la confusion, l’approximation et l’incohérence, ne pourra faire mieux que « penser » de manière confuse, approximative et incohérente – c’est-à-dire ne pas penser. 

            Que faire pour remédier à cet état de choses ? D’abord ne pas s’emporter contre une  prétendue difficulté insurmontable qui caractériserait le français écrit, ne pas fantasmer une réforme de la langue qui dispenserait le locuteur de toute rigueur intellectuelle  : c’est la syntaxe qui pose le plus de problèmes aux locuteurs déficients, pas l’orthographe au sens étroit du terme -  ce qui est grave, ce n’est pas d’écrire *aberant (pour « aberrant »),  c’est d’écrire quelque chose comme « * il est permis de pouvoir dire, par rapport à la nature, que les arbrent pousses » [1) j’exagère à peine ; 2) je ne prends pas la peine de « redresser » un énoncé tellement « tordu » qu’il ne peut pas l’être]. La syntaxe, c’est ce qui permet de faire tenir les mots ensemble de telle manière qu’un énoncé ait un sens immédiatement identifiable. Donc, par définition, il est hors de question de « réformer » la syntaxe si on entend par là qu’il faudrait la supprimer ou la réduire à une forme de juxtaposition simplifiée (« *moi vouloir toi »…) ou à la possibilité de produire n’importe quel assemblage de n’importe quels mots (ce qui au demeurant, en dépit de l’absence de réforme, est en gros la situation actuelle).

            Ce qu’il faut réformer,  c’est le rapport à la langue : le locuteur déficient doit développer un rapport réflexif et critique à l’égard de la langue pour se demander en permanence si les énoncés (qu’il élabore, qu’il lit ou qu’il entend) sont en accord avec les exigences de clarté, de précision et de cohérence qui doivent prévaloir en cette matière. Pour ce faire, évidemment, le locuteur doit intérioriser concrètement une autre norme. Où la trouver ? C’est difficile à dire tant le dérèglement de la langue s’est imposé partout. Soyons optimistes, et considérons que la grande presse peut ici ou là offrir des « modèles » : dans Le Monde, les contributions de la double-page « Débats », qui sont signés non pas par des journalistes (lesquels sont trop souvent  à l’affût de la dernière mode chic et choc et véhiculent volontiers les tics de langage les plus ineptes – voir leur goût risible pour le fameux « décryptage ») mais par des intellectuels, des experts, etc., peuvent être intéressants de ce point de vue.  Voir aussi les articles de revues comme L’Histoire ou Philosophie Magazine[1]. Très concrètement, que s’agit-il de faire ? De lire ces articles en se demandant en permanence comment le rédacteur s’y prend 1) pour que chacun des énoncés de détail – au niveau de la phrase – soit clair, précis, compréhensible 2) comment il effectue le montage argumentatif ou intellectuel entre cet énoncé (disons : une phrase ou une proposition grammaticale), celui qui le précède et celui qui le suit 3) comment cela constitue un paragraphe dont le sens est intelligible 4) comment ce paragraphe trouve sa place et sa signification en fonction de son articulation intellectuelle avec celui qui le précède, celui qui le suit, et le contenu d’ensemble du texte. Vous vous apercevrez d’ailleurs que les articles en question ne sont pas toujours irréprochables – plus précisément : le jour où vous serez en mesure de faire ce constat, vous comprendrez que vous aurez accompli un gros progrès.

            Parallèlement, il faut vous entraîner régulièrement (s’il faut chiffrer : 30 mn trois fois par semaine) à produire vous-mêmes des énoncés susceptibles de satisfaire  aux exigences susmentionnées. Utilisez cet outil précieux qu’est le traitement de texte : il vous libère de bien des angoisses, puisqu’il est conçu pour que l’on puisse modifier autant qu’on le souhaite un énoncé. Ecrivez deux paragraphes, et lisez-les comme il est recommandé dans le topos ci-dessus, rectifiez, corrigez, de manière à ce que ….

            Même si vous avez appris les règles de grammaire élémentaires, même si vous ne les avez pas toutes oubliées, il est salutaire de vous replonger dans tout cela. Révisez, de manière systématique, une grammaire de collège pour vous remettre les choses en tête. Utilisez par ailleurs l’un des nombreux ouvrages destinés à permettre aux élèves du secondaire et aux étudiants de mieux maîtriser l’écrit : chez Hatier, pour 4,50 E, vous trouverez Améliorez votre style et S’exprimer avec logique ; chez Larousse, pour 4 E, je vous recommande, dans la collection « Les indispensables », Savoir rédiger.

 

Courage !       



[1] On peut aussi écouter France-Culture, que je mentionne ici, bien que le présent topos concerne l’écrit ; on choisira par exemple sur cette chaîne des émissions comme  Les Lundis de l’Histoire, Répliques, Concordance des temps.